Vue d’Afrique, la présidentielle française ne passionne pas les foules

Le 10 avril, près de 49 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour choisir leur prochain président de la République. Emmanuel Macron, le président sortant (LREM) avec 27,8% des suffrages se retrouvera au 2e tour, face à Marine Le Pen (RN) qui a recueilli 23,1% des voix. Le dossier sahélien ayant laissé place à la guerre en Ukraine, l’Afrique dans les débats de campagne s’est plus ou moins résumée à la question migratoire.

Selon l’institut Ipsos-Sopra Steria, plus de 26% des électeurs français avaient boudé les urnes (soit le taux d’abstention le plus élevé depuis deux décennies) à l’occasion du premier tour de la présidentielle 2022. Alors que l’Hexagone tire les premières conclusions du scrutin qui a vu la chute historique des partis traditionnels (2,5% pour le parti socialiste (PS) et moins de 5% pour Les Républicains (LR)), à la suite d’une campagne perturbée par l’actualité russo-ukrainienne, l’Afrique n’a pas non plus affiché d’engouement particulier pour cette campagne électorale française qui opposera le 24 avril prochain, le président-candidat de La République en Marche (LREM), Emmanuel Macron, à Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national (RN).

Alors que l’abstention s’est élevée à 64,88% chez les Français de l’étranger, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon se sont taillé la part du lion. En recueillant 45,09% des suffrages au premier tour, le président LREM arrive largement en tête et  gagne au passage, 5 points depuis 2017. De son côté, Jean-Luc Mélenchon avec 21,92% arrive en seconde position et gagne 6 points depuis la dernière présidentielle.

« Au lendemain du premier tour, la plupart des médias en Afrique ont simplement relayé les résultats et quelques commentaires. Globalement, l’intérêt pour la politique française devient marginal en Afrique (…) Les élections aux Etats-Unis suscitent un intérêt bien plus grand que celles de la France qui est aujourd’hui une puissance moyenne », estime  Gilles Yabi, analyste politique et directeur du think tank ouest-africain Wathi. « Beaucoup d’Africains pensent qu’Emmanuel Macron a de grandes chances d’être réélu or l’élection recouvre toujours plus d’intérêt en cas d’alternance », ajoute-t-il, par ailleurs.

Au niveau des chefs d’Etat africains, les attentes varient d’une relation diplomatique à une autre. Entre Bamako et Paris, le torchon brûle et Assimi Goïta ne verrait probablement pas d’un mauvais œil, l’élimination du président français au second tour. A Malabo non plus, un changement de tête à l’Elysée ne serait pas pour déplaire aux plus hautes instances de l’Etat, après la condamnation retentissante par la cour d’appel de Paris en février 2020, de Teodorin Obiang (le fils du président en exercice) à trois ans de prison avec sursis, assortis de 30 millions d’euros d’amendes et de la saisie de ses biens dans le procès des biens mal acquis. En février 2020, les déclarations du président Macron relatives aux « violations des droits de l’homme » perpétrées au Cameroun, ne sont également pas de nature à favoriser le soutien de Paul Biya au président-candidat français. A contrario la reconduction à l’Elysée d’Emmanuel Macron, devrait être plutôt bien accueillie par le jeune président tchadien Mahamat Déby (qui avait vu le président français débarqué à N’Djaména sitôt arrivé au pouvoir) ou par les présidents sénégalais et ivoiriens, qui entretiennent de bonnes relations avec le chef de file du parti LREM.

Un deuxième tour Macron contre Le Pen : quoi de neuf sous les tropiques ?

« On attend de voir, non sans faire remarquer que, quel que soit celui qui va gagner cette présidentielle, vue d’Afrique, cette élection restera presque un non-évènement, et pour cause ! Les présidents se succèdent à l’Elysée et la politique française de l’Afrique ne change pas, ou très peu. Emmanuel Macron ou Marine Le Pen à l’Elysée, ce  sera donc rien de nouveau sous nos tropiques », se fend la rédaction de L’Observateur Paalga du Burkina Faso, dans un article publié au lendemain du premier tour.

Alors que le sondage Ifop-Jeune Afrique du 22 mars dernier plaçait l’extrême gauche en tête des intentions de vote chez les électeurs d’origine africaine de France (avec 36% des suffrages), Jean-Luc Mélenchon (LFI) n’arriva finalement qu’en troisième position avec près de 22% des voix. En Afrique, la popularité du candidat de La France Insoumise repose notamment sur sa communication 2.0, estime l’analyste politique Gilles Yabi, considérant que « les jeunes qui suivent la politique française le font généralement via les réseaux sociaux, ce qui conduit à un prisme un peu déformant, en faveur des candidats qui sont les plus présents sur ces réseaux comme Jean-Luc Mélenchon. Le candidat de La France insoumise est de plus, porteur d’un discours très fort sur le dossier de l’immigration ou sur l’engagement de la France au Sahel. Il est clair et direct or, ce discours de vérité trouve un certain écho en Afrique ».

Dans la nation arc-en-ciel, le quotidien Daily Maverick est revenu sur « le soi-disant front républicain -qui- s’est effondré » non sans préciser que, de nombreux électeurs de gauche « détesteraient soutenir un dirigeant raillé -pour être- arrogant et -considéré comme le- « président des riches ». Au Maghreb, la progression de l’extrême droite est largement relayée dans les médias. Enfin, sur les réseaux sociaux, on ne compte plus les commentaires des internautes qui ironisent sur le faible score d’Eric Zemmour (7%), le « candidat-surprise » de cette présidentielle 2022. « La plupart des trafiquants sont Sénégalais, clandestins et ils n’ont rien à faire ici », avait déclaré le candidat du parti Reconquête pendant la campagne, poussant la communauté sénégalaise de France à manifester dans les rues de Paris et l’ambassadeur du Sénégal à réagir. « Ces propos, d’un racisme primaire incontestable, relèvent d’une stigmatisation injurieuse, portant gravement atteinte à l’honorabilité de toute une communauté sénégalaise », déplorait alors l’ambassadeur El Hadji Magatte Seye, par voie de communiqué.

L’Ukraine chasse le dossier sahélien de la campagne française

Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le dossier sahélien relégué au second plan des priorités militaires françaises a peu à peu disparu de la campagne présidentielle. « Le timing de l’annonce du départ de la France du Mali a permis de sortir le dossier sahélien de la campagne présidentielle française. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a permis au président Emmanuel Macron de ne pas avoir à répondre de l’échec de la politique française au Sahel de ces dernières années », analyse Gilles Yabi.

Finalement, l’Afrique dans les débats s’est résumée au chapitre migratoire (une question qui arrive en seconde position des priorités des électeurs français, juste derrière le pouvoir d’achat). La préoccupation migratoire a d’ailleurs fait apparaître des perceptions à géométrie (et géographies) variable. Alors que les Ukrainiens fuyant la guerre sont accueillis les bras ouverts dans l’Hexagone, la défiance relative aux migrants extra-européens qui tentent eux aussi d’échapper à la guerre, se maintient. « L’immigration est souvent vue comme un « sujet africain », alors qu’avant même la guerre en Ukraine, nombre de migrants venaient d’autres régions du monde. Avec les candidats d’extrême droite, la question des migrations africaines reliée à la thèse du grand remplacement a été mise au cœur de la campagne (…) La plupart des Africains qui suivent la guerre en Ukraine et les réactions internationales qu’elle suscite ont eu la confirmation que, lorsqu’il s’agit de populations européennes, le regard n’est pas le même. Beaucoup de médias ont fait état de commentaires qui font clairement la distinction entre les populations ukrainiennes et celles venues du Moyen-Orient ou d’Afrique. Il y a là, la confirmation d’un double standard et d’une vision qui est à la limite du racisme sur la question migratoire. »

En dépit de quelques mesures-choc portées par la candidate RN (droit du sol, fin du regroupement familial ou de l’aide médicale d’Etat (AME)) quel que soit le candidat qui sortira victorieux à l’issue du second tour, pour Gilles Yabi, « il y aura une forme de continuité politique en Afrique », car « le ou la présidente de la France devra de toute façon composer avec le poids des corporations, de l’armée, de la diplomatie et des acteurs privés présents en Afrique ». Ce sentiment semble être largement partagé par les observateurs africains de la politique française. Cette continuité n’en demeure pas moins marquée par une lente distanciation des mondes politiques euro-africains. L’époque où les candidats à la présidentielle française défilaient tour à tour dans les palais africains (comme l’exprimait Valéry Giscard d’Estaing en 2009 sur les ondes d’Europe 1, furieux que l’ancien président gabonais Omar Bongo ait pu financer le concurrent Jacques Chirac en 1981) s’éloigne inexorablement. Les temps ont changé, les enjeux et les acteurs aussi…

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