Le pape François et l’Afrique: fraternité, dialogue et dénonciation des maux du continent

Entre son élection en 2013 et 2025, le pape François a effectué cinq voyages en Afrique, au cours desquels il a visité dix pays. Les thèmes qu’il a abordés durant ces voyages sont ceux qui ont marqué son pontificat : le dialogue entre les religions, l’accueil des migrants… Mais le chef de l’Église catholique a aussi dénoncé la corruption et le colonialisme économique.

D’un geste appliqué, un groupe de jeunes servants vêtus de blanc projette les vapeurs d’encens dans l’enceinte de la cathédrale de Bangui. La fumée blanche s’élève lentement vers le ciel. Fridolin, l’un des fidèles, se souvient encore de la visite du pape François dans la capitale centrafricaine : c’était en 2015, à l’occasion de son premier voyage en Afrique. Le contexte était tourmenté : deux ans plus tôt, le coup d’État de la coalition Seleka contre l’ancien président François Bozizé avait plongé le pays dans une crise sans précédent. La Centrafrique se divisait dans un cycle de violences interreligieuses.

Le passage du souverain pontife avait suscité un immense espoir de paix et de réconciliation. Les paupières mi-closes, Fridolin se remémore un symbole fort de ce pape se rendant dans le quartier musulman de Bangui : « En fermant les yeux, je visualise tout, confie-t-il. Au plus fort de la crise, pendant deux ans, les chrétiens ne pouvaient pas mettre un pied au PK5, un quartier majoritairement musulman. Aucun musulman ne pouvait sortir du PK5. Mais le pape a bravé cette situation, il était allé jusqu’à la mosquée de PK5. Ce jour-là, il a drainé derrière son cortège des milliers de chrétiens jusqu’au PK5. C’était une grande réconciliation. J’ai vu, de mes yeux, les deux communautés se serrer dans les bras, pleurer, faire des accolades. »

L’homme, visiblement ému, se souvient aussi de l’impulsion donnée par cette visite à la réhabilitation du complexe pédiatrique de Bangui qui était tombé en ruines. À l’époque, de nombreux enfants mourraient faute de soins. Depuis 2015, la prise en charge des enfants est devenue gratuite.

Kangemi, au Kenya, n’oubliera pas, elle non plus, le passage du pape François. C’était, là aussi, lors du premier voyage en Afrique du chef de l’Église catholique. Dans ce bidonville de Nairobi, le souverain pontife avait célébré une messe dans l’église de Saint-Jean le travailleur. Il avait saisi l’occasion pour fustiger l’injustice sociale et l’accaparement des richesses. L’une des fidèles de Kangemi, Lucy Nganga, se souvient qu’« il s’est présenté comme le pape des pauvres et a expliqué que c’était pour ça qu’il avait choisi cette église ».

Theresa Siuwai, une autre catholique de la paroisse, n’oubliera jamais cette visite : « Il a choisi de venir dans le ghetto. On ne voit des gens importants ici que quand ils cherchent des votes. Donc, que le pape vienne à Kangemi, voir comment on vit et faire partie de notre communauté, même pour une heure seulement, c’était un honneur. On s’est sentis humains. »

Promoteur du dialogue interreligieux et défenseur des migrants

Dès l’inauguration de son pontificat, le pape François a marqué l’importance qu’il voulait accorder au dialogue interreligieux, en recevant les délégations d’autres Églises et d’autres religions. Cet attachement au dialogue interreligieux a traversé tout son pontificat.

Le 4 février 2019, François et le grand imam de la mosquée d’al-Azhar en Égypte, Ahmad Al-Tayeb, ont signé le « Document sur la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la coexistence commune ». Le texte précise qu’ « al-Azhar al-Sharif – avec les musulmans d’Orient et d’Occident –, conjointement avec l’Église catholique – avec les catholiques d’Orient et d’Occident –, déclarent adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère ».

Lors de sa visite au Maroc en 2019, le pape est revenu sur le dialogue interreligieux et a insisté sur la « culture de la rencontre ».

La défense des migrants est un autre thème qui a traversé tout le pontificat de François. Elle occupe une place notable dans l’encyclique Fratelli Tutti qu’il a signée en 2020, encyclique « sur la fraternité et l’amitié sociale ». Le pape y condamne notamment le comportement de certains catholiques vis-à-vis de ces migrants : « On ne dira jamais qu’ils ne sont pas des êtres humains, mais dans la pratique, par les décisions et la manière de les traiter, on montre qu’ils sont considérés comme des personnes ayant moins de valeur, moins d’importance, dotées de moins d’humanité. Il est inacceptable que les chrétiens partagent cette mentalité et ces attitudes. »

François a aussi eu, à d’autres moments, des mots forts pour dénoncer les conséquences de la politique de fermeture de l’Occident. À Rome, il a déclaré que « la Méditerranée est devenue un cimetière ». À Rabat, il a expliqué que, pour lui, ce phénomène « ne trouvera jamais de solution dans la construction de barrières, dans la diffusion de la peur de l’autre ou dans la négation de l’assistance ».

Malaise suscité chez les archevêchés africains

La relation du pape François à l’Afrique a connu de véritables moments de tensions. En publiant la déclaration « Fiducia supplicans » le 18 décembre 2023, Rome a créé une véritable levée de boucliers dans les archevêchés africains. Cette déclaration prévoyait la possibilité pour les prêtres de bénir des couples homosexuels, ce qu’ont aussitôt rejeté les évêques de plusieurs pays sur le continent. Les déclarations de refus des conférences épiscopales africaines se sont multipliées. Les fidèles eux-mêmes ont condamné en des termes durs la déclaration.

Face à cette fronde, le cardinal Fridolin Ambongo, président du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar s’est rendu au Vatican, afin d’exposer le point de vue des églises africaines et de travailler à une sortie de crise. Celle-ci a pris la forme d’un message rédigé avec l’accord du pape : les religieux d’Afrique n’accorderont pas de bénédiction aux couples homosexuels. Plusieurs années après, l’épisode continue à être commenté sur le continent. « C’était un tollé, surtout en Afrique. Le Vatican a tenté tant bien que mal d’apporter des arguments, mais cela n’a jamais convaincu personne », raconte un catholique tchadien, pour qui ce bras de fer a été l’un des moments marquants du pontificat.

Le chef de l’Église catholique a pourtant su, en d’autres occasions, être au diapason du continent. Les mots qu’il a prononcés en République démocratique du Congo, lors de son dernier voyage sur le continent en 2023, continuent à résonner dans l’esprit des fidèles congolais. Dans le jardin du Palais de la Nation, il a interpellé la communauté internationale sur le pillage du continent africain : « Retirez vos mains de la République démocratique du Congo, avait lancé François, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. »

Tout au long de son pontificat, le pape a par ailleurs marqué son attachement à « l’inculturation » du rite, le fait que le message chrétien puisse s’intégrer dans des cultures spécifiques. Le rite zaïrois, une adaptation spécifiquement africaine du rite romain, a même occupé une place toute particulière dans sa réflexion. Mouvements du corps, références aux ancêtres, vêtement des prêtres… le « Missel romain pour les diocèses du Zaïre » a été cité à plusieurs reprises par le pape François comme un modèle « prometteur pour l’Amazonie et pour d’autres Églises cherchant une expression liturgique appropriée ».

Le 3 juillet 2022, il a même célébré une messe selon le rite zaïrois à la basilique Saint-Pierre de Rome, dans l’un des lieux les plus emblématiques de l’Église catholique, concluant son homélie par quelques mots en lingala. « Moto azalí na matói ma koyóka », a lancé François, suivi par la foule : « Ayóka » « Moto azalí na motéma mwa kondíma… Andima » [« Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende… Que celui qui a le cœur pour consentir, consente »].

Source RFI

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