Alors que le marché mondial du luxe connaît une forte croissance, atteignant 1.500 milliards d’euros en 2023, il fait également face au ralentissement mondial de la demande, porté notamment par un marché chinois en berne optant pour de nouveaux arbitrages.
Quant à l’Afrique, elle émerge comme un nouveau relais de croissance avec un marché estimé à 6 milliards de dollars. Au continent de capitaliser maintenant sur ses atours, de savoir s’inspirer des succès internationaux et de collaborer avec les acteurs établis mondialement. Par Coralie Omgba, spécialiste du luxe.
Le secteur du luxe a démontré une résilience remarquable lors des crises récentes. Le marché des biens de luxe personnels a progressé de 4% en 2023, atteignant 362 milliards d’euros, grâce aux leaders de l’industrie, appelés les KHOL (Kering, Hermès, L’Oréal et LVMH + Chanel), tous français. Le luxe représenterait 3% du PIB français et 25,3% de toute la capitalisation du CAC 40. Un véritable soft power Made in France. L’Afrique doit profiter de sa proximité géographique et culturelle avec ce leader du luxe incontestable pour s’imposer sur un marché à forte retombée et en tirer profit pour son propre développement économique.
Le continent a pour lui son potentiel, dans la foulée d’une croissance estimée à 12% dans les quatre années à venir, sur le marché de la beauté, de la parfumerie et de la cosmétique. Dans le dessein de devenir à son tour une place forte du luxe, l’Afrique doit dépasser les idéologies au profit d’une approche sectorielle économique pragmatique. Dénigrer, censurer, voir oublier ce lien qui les unie à Paris est aujourd’hui du dernier chic dans de nombreuses capitales d’Afrique francophone. Il convient pourtant d’outrepasser cette attitude et de nouer des partenariats stratégiques avec les grandes maisons françaises de manière à développer une véritable industrie du luxe en Afrique. Surtout que dans les faits, l’attrait des marques françaises reste des plus marqué auprès de la clientèle africaine, comme l’a démontré le succès du défilé Chanel Métiers d’Art à Dakar en 2022, où tout le gratin de la mode africaine – diaspora incluse – avait répondu présent.
Historiquement, La Chine a contribué au développement de l’industrie du luxe, présentement elle consomme du luxe occidental. Ce pays offre des leçons précieuses pour l’Afrique. La Chine qui constitue à elle seule 26% du marché international est devenue un acteur indispensable en peu de temps, dans la foulée de sa puissance économique et donc du pouvoir d’achat de sa population. Son exemple montre qu’il est possible de créer une industrie du luxe sur son territoire, en s’appuyant sur la présence physique et en ligne des marques internationales les mieux établies.
La capacité de l’Empire du Milieu à investir concrètement dans le luxe français, par le biais d’entrepreneurs de sociétés d’investissements, capital-risque ou family offices et des opérations de fusions-acquisitions, pour détenir des marques en propre, s’est révélée aussi saisissante qu’efficace. Aujourd’hui, la Chine valorise de même les marques domestiques, mettant en avant le savoir-faire local et le patrimoine culturel, dans le but de viser une reconnaissance internationale, et, à l’avenant française. Grâce à la nouvelle scène créative chinoise, elle n’hésite pas à proposer une nouvelle narration autour du Made in China et la démarche porte ses fruits auprès de l’industrie française du luxe et ses clients. Signe de la particularité du consommateur chinois, les marques internationales de luxe développent à leur tour en local des marques ciblant spécifiquement ces derniers.
Un distinct exemple inspirant est celui de Singapour, devenue une république indépendante en 1965. Selon un classement réputé basé sur des critères spécifiques, en 2024 son passeport est désormais classé dans le top 3 des plus puissants. Considérée comme la « Suisse du Sud-Est asiatique », Singapour est devenue une place forte du luxe mondial dans sa région et attire les ultra-riches organisant même un sommet Singapour-Afrique. Idem concernant la Thaïlande. Le prochain pays en lice ? L’Inde.
Plusieurs pays africains ont commencé à investir dans le développement d’une industrie du luxe structurée. Le Rwanda se positionne ainsi comme une destination de tourisme haut de gamme et ultra-luxe avec l’escale du Four Seasons Private Jet, en accueillant d’importants événements internationaux ou sportifs qui accroissent son soft power. Maurice capitalise sur l’investissement immobilier de prestige et sa politique fiscale avantageuse, tandis que la Namibie, le Kenya ou l’Ouganda mise sur son « Golden passport », en vue d’attirer des ressortissants fortunés.
D’autres initiatives sont en cours, comme le projet de faire revenir la Formule 1 en Afrique. Les organisateurs et la fédération de ce sport dont le partenaire mondial est désormais l’horloger suisse Tag Heuer (LVMH), regardent en direction du Rwanda qui a récemment officialisé sa candidature, le Ghana, de Zanzibar, ou de l’Afrique du Sud pour organiser à termes un Grand Prix sur le continent. Une légende du football ivoirien a constitué un équipe représentant l’Afrique lors du championnat de bateaux de vitesse électriques et écologiques organisé chaque année à Monaco et sur le Lac de Côme. Enfin, les artistes musicaux africains pop majoritairement anglophones détenant une forte audience internationale attirent les grandes marques de luxe du KHOL pour l’animation musicale de leurs événements ciblés nécessitant l’intérêt du grand public.
L’objectif de telles opérations est de séduire une nouvelle clientèle régionale, continentale et internationale, d’habitués ou d’aspirants au luxe et de les accompagner à poser un nouveau regard sur l’Afrique pour proposer un autre imaginaire du continent.
En ce qui concerne le luxe « africain », il a tous les atouts en mains pour faire preuve d’originalité, conjuguant l’excellence technique acquise au contact des grands noms internationaux du secteur avec une créativité débridée, reflet de la diversité et du dynamisme du continent. Il devra aussi pour cela développer le « savoir penser en individuel », entrer dans la compétition internationale, à l’exemple du Made in Ivory Coast, Made in Nigeria…
Pour qu’une pareille vision devienne réalité, plusieurs défis majeurs restent à relever, à commencer par une profonde refonte idéologique et structurelle des États africains en faveur de leur rayonnement économique. Cette transformation ne se fera pas en un seul jour, mais comme l’a souligné l’expert français Jean-Noël Kapferer, « dans le luxe, la vitesse n’est pas une valeur ». Pour devenir un acteur incontournable du luxe mondial, l’Afrique devra s’inspirer des meilleures pratiques géostratégiques internationales, tout en les adaptant à ses réalités économiques et culturelles.
Cette démarche réfléchie axée sur le développement opérationnel, économique et une volonté à toute épreuve plutôt que sur des considérations émotionnelles, sera la clé afin de créer une industrie à la fois authentique et compétitive sur la scène mondiale. Certains pays de la zone subsaharienne ont déjà des cartes en main pour réussir cette transformation et écrire un nouveau chapitre de leur histoire économique et de celle du continent dans un contexte géopolitique international qui évolue. Il ne s’agit plus de faire des Africains uniquement des consommateurs ou des ambassadeurs, mais bien des acteurs du secteur à part entière.