La politique « America first » de Donald Trump pourrait bien se retourner contre les Etats-Unis

Sous les yeux ébahis de la planète entière, le clan Trump affiche sa volonté de renverser l’ordre mondial. Les attaques contre les alliés historiques de l’Amérique, désormais considérés comme des ennemis ou de simples vassaux économiques, la réhabilitation de Vladimir Poutine et la mise en scène, en Arabie saoudite, du nouvel axe Washington-Moscou, sans oublier la fin brutale de USAID, l’Agence des Etats-Unis pour le Développement international, en sont l’illustration.

Les Etats-Unis deviennent désormais, et de manière revendiquée, un pays prédateur, aspirant à extorquer les ressources naturelles (Ukraine, Groenland), à exploiter des territoires (Panama) et à en annexer d’autres (Canada, Gaza). Ils pratiquent le chantage, le mensonge et les insultes, y compris en public, pour parvenir à leurs fins. Le message est limpide : pour Donald Trump, les dictatures ont plus de valeur que les démocraties et les « petits pays » ne méritent que d’être soumis, ainsi qu’en atteste l’usage fréquent, dans la bouche du président, du mot « take » (« prendre »).

Les valeurs libérales comme les règles de droit sont piétinées. Le principe de relations internationales transactionnelles, privilégié pendant le premier mandat (2017-2021), demeure, mais uniquement avec les dictatures. Convaincu d’être floué par les partenaires traditionnels des Etats-Unis, Donald Trump cherche à les humilier. Le vice-président américain J. D. Vance marche sur ses traces lorsqu’il refuse, lors de son passage à la conférence de Munich sur la sécurité, de rencontrer le chancelier sortant, le social-démocrate Olaf Scholz, et lui préfère les dirigeants du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD) à quelques jours des élections fédérales outre-Rhin. Il n’existe pas, pour eux, de diplomatie du « gagnant-gagnant » : il y a nécessairement un perdant. Comme le note le « New York Times », « l’effondrement de l’Europe serait, pour le trumpisme, une démonstration de validité ».

Face à un Congrès pétrifié, la Maison-Blanche estime avoir les mains libres. « La loi fédérale, c’est nous » et « Vive le roi » figurent parmi les dernières petites phrases de Trump, qu’il faut prendre à la lettre : il est convaincu d’incarner un nouveau messianisme pour transformer le monde. C’est cependant là sa première faiblesse : Trump n’est pas un tacticien, il abat dès le départ toutes ses cartes sur la table.

Or, en géopolitique, rien n’est écrit. Et ses choix pourraient lui coûter cher. L’Ukraine sera peut-être pour le républicain ce que l’Afghanistan fut pour son prédécesseur démocrate Joe Biden en août 2021. Bien sûr, avec Trump, seul comptera le récit qu’il en fera. Mais (surtout avec la Russie) les faits seront têtus. Quant à la décision de supprimer USAID, elle porte en elle une catastrophe, à moyen terme, non seulement pour l’image et la prospérité, mais aussi pour l’influence et la sécurité des Etats-Unis dans le monde. Lorsque le président John F. Kennedy a créé cette agence en 1961 pour faire de l’Amérique un « leader sage et un bon voisin », il visait aussi à défendre les intérêts stratégiques de son pays. Au final, le ressentiment pourrait être si grand et si partagé contre les Etats-Unis qu’ils seront de plus en plus isolés sur la scène internationale, voire la cible d’attaques, sur leur sol ou en dehors, qu’il ne sera plus possible d’anticiper et de contrer.

En effet, sans USAID, les épidémies, la famine et la misère vont s’étendre. La pauvreté laissera les populations à la merci des groupes mafieux et terroristes pour l’accès aux ressources vitales, dans de nombreux pays africains et asiatiques et sans doute ailleurs. Cela occasionnera, partout, des déplacements forcés, des soulèvements, de l’instabilité. Aujourd’hui, de l’Irak à la Libye, de l’Indonésie à Taïwan, la sécurisation de certains territoires (camps d’enfermement de 10 000 djihadistes en Syrie, par exemple) et le fonctionnement même d’une partie du renseignement et du contreterrorisme américains sont à l’arrêt. Avec les purges dans la haute hiérarchie militaire et le renseignement, l’allégeance l’emportant sur la compétence, les Etats-Unis auront du mal à garder et même à recruter des profils talentueux. Les ONG et fonctionnaires bénéficiaires de l’USAID étaient en outre des sources locales d’information précieuses pour comprendre, anticiper et prévenir les crises et les conflits. En Europe centrale et orientale et en Asie centrale, le journalisme libre, lui aussi concerné par la suspension des financements, était un outil majeur du soft power américain face à l’influence russe. Il permettait de mener des enquêtes sur la corruption et le crime organisé.

Avec Donald Trump, l’adieu au « soft power »

Qui, par ailleurs, profitera de cet abandon et cherchera à combler le vide, en matière de soft power, laissé par les Américains ? La Chine, très probablement, qui s’assurerait ainsi du soutien de davantage de pays au sein de l’ONU, mais d’autres dictatures pourraient aussi s’y intéresser. Car ni les organisations internationales ni les grandes institutions philanthropiques n’ont les moyens de compenser la fin des politiques de développement et d’aide américaines. Pour le moment, le monde est sidéré, mais, très vite, il se réorganisera. Sur ce terrain-là aussi, l’Europe a une énorme carte à jouer.

BIO EXPRESS

Marie-Cécile Naves, politiste, est directrice de l’Observatoire Genre et Géopolitique à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (Iris). Elle a signé plusieurs ouvrages dont « Trump, la revanche de l’homme blanc » (Textuel, 2018), « la Démocratie féministe. Réinventer le pouvoir » (Calmann-Lévy, 2020) et « Géopolitique des féminismes » (Eyrolles, 2023).

Par Le nouvel Obs avec challengesradio.net

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