Au Niger, faut-il « s’inquiéter » du retrait du permis d’exploitation d’uranium à Orano ?

Les autorités nigériennes ont adopté le projet de décret portant retrait du permis d’exploitation de la mine d’uranium d’Imouraren à Orano. Face à leur détermination, la multinationale française n’épargne pas l’idée d’une action en justice, alors que les Russes négocient discrètement leur positionnement sur l’uranium nigérien dans un contexte où le nucléaire prend de l’ampleur. A quoi s’attendre ?

Le Conseil des ministres de ce lundi à Niamey s’est ouvert sur le dossier Orano, l’entreprise française qui s’est vue retirée, il y a quelques jours, son permis d’exploitation de la mine d’uranium d’Imouraren, au Nord du pays. Séance tenante, le gouvernement a adopté le projet de décret portant retrait du permis dudit permis. « Nonobstant les reports accordés à Imouraren SA à sa demande, cette société n’a jamais honoré ses engagements en dépit des mises en demeure à elle adressées par le ministère en charge des Mines le 11 février 2022 puis le 19 mars 2024 », explique le gouvernement, rappelant que les travaux auraient dû initialement démarrer en janvier 2011 pour une première production en 2012.

Les inquiétudes d’Orano

Cette décision des autorités nigériennes met un terme à plus de 50 ans d’activités d’Orano au Niger, alors que l’uranium nigérien assure un tiers de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires françaises. La firme qui, depuis son communiqué du 20 juin observe le silence, a rappelé qu’après la réouverture des infrastructures début juin, elle s’apprêtais à accueillir les équipes de construction pour « faire avancer les travaux ». L’entreprise se dit également préoccupée par l’incidence de cette décision dans la région minière. « Orano s’inquiète de l’impact négatif qu’aura cette décision de retrait du permis d’exploitation du gisement sur le développement économique, social et sociétal de la région », indique dans son communiqué la firme dirigée par Nicolas Maes, regrettant que le retrait de son permis intervienne dans « les conditions actuelles du marché, avec une hausse favorable du cours de l’uranium ».

L’économiste nigérien Ibrahim Amadou Louché voit un éventuel « impact négatif » à deux niveaux : d’abord en termes de signal renvoyé à la communauté internationale des investisseurs. « Cette décision peut être repoussante pour les investisseurs qui aspirent à investir au Niger que ce soit dans le domaine des mines ou autres domaines en lien avec les ressources naturelles », explique-t-il à La Tribune Afrique, ajoutant qu’une incidence défavorable pourrait également être enregistrée au niveau des rendements.

« Même si Orano est une société de grande envergure, elle est tenue de se plier aux injonctions des nouvelles autorités qui ont fait du contrôle du secteur minier une leur ligne de conduite. Ils sont prêts à aller jusqu’au bout de leur décision dès qu’ils estiment que les parties en présence ne respectent pas les termes du contrat qu’ils estiment en vigueur »

Un vieux dossier ramené sur la table plus radicalement

Il y a dix ans déjà, l’ancêtre d’Orano, Areva, s’était retrouvé au cœur de l’actualité, suite à la renégociation que souhaitait le gouvernement d’alors, sous la pression de la société civile. La volonté nigérienne était d’augmenter la redevance de 5,5% à 12% de la valeur du minerai extrait. « L’enjeu de ces discussions est de conclure une convention plus avantageuse pour le Niger », déclarait sur TV5Monde Mohamed Bazoum, alors ministre des Affaires étrangères sous l’ex-président Mahamadou Issoufou. « Bien qu’actionnaire des deux sociétés d’Areva au Niger et bien que l’uranium nous appartienne, nous sommes dans une position marginale dans la gouvernance », expliquait-il, revendiquant le droit d’avoir l’œil sur la gestion des filiales d’Areva, afin d’approuver ou non et en connaissance de cause, lorsque la multinationale « invoque la situation financière pour accepter ou non » les propositions de l’Etat nigérien. L’accord avait été conclu, mais avait été critiquée notamment par l’ONG Oxfam qui dénonçait « l’opacité des discussions ».

Au-delà de l’économie, une affaire géopolitique

Mais contrairement à il y a dix ans, le Niger est aujourd’hui courtisé par la Russie. Selon de récentes révélations de Bloomberg, Rosatom – la société publique russe spécialiste du nucléaire – est en négociations secrètes depuis un moment avec les autorités de la transition afin de mettre la main sur la mine d’uranium d’Imouraren qui est, pour rappel, la plus grande mine d’uranium au monde avec des réserves estimées à 200.000 tonnes. Des révélations qui n’ont pas vraiment surpris, puisqu’en janvier dernier, Moscou annonçait l’intensification de sa coopération avec Niamey. Une rencontre ministérielle des deux parties avait d’ailleurs eu lieu dans la foulée, en Russie.

Au-delà de l’aspect économique de ces négociations, il y a surtout un enjeu géopolitique en raison de ce que l’énergie nucléaire représente pour l’avenir de la planète, dont la Russie et la France restent de gros acteurs. « L’uranium revêt un caractère stratégique important sur le plan géopolitique. Depuis les événements du 26 juillet 2023 (date du coup d’Etat entraînant la destitution du président Bazoum, NDLR) il y a eu les tensions avec la France et les autorités nigériennes ont renforcé leurs relations avec de nouveaux partenaires dont la Russie. Ainsi l’utilité de l’uranium qui peut servir de combustible pour le nucléaire et pour lequel la Russie est le premier acteur mondial, il y a de quoi susciter des appétits », analyse Ibrahim Amadou Louché.

Si l’affaire s’en tient là, l’enjeu pour le Général Abdourahmane Tchiani au pouvoir au Niger sera d’arriver à négocier un accord gagnant-gagnant pour l’exploitation de l’uranium et qui intègre bien la donne environnementale, selon l’économiste. « Depuis le début de l’exploitation minière au Niger, il y a eu davantage d’externalités négatives telles que la pollution, plutôt que des bénéfices réels et avérés. De plus, la population qui vit dans les zones d’extraction minière n’aspirent qu’à de meilleures conditions de vie. Les nouvelles autorités pourront-elles obtenir tout cela ? », s’interroge-t-il, estimant que « l’incertitude domine à ce niveau surtout ».

Que fera Orano ?

Pour l’instant, il semble qu’Orano n’ait pas dit son dernier mot. Si la multinationale détenue par l’Etat français observe le silence depuis son unique communiqué le 20 juin, elle a dit se réserver « le droit de contester la décision de retrait du permis d’exploitation devant les instances judiciaires compétentes, nationales ou internationales ». Comme en 2014, assistera-t-on à un nouveau bras de fer entre l’entreprise française et l’Etat nigérien ?

 

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