Albert Muchanga est le Commissaire au commerce et à l’industrie de la Commission de l’Union africaine (UA). A Addis Abeba où La Tribune Afrique l’a rencontré, le diplomate zambien dont le portefeuille intègre aussi le tourisme et le développement économique revient notamment sur les ambitions de l’institution panafricaine en matière de transition verte et évoque le positionnement du continent dans le nouvel ordre mondial qui se met progressivement en place.
Il est désormais question de développement industriel durable, au moment où le continent vise la réalisation de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Comment travaillez-vous au sein de l’institution pour en faire une priorité pour tous les pays du continent ?
ALBERT MUCHANGA – Nous avons la stratégie africaine sur les produits de base qui va promouvoir la valeur ajoutée, nous développons une stratégie en matière de minéraux critiques qui est porteuse de beaucoup de changement pour notre continent. Nous allons davantage promouvoir la transition verte. Sur cette base, l’Afrique adopte une industrialisation inclusive et durable. Nous nous industrialisons de manière à protéger l’environnement au profit de notre peuple. Nous devons nous éloigner des combustibles fossiles. C’est un fait. Et nous franchissons le pas dans le domaine des batteries électriques pour véhicules avec le projet de la République démocratique du Congo (RDC) et la Zambie. Il existe d’énormes opportunités ailleurs en Afrique, comme l’hydrogène vert en Namibie et ailleurs.
Les pays africains profitent donc de l’occasion pour dire que nous utilisons nos ressources naturelles pour mettre l’Afrique sur le chemin de la transition verte. Mais cela ne signifie pas que nous négligeons le fait que le pollueur paie. Ces pays qui sont responsables de la situation actuelle de la planète, alors que nous nous dirigeons vers la transition verte, ont l’obligation de libérer les ressources financières nécessaires pour aller vers la transition verte.
Vous évoquez le projet de fabrication de batteries électriques porté par la RDC et la Zambie. Annoncé l’an dernier, peu d’informations filtrent quant à l’horizon de concrétisation. Qu’en est-il ?
Les discussions avancent. Après le protocole d’accords, le projet court désormais vers sa mise en œuvre et il suscite beaucoup d’intérêt à travers le monde : les États-Unis, l’Union européenne, la Corée du Sud et même le Japon sont intéressés. Il n’y a peut-être pas beaucoup de communication tout autour, mais les choses avancent. Et le secteur privé africain est bienvenu pour investir dans ce projet d’envergure.
Les zones économiques et spéciales sont devenues très stratégiques pour le développement industriel des pays. Comment s’assurer que ces projets -fait de beaucoup d’incitations fiscales- bénéficient profondément aux économies nationales ?
Les incitations devraient être conçues de telle manière qu’elles ne sapent pas la base fiscale des pays, car ces derniers ont encore besoin de cet argent pour investir dans les infrastructures, l’éducation, la défense et la sécurité. Nous insistons aussi sur le fait que les gouvernements devraient veiller à ce que les zones économiques spéciales soient alignées sur les besoins nationaux en matière d’industrialisation. Nous avons trois initiatives qui vont aider à cela. Nous avons la nouvelle alliance pour la transformation agro-industrielle annoncée par la Banque africaine de développement (BAD), puis le programme commun des agro-parcs annoncé par l’Union africaine. Ces deux programmes intègrent les systèmes alimentaires des intrants aux installations de stockage, à la production et aux ventes à l’extérieur. La troisième initiative est donc le projet de batteries de véhicules électriques entre la République démocratique du Congo (RDC) et la Zambie. Il s’agit d’une nouvelle génération de zones économiques spéciales et l’Afrique devrait vraiment essayer de les adopter et les utiliser comme référence, comme pierre angulaire pour la production rapide de produits agricoles et alimentaires. Grâce à cela, notre continent pourra assurer sa sécurité alimentaire, et c’est possible.
Le tourisme reste un secteur stratégie pour l’économie de nombreux pays africains. Les orientations observées actuellement sur le continent répondent-elles aux ambitions de l’Union africaine ?
Le tourisme est très important et fait partie de mon portefeuille. Je suis donc en contact avec les promoteurs du tourisme à travers l’Afrique au sein des gouvernements et du secteur privé, afin que nous développions un programme solide de flux touristiques intra-africains. A cela s’ajoutent les industries culturelles et créatives [les ICC, Ndlr]. Nous les promouvons avec mon collègue des affaires sociales, afin que cela devienne un élément constitutif de la promotion du commerce intra-africain. Il existe une énorme opportunité de promotion du commerce intra-africain des industries et des produits culturels et créatifs.
Alors qu’un nouvel ordre mondial se met progressivement en place dans un contexte de tensions géopolitiques et leurs incidences sur les chaînes de valeur et les chaînes d’approvisionnement, comment concevez-vous le positionnement de l’Afrique ?
Premièrement, l’Afrique est désormais membre permanent du G20. Nous aurons notre mot à dire à ce sujet. Nous allons avoir une institution mondiale de gouvernance. Deuxièmement, nous devons assurer notre sécurité alimentaire et c’est la raison pour laquelle nous avons les différents programmes précités qui visent à garantir notre sécurité alimentaire, car lorsque nous sommes capables de nous nourrir, nous sommes plus forts et plus résilients face aux perturbations des chaînes d’approvisionnement alimentaire. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons créé la Zone de libre-échange continentale africaine, qui va être un formidable marché de 1,4 milliard de personnes. Cela va promouvoir l’industrialisation, le commerce interafricain grâce auquel nous serons plus résilients aux chocs extérieurs venant de l’étranger.