L’élection de Joe Biden a suscité l’enthousiasme sur le continent, en dépit de la faible expérience africaine du 46e président des Etats-Unis. Quelle équipe le nouveau président a-t-il choisie et pour quels objectifs ? Doit-on attendre davantage qu’un maintien des Etats-Unis dans les opérations onusiennes de maintien de la paix en Afrique ou l’Amérique de Biden sera-t-elle-aussi, celle de l’America First « again » ?
De Dakar à Addis-Abeba, en passant par Libreville, l’élection de Joe Biden à la Maison-Blanche a suscité une vague d’enthousiasme sur le continent africain. « C’est une réaction très sentimentale, car il a été le vice-président de Barak Obama, qui a des origines kenyanes. Par ailleurs, cet enthousiasme est également une réaction face au mépris manifesté par Donald Trump qui avait qualifié l’Afrique de « pays de merde » (…) Cela dit, dans un contexte de crise économique et sanitaire mondiale, les Africains ont bien compris qu’avec Joe Biden, ça serait encore America First » explique le journaliste Antoine Glaser (ndr : fondateur de La Lettre du Continent).
Au-delà de ses déclarations « peu diplomatiques », quel est le bilan africain de Donald Trump ? S’il ne cachait pas sa volonté de réduire la participation des Etats-Unis dans les opérations multilatérales, comme en témoignent leurs retraits de l’Accord de Paris le 4 novembre 2020 et de l’OMS le 7 juillet 2021, il n’en a pas moins conservé les « éléments-clés » de la politique commerciale américaine en Afrique en maintenant le programme Young African Leaders Initiative (YALI), le Millenium challenge corporation (MCC) ou encore l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), lancée au début des années 2000 sous l’administration Clinton. En août 2019, le forum économique AGOA avait d’ailleurs réuni 39 pays africains à Abidjan, aux côtés des USA (3e partenaire du continent, après la Chine et l’UE), de l’Union africaine (UA) et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
C’est aussi sous le mandat de Donald Trump que l’USAID a lancé l’initiative « Prosper Africa », un programme doté d’un budget de 500 millions de dollars, pour établir de nouveaux partenariats commerciaux et pour renforcer les investissements entre les Etats-Unis et l’Afrique. « On ne peut pas dire que Trump ait bouleversé ce qu’avait entrepris son prédécesseur […] Sur le plan politique, les relations étaient à l’étiage, mais sur le plan économique, il est resté très vigilant concernant les intérêts des entreprises américaines en Afrique. Il a aussi surveillé la montée en puissance de la Chine », estime Antoine Glaser.
Une politique africaine de containment face à la Chine
En pleine guerre d’influence avec la Chine, l’Afrique est devenue la dernière frontière commerciale des Etats-Unis. Selon l’Historien spécialiste des questions américaines, François Durpaire, « les Etats-Unis n’ont jamais eu grand intérêt pour le continent africain. La nouveauté, c’est la Chine ! Les Etats-Unis adoptent une politique d’endiguement face à la Chine en Afrique, qui a déjà pris une large avance commerciale […] Ils observent la Chine qui se contente pour l’instant, d’une influence financière et commerciale en Afrique et qui nourrit un intérêt particulier pour les matières premières et pour l’énergie, mais qui place encore la dimension politique au second plan [de ses priorités]». L’administration Trump laissera néanmoins « un fort esprit patriotique, et un discours très volontariste face à la puissance chinoise dans l’opinion publique américaine », poursuit-il.
La Corne de l’Afrique devrait encore concentrer toute l’attention africaine de Washington. A Djibouti, où 4.000 GI’s et plus de 2.000 soldats chinois sont positionnés à quelques km de distance sur les rives du détroit de Bab el-Mandeb, les tensions avec Pékin sont palpables. Cette région qui représente l’un des principaux passages pétroliers via le canal de Suez, a toutefois perdu de son attractivité, dès lors que les Etats-Unis sont devenus presque auto-suffisants en matière d’hydrocarbures, en exploitant le gaz de schiste sur leur territoire. Jusqu’à cette réorientation énergétique, les Américains considéraient qu’à terme, le golfe de Guinée pourrait représenter 25% de leurs importations pétrolières, et s’étaient engagés dans des pays pétroliers comme le Nigéria ou la Guinée équatoriale. Depuis une 15aine d’années, les matières premières africaines ont vu leur intérêt géostratégique décliner aux yeux des Américains, à l’exception des métaux rares comme le coltan ou le palladium, qui attisent de nouvelles rivalités entre Pékin et Washington.
Quelle équipe africaine entoure Joe Biden à Washington ?
« Joe Biden n’a pas une grande expérience de l’Afrique »; estime Antoine Glaser. Il s’est néanmoins entouré d’Afro-descendants et d’Africains comme l’avocat d’origine nigériane, Wally Adeyemo devenu Secrétaire adjoint au Trésor, l’Afro-Américaine Linda Thomas-Greenfield nommée Ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Osaremen Okolo, d’origine nigériane, promue Conseillère Covid-19, ou encore l’Américano-Guinéen Mahmoud Bah, Directeur de la Millennium Challenge Corporation (MCC). C’est l’Américaine Samantha Power (Prix Pullitzer 2002, proche de l’ancienne Secrétaire d’Etat Madeleine Albright et du président Obama) qui se retrouve à la tête de l’USAID, l’Agence de développement des USA, particulièrement active en Afrique. « Il faut voir ces nominations comme des éléments de politique intérieure, de diversité. Elles n’auront selon moi, pas de réelles incidences sur les relations bilatérales Etats-Unis-Afrique, surtout dans une période de crise financière et de pandémie », prévient Antoine Glaser.
Pour François Durpaire, Joe Biden a lancé des signes encourageants en matière de relations internationales, dès son arrivée à Washington. Le nouveau président a d’abord aboli le « Muslim Ban » (un décret signé par Donald Trump, interdisant l’entrée sur le territoire américain aux ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane) et a ensuite désigné rapidement plusieurs spécialistes de l’Afrique à ses côtés, à l’instar de Dana Banks, directrice pour l’Afrique du Conseil de sécurité nationale. « Si l’Afrique n’intéressait pas vraiment Donald Trump, son administration a continué à travailler avec le continent », précise l’historien. En effet, les liens diplomatiques avec le continent n’ont jamais été rompus et l’administration Trump, dans le cadre d’une diplomatie triangulaire, a largement influencé le Soudan et le Maroc à renouer leurs relations diplomatiques avec Israël en 2020, « le Royaume chérifien y gagnant la reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara Occidental », souligne François Durpaire.
Du retour au multilatéralisme à l’interventionnisme libéral
« Joe Biden ne pourra pas reprendre le fil de la politique africaine d’Obama, car entre-temps, Donald Trump est passé par là. L’opinion publique américaine n’est pas convaincue qu’il faut intervenir sur tous les terrains de la planète. Ce ne sera pas le 3e mandat d’Obama. Je pense qu’il cherchera avant tout à redonner du corps aux institutions internationales, dans une démarche multilatérale », explique François Durpaire. « J’imagine mal qu’il puisse revenir sur la décision de décembre 2020 concernant la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, par exemple », ajoute-t-il.
Contrairement à Donald Trump, Joe Biden nourrit un certain intérêt pour les relations internationales. Pendant la campagne, le candidat Biden déclarait : « l’Amérique est de nouveau prête à guider le monde », ce qui fait dire à François Durpaire qu’« on assiste sans doute au retour de l’interventionnisme libéral dans la tradition wilsonienne, rooseveltienne ou même clintonienne ».
Sous la présidence Obama, Joe Biden alors vice-président d’Obama, s’était opposé à l’intervention en Libye. « Il y a eu des désaccords avec la Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton. Barack Obama avait fait le choix de suivre la France sur ce terrain, un choix qu’il a ensuite amèrement regretté. Avec le recul de l’Histoire, Joe Biden avait sans doute raison de conseiller la prudence en la matière », poursuit François Durpaire. Dès le 28 janvier, soit 2 semaines après son investiture, Joe Biden à l’ONU s’attaque au dossier « libyen » en demandant le retrait immédiat des forces russes et turques du pays.
Enfin, en matière de lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis apportent un soutien discret à l’Ethiopie, à la Somalie ou au Kenya qui luttent contre les Shebabs, restant en 2e ligne des opérations menées sur le terrain, depuis l’échec de « Restore Hope ». Cette initiative lancée le 9 décembre 1992 avait mobilisé plus de 20 000 marines débarqués en Somalie sous les objectifs des caméras, pour restaurer la paix et pour secourir des populations affamées. L’affaire s’était conclue par la déroute des soldats américains fin 1993, acculés au retrait par les groupes armés locaux. « La principale conséquence de l’échec de l’opération somalienne sera le génocide rwandais quelques mois plus tard. Les Américains ont voulu prendre les plus grandes précautions au regard d’une jurisprudence somalienne », analyse François Durpaire.
Blinken assure Le Drian du maintien des Etats-Unis dans le Sahel
A défaut d’interventionnisme affiché, les Etats-Unis apportent des appuis logistiques indispensables et des renseignements précieux à la France, engagée dans l’opération Barkhane. « Du point de vue des Américains, le Sahel reste vraiment le problème des Européens, car ils considèrent cette région comme la frontière sud de l’Europe » explique Antoine Glaser. Cela étant, les Etats-Unis ont déployé 1 300 soldats dans la région, l’armée américaine forme des soldats africains, et met ses gros porteurs à disposition de l’armée française, opérant des missions de surveillance via la base de drones d’Agadez. Son rôle en matière logistique et financière est crucial. Il en coûterait 45 millions de dollars chaque année pour les Etats-Unis de soutenir l’opération Barkhane dans une région.
« Les Américains sont les premiers contributeurs en matière de financement des opérations de maintien de la paix [OMP, ndlr] qui représentent aujourd’hui le principal secteur de la diplomatie d’influence de la France», explique Antoine Glaser. Fin 2019, l’annonce d’un retrait progressif des Etats-Unis dans le Sahel avait donc fait l’effet d’une bombe à Paris, mais l’arrivée de Joe Biden a relancé les discussions franco-américaines sur la question sahélienne. Dès le mercredi 27 janvier 2021, lors d’un échange avec le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, Anthony Blinken, le nouveau Secrétaire d’Etat américain, a confirmé la volonté des Etats-Unis de « poursuivre la forte coopération » avec l’Hexagone, en matière de lutte contre le terrorisme au Sahel. Une déclaration qui est de nature à rassurer l’Elysée, à quelques jours du prochain Sommet du G5 Sahel à Ndjamena.
Toutefois, si le retour annoncé des Etats-Unis dans les opérations multilatérales enthousiasme les partenaires africains, « il ne s’accompagnera pas nécessairement d’un renforcement des relations bilatérales en Afrique », estime Antoine Glaser, l’Asie concentrant toujours « la plus grande attention de Washington », sur fond de pandémie de Covid-19.
Marie France Reveillard