L’heure n’est plus aux résolutions de fin de colloques, aux déclarations non suivies d’effet, encore moins à la résignation. L’Afrique l’a bien comprise. Et face à la menace, elle se mobilise. Aujourd’hui, il est possible d’agir et de trouver des solutions pérennes. Développement économique et lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas antinomiques. Tribune de Jean-Louis Moulot, maire de Grand-Bassam (Côte d’Ivoire).
On le sait, l’Afrique contribue à moins de 5% du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre et c’est l’une des régions du monde les plus touchées par le changement climatique. L’océan dont la montée est presque imperceptible, l’érosion côtière, la raréfaction des ressources halieutiques sont des bombes à retardement pour les populations littorales, et plus globalement pour les économies de nos pays. Toutes les projections montrent que les littoraux africains seront de plus en plus peuplés dans les années qui viennent.
Chaque année, derrière ces quelques millimètres d’eau supplémentaires sur nos côtes, derrière ces quelques dixièmes de degré de plus sur notre continent, c’est bien de déstructuration potentielle des tissus environnementaux, économiques et sociaux, dont il est question. C’est de déplacements de populations, de pauvreté et d’insécurité multiforme dont il s’agit. Les conditions de vie de centaines de millions d’Africains sont en jeu. Selon toutes les études, le rendement des cultures en Afrique pourrait diminuer de 10 à 20% d’ici un quart de siècle, alors que dans le même temps l’accroissement démographique explosera.
L’heure n’est donc plus aux résolutions de fin de colloques, aux déclarations non suivies d’effet, encore moins à la résignation. L’Afrique l’a bien compris. Et face à la menace, elle se mobilise. Aujourd’hui, il est possible d’agir et de trouver des solutions pérennes. Développement économique et lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas antinomiques.
Grand-Bassam, première capitale historique de la Côte d’Ivoire, ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco, et cité lagunaire et balnéaire dont je suis maire, est confrontée, comme toute la côte du Golfe de Guinée à la montée des eaux. Nous sommes aux avant-postes du combat, et nous agissons. Sans entrer dans des considérations techniques, des actions sont en cours pour stopper l’érosion du littoral bassamois et l’euthrophisation de la lagune. Nous conserverons et développerons ainsi la ressource halieutique, gérerons intelligemment notre écosystème, créerons des emplois, faisant de notre commune une des réussites en matière de développement durable et d’action contre le changement climatique. Tout ceci en concertation avec tous les acteurs, sans bruit et sans esbroufe.
Cet exemple de lutte « par le bas » – il en existe d’autres, fort heureusement, le long du golfe de Guinée – démontre que l’on peut agir si trois conditions sont réunies.
Tout d’abord, l’Afrique a besoin de leaders volontaires et de voix qui portent. Sans réelle volonté politique, sans prendre le problème à bras le corps en dépassant les divisions artificielles, rien ne pourra se faire. Dès lors, nos dirigeants ont un rôle capital à jouer. Certains en ont pris véritablement conscience que ce soit au Sénégal, au Rwanda, au Gabon, par exemple, ou dans mon pays la Côte d’Ivoire. Cependant la question ne se pose pas à l’échelle d’un pays, mais à un niveau continental, et l’on peut regretter que nos institutions supranationales soient trop timides sur ce point au regard de l’ampleur des défis. En effet, le soleil, les pluies et les vagues ne connaissent pas de frontières.
Il en va de même pour les grands leaders d’opinion africains, nous avons besoin de voix fortes issues de la société civile qui portent nos combats collectifs. Les pays du Sud, et l’Afrique en particulier, attendent leurs Greta Thunberg, capables de porter haut et fort les spécificités de notre continent en matière de développement environnemental.
Ensuite, nous devons œuvrer tous ensemble. Acteurs privés et publics, nationaux et internationaux, ministères et administrations concernés, populations. On ne peut s’en remettre uniquement à l’Etat. Sans la mobilisation des acteurs privés, nous n’y parviendrons pas. Nombre de dirigeants du secteur privé africain en sont bien conscients, et avec eux nous pouvons mettre en œuvre les investissements et innovations nécessaires. Entrepreneurs, petits ou grands, regorgent d’idées en matière d’initiatives visant à adapter nos modes de production aux défis à venir. Et tous ont pleinement conscience du problème. Les agriculteurs ou les pêcheurs savent déjà ce que c’est que de voir les ressources devenir plus incertaines…
Enfin, tout ceci ne pourra se faire si l’on n’engage pas les populations dans le combat, si on ne leur explique pas les tenants et les aboutissants, si on ne les sensibilise pas. En tant que maire de Grand-Bassam, avec mes équipes, j’arpente sans relâche les rues de ma commune, je discute avec tous mes administrés leur expliquant les actions entreprises en la matière. Et toujours, je reçois un accueil favorable, car tous voient les bénéfices qu’ils peuvent en retirer : le premier étant de ne plus voir leur ville et leurs demeures régulièrement inondées. Les Africains, plus encore peut-être que les habitants des vieux pays du Nord, sont réceptifs et ont conscience des enjeux.
En Côte d’Ivoire, où le gouvernement mène une action déterminée en matière d’adaptation de notre agriculture et de nos infrastructures, de reforestation et d’assainissement, pour ne prendre que ces quelques thèmes, tous les acteurs sont en train de se mobiliser autour de projets innovants. Juste un exemple : demain on pourra via un réseau de capteurs numériques prévoir précisément les inondations et donc mieux anticiper les réponses et la riposte. Toutes ces actions, tous ces projets sont par ailleurs créateurs d’emplois pour notre jeunesse. Il en va de même, je le redis, dans nombre d’autres pays du continent où l’on ne se contente plus de bricoler avec les moyens du bord, attendant placidement que les grands bailleurs débloquent les aides promises. Non, nous travaillons d’arrache-pied et coopérons chacun à notre niveau dans un but commun via des politiques structurées et un agenda précis. Et cela fonctionne.
Saint-Louis du Sénégal n’est pas condamnée à perdre ses rivages, Abidjan ou Grand Bassam leurs lagunes, Lomé n’est pas vouée à finir sous les eaux, ni le Sahel dans les sables.
N’ayons pas peur d’être ambitieux, nous en avons les moyens.
(*) Maire de Grand-Bassam (Côte d’Ivoire).