Déogratias Mutombo : « La RDC a réuni l’essentiel des cartes pour l’appui du FMI » [Exclusif]

Gouverneur de la Banque Centrale du Congo (BCC) depuis le 14 mai 2013, Déogratias Mutombo doit composer avec la difficile conjoncture mondiale pour assurer les éléments qui contribueront à la stabilité macroéconomique et celle du système bancaire du plus grand pays francophone au monde, conditions, entre autres, pour négocier l’appui du Fonds monétaire international (FMI).

Dans ce grand entretien exclusif avec La Tribune Afrique, le banquier central congolais évoque les défis de l’économie de la RDC et ceux de la BCC à l’aune de 2021. Il dresse également un état du système financier et revient entre autres sur des dossiers brûlants tels que la dissolution de la Banque Internationale pour l’Afrique au Congo (BIAC)…

 

 Le FMI a conditionné l’octroi à la RDC d’un programme formel triennal assorti de la Facilité élargie de crédit (FEC), par le maintien de la stabilité macroéconomique, la transparence minière, la mise en œuvre des mesures pour renforcer la gestion de la dette extérieure et de la restructuration de la BCC. Toutes les cartes sont-elles réunies à ce jour ?

Globalement, la RDC a réuni l’essentiel de cartes, car le taux de réalisation des mesures visant à rendre le programme de référence avec le FMI satisfaisant et les actions préalables pour la conclusion du programme formel avec ce dernier sont assez avancés. Ont déjà été réalisées entre autres, la publication des nouveaux contrats miniers ainsi que la soumission au Parlement de la Loi de Finances 2021 réaliste avant fin octobre 2020, avec un budget de 7,0 milliards $, des 6,9 milliards $ estimés par le FMI.

Toutefois, le gouvernement et la BCC travaillent d’arrache-pied pour assurer un respect total des autres mesures en cours de réalisation telles que : le renforcement du suivi de la dette extérieure des entreprises publiques par une loi ou un texte réglementaire contraignant la transmission des données sur la dette à la Directeur générale de la dette publique (cette exigence est prise en charge par un arrêté interministériel qui sera signé incessamment) ; l’assurance du financement du budget 2020 à fin décembre courant (appui budgétaire et rationalisation des dépenses). Il est à noter que la volonté du gouvernement demeure le non financement monétaire du déficit public du Trésor. En plus, un effort a été fait et cela a permis la mobilisation d’un appui de la Banque africaine de développement (BAD).

S’agissant particulièrement des mesures préalables à la négociation dudit programme triennal soutenu par la Facilité élargie de crédit (FEC), il convient de noter que plusieurs mesures ont été réalisées, à l’exception de certaines exigences qui sont en cours de réalisation, à savoir : la désignation d’un nouveau Conseil de la Banque et des vices gouverneurs ainsi que des commissaires aux comptes conformément à la Loi organique de 2018 portant fonctionnement et organisation de la BCC ; la communication de la matrice des reformes à moyen terme. Celle-ci a été déjà finalisée au niveau technique et transmise aux autorités pour approbation avant d’être communiqué au FMI. A la lumière de tout cela, nous estimons donc que la RDC est bien engagée pour la conclusion d’un programme triennal appuyé par la FEC.

Sur le plan monétaire, le franc congolais qui s’est fortement déprécié l’an dernier commence tend à se stabiliser, mais les incertitudes demeurent. Quelle stratégie pensez-vous pour garantir le maintien de la stabilité macroéconomique en 2021, après une récession de -1,7% en 2020 ?

De prime à bord, qu’il me soit permis de relever que lorsque l’on considère la situation annuelle à fin décembre 2020, l’on note une dépréciation du franc congolais de 15,2 %. Cela reste énorme bien évidemment par rapport au taux de dépréciation de 2,2 % enregistré en 2019. Dans un contexte extrêmement difficile lié aux effets de la pandémie de Covid-19, le retour à la stabilité a été rendu possible grâce à la mise en œuvre d’une batterie de mesures. Si ces dernières n’avaient pas été prises, la dépréciation de la monnaie nationale se situerait au-delà de 30 % à fin décembre. Sur le marché des biens et services, le taux d’inflation serait bien supérieur à 40%.

La seule stratégie pour pérenniser cette stabilité notamment en cette année 2021 demeure celle basée sur la combinaison de plusieurs mesures, impliquant à la fois le gouvernement et la BCC.

Pour le gouvernement, il s’agira d’élaborer un plan de trésorerie réaliste et cohérent avec le plan d’engagement ; respecter ce plan de façon strict ; poursuivre l’application des dispositifs du pacte de stabilité en s’abstenant d’envoyer à la BCC des ordres de paiement en l’absence d’une provision préalable ; opérationnaliser les bons du Trésor indexés à partir de janvier 2021, pour accroître l’attractivité de cet instrument et ainsi permettre à l’Etat de lever des fonds sur le marché intérieur afin de financer ses projets notamment d’investissement ; accélérer de la mise en œuvre des mesures retenues comme préalables à la conclusion du programme à moyen terme avec le FMI et la Banque Mondiale ; mettre en œuvre les différentes réformes structurelles initiées à ce jour pour davantage booster la production et assurer l’import-substitution.

Pour la BCC, les principales actions seraient de maintenir le verrou central du dispositif mis en place dans le cadre du pacte de stabilité, en ce qui concerne l’exécution sur base caisse des dépenses publiques ; accélérer le processus relatif à la réforme du cadre de la politique monétaire et de change ; préserver l’équilibre entre l’offre et la demande de liquidité par la poursuite d’une politique monétaire et de change prudente.

A l’ONU, le président Félix Tshisekedi demandait récemment une « annulation totale » de la dette pour les pays en développement pour les aider à surmonter la pandémie. Quel impact aurait une éventuelle annulation sur le système financier congolais ?

Le maintien de la stabilité de la monnaie nationale est difficile dans un environnement marqué par l’effritement des réserves de change. En effet, cela prive la BCC des moyens nécessaires pour organiser la riposte, en termes d’intervention directe ou indirecte sur le marché des changes, pour contrer les tensions y observées et ainsi corriger certains déséquilibres de la balance des paiements.

En 2010, lorsque le pays avait accédé au point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés, il avait bénéficié de l’annulation d’une bonne partie de sa dette extérieure, avec un élément commun de réduction, pour tous les créanciers, situé à 83 %. C’était ainsi environ 8,0 milliards $ qui avait été annulés. Cela avait permis au pays de renforcer son matelas de devises. Celles-ci avaient alors évolué jusqu’à atteindre un pic de 1 880,0 millions $ en mars 2014. Et, entre 2010 et 2015, nous avions alors enregistré une période de stabilité remarquable avec des taux de changes et d’inflation ne dépassant pas les 2 %. L’activité des banques s’en était également ressentie.

A fin 2019, le stock de la dette extérieure est évalué à près de 3,7 milliards $. En 2020, un service de la dette extérieure d’un total de 151,0 millions a été effectué jusqu’au 15 décembre 2020.

Vous comprenez par là qu’une annulation de la dette extérieure de la RDC, aurait permis un accroissement de nos réserves, toute chose étant égale par ailleurs, de ce montant payé en 2020. Ce qui aurait pour effet, de disposer d’un peu plus de marge de manœuvre pour intervenir directement ou indirectement sur le marché. En outre, cette annulation aurait pour effet également de solidifier davantage le système bancaire sur la base du fait que les banques notamment auront la possibilité de rencontrer certains de leurs besoins financiers en cas de recours à la BCC.

Est-ce le moyen par excellence pour aider le pays à se relever ?

Clairement, l’annulation de la dette ne suffit pas à elle seule pour le relèvement de l’économie congolaise. Lorsque vous considérer par exemple, le besoin annuel en termes d’importations des biens et services, cela va largement au-delà de l’enveloppe dédié au remboursement annuel de la dette extérieure et voire même du stock global de cette dette.

Le relèvement de l’économie nécessite des investissements importants notamment dans les infrastructures de base où le pays accuse un retard monumental. L’économie se concentre vers le secteur primaire, en produisant et surtout exportant des biens à faible valeur ajoutée, les secteurs secondaire et tertiaire sont relativement laissés pour compte. Conséquence, le pays dépense énormément pour satisfaire ses besoins immédiatement liés à ces deux secteurs. C’est ainsi qu’au niveau de la balance des paiements, vous retrouverez des comptes comme celui des services qui constitue une véritable source de sortie des devises vers l’étranger, suite à l’inexistence d’infrastructures pouvant permettre au pays d’exporter du service.

Il faut absolument développer l’import-substitution afin d’arrêter l’hémorragie de la fuite des capitaux vers l’étranger, en mettant en œuvre les réformes structurelles pourtant déjà identifiées et qui continuent de souffrir de manque de concrétisation.

Où en est le processus de restructuration de la BCC ?

Depuis 2004, la BCC s’était lancée dans un vaste programme visant sa propre restructuration et la restructuration du système financier national. Ce programme était articulé autour de trois axes majeurs que sont : la recapitalisation, la restructuration et la réorganisation (les 3R).

Le processus de recapitalisation prévu en deux étapes est régi par la convention ad hoc signée en février 2011 entre le Gouvernement et la BCC, ainsi que l’avenant signé en juillet 2012. S’agissant particulièrement de l’augmentation du capital de la BCC à 213,0 milliards de francs congolais (CDF), soit 1,75 % du PIB, cela devrait se faire par l’incorporation de la plus-value de réévaluation des immobilisations pour un import de 109,0 milliards de CDF et par l’apport des capitaux frais à hauteur de 104,0 milliards de CDF. La nouvelle loi organique de la BCC a déterminé les 213,0 milliards comme capital de la Banque. Mais, un autre cadre législatif pour l’incorporation dans le capital de la plus-value de réévaluation des immobilisations, est nécessaire. La difficulté majeure reste l’apport des capitaux frais par le gouvernement eu égard à la modicité de ses ressources. Un groupe de travail ad hoc avait été mis en place par le ministère des Finances en vue d’examiner ensemble avec la BCC les modalités de sa mise en œuvre.

Cette opération de recapitalisation implique une restructuration du bilan de la BCC. A ce jour, malgré un contexte difficile, je suis heureux d’affirmer que la BCC n’enregistre plus de pertes d’exploitation et qu’elle a arrêté d’enregistrer le déficit de Trésorerie depuis 2013. Cette restructuration de bilan a consisté avant tout dans la réforme du régime des retraites et le recentrage de la BCC sur ses missions essentielles. La finalité est de maîtriser des charges opérationnelles. Et nous y sommes tant bien que mal arrivés. Reste la consolidation de cet acquis.

Plusieurs autres aspects sont à relever dont la réorganisation interne des services en 2009, par la réduction du nombre d’organes, la réforme du régime de retraite complémentaire ou la réduction d’autres charges opérationnelles. Sur le plan de l’amélioration des recettes de la BCC, des réformes ont été entreprises pour optimiser le placement en devises et la Redevance du Suivi de change.

Par ailleurs, la loi organique n° 18/027 du 13 décembre 2018 portant organisation et fonctionnement de la BCC a intégré toutes les actions liées à la réorganisation et à la recapitalisation. Sa mise en œuvre incombe à la BCC, au Gouvernement et au Parlement. Pour structurer toutes les actions y afférentes, nous avons mis en place, début 2019, un plan d’actions qui précise les cibles, les responsabilités internes et externes ainsi que les échéances. Sa mise en œuvre a toutefois été entravée par la crise sanitaire mondiale liée au Covid-19. Cependant, nous pouvons affirmer que la restructuration de la BCC est en train de se poursuivre, en dépit de nombreuses contraintes financières auxquelles nous faisons face.

Après une année 2020 marquée par une crise mondiale inédite, comment se porte le système bancaire congolais ?

Les effets néfastes de cette pandémie, qui a entrainé des chocs à la fois sanitaire et économique, ne peuvent être sans conséquences sur le secteur bancaire national étant donné leur corrélation. Je puis affirmer qu’à la faveur des mesures prises par la BCC en mars 2020 pour atténuer l’impact de la crise sanitaire sur l’activité économique et garantir la continuité des services financiers, le secteur bancaire est demeuré résilient.

Au regard des derniers chiffres du mois de novembre, les activités au sein de ce secteur ont connu une croissance de 19,32 % par rapport à l’année 2019. Cette croissance est de 16,29 % en se référant au mois de mars 2020 où le premier cas de coronavirus a été détecté en RDC. Les dépôts collectés par le secteur bancaire à fin novembre 2020 ont atteint un volume global de 7 362,20 millions $, en hausse de 20,05 % par rapport à leur niveau de décembre 2019 et de 17,18 % par rapport à mars 2020. Quant aux crédits bruts, ils affichent une hausse de 4,53 %, s’établissant à 3 535,75 millions $ contre 3 382,63 millions en décembre 2019 ou 3 496,33 millions en mars 2020. L’évolution des prêts accordés aux secteurs alimentaire et pharmaceutique, qui constituent un point d’attention, a été stable entre mai 2020 et novembre 2020.

Dans un contexte de crise, le secteur a quand même dégagé à fin novembre 2020, un résultat provisoire positif évalué à 67,38 millions $ contre 94,51 millions à fin décembre 2019.

Quid de la situation prudentielle ?

La situation prudentielle du système bancaire reste satisfaisante avec des ratios de solvabilité Tier 1 et globale situés respectivement à 11,05 % et 13,27 % à fin novembre 2020, légèrement en baisse par rapport à mars 2020 où ces ratios étaient respectivement de 11,95 % et 14, 23 %. La liquidité globale, en monnaies nationale et étrangères ressortent respectivement de 165,48 %, 387,10 % et 151,86 %, supérieurs au minima requis de 100 %.

Le système reste donc globalement stable. Néanmoins, il sied de relever quelques points d’attention, notamment le phénomène de « de-risking » qui pèse sur l’ensemble du système financier à cause de la faible observance des règles en matière de conformité et de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Je vous garantis que la BCC s’est résolument engagée, dans une approche avant-gardiste, trempée dans la culture-risque qui nous caractérise depuis quelques années, à poursuivre les réformes structurelles qui s’imposent.

Le Président Tshisekedi a récemment décidé de la création d’une Société Nationale d’Investissement (SNI) qui servira d’appui au secteur privé. Quel rôle joue la BCC dans la mise en œuvre de ce projet ?

En amont, dans son rôle de Conseiller économique du gouvernement et d’Autorité de régulation et de contrôle du système financier, la Banque Centrale du Congo a assisté les autorités dans l’élaboration de la mouture de ce projet, en particulier en se rassurant de ce que les aspects relatifs à la gouvernance et à la gestion des risques tiennent compte des textes légaux et réglementaires en vigueur.

En aval, il s’agira de se rassurer que ce nouveau véhicule de financement s’intègre bien au paysage financier existant et que les instruments et outils dont elle dispose lui permettent d’atteindre ces objectifs en termes de financement de l’économie, en général, mais en particulier en termes de promotion du développement des secteurs porteurs, tout en tenant compte du genre et de la jeunesse de la population-cible. En outre en tant qu’autorité de régulation, la Société Nationale d’Investissement devra être assujettie à la règlementation et au contrôle de la BCC.

Quelle serait l’étendue des prérogatives de cette nouvelle institution ?

La SNI jouera le rôle d’instrument du gouvernement pour la promotion de l’entreprenariat. Concrètement, le financement qu’elle accordera servira au soutien de l’activité économique via l’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME). Les activités génératrices de revenus ayant un impact positif sur l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD), avec un focus sur l’autonomisation de la femme ainsi que la mise en valeur de la jeunesse et, de façon plus générale, la réduction de la pauvreté, seront privilégiées. Bien entendu, la promotion de la petite industrie bénéficiera d’une attention particulière.

S’agissant des secteurs-cibles, les premiers à soutenir sont ceux dont le concours à une croissance économique inclusive est indéniable, en l’occurrence l’agriculture au sens large (y compris la pêche et l’élevage) avec un accent sur les filières agropoles. La RDC étant une terre d’avenir, l’entrepreneuriat dans le secteur de l’économie verte, des nouvelles technologies financières et l’e-Development sera vivement encouragé. Enfin, le domaine des infrastructures de transport (routes, chemins de fer…) est à appuyer fortement au regard de son impact sur le développement global.

En ce qui concerne les solutions de financement qui seront proposées, la SNI pourra intervenir en matière de prêts, de garanties/assurances, de renforcement des fonds propres, de participation au capital, d’accompagnement (développement des activités au niveau local ou à l’international, notamment pour les entreprises à rentabilité faible). L’idée est de leur fournir soit un accès direct à un financement à des conditions avantageuses, soit d’améliorer leur situation comptable afin de leur permettre de lever des fonds dans le système bancaire classique.

Pour ce qui est des ressources, la SNI bénéficiera, à terme, de l’appui de l’Etat, des partenaires privés locaux désireux d’investir leurs mises et éventuellement des partenaires extérieurs tels que la BAD, l’Agence Française de Développement (AFD), la Société Financière Internationale, bras financier de la Banque mondiale, ou encore de banques régionales telles que la TD-Bank ou encore AfreximBank.

Dans la même veine, d’autres ressources permanentes proviendraient de l’émission de bons d’investissements auxquels les banques commerciales, les sociétés d’assurance, certaines institutions financières de l’Etat (FPI, CNSSAP, CNSS) ou des entreprises publiques pourraient souscrire. En outre, l’instauration d’un « Fonds Commun de Solidarité », au sein de la SNI, alimenté par une fraction du taux d’intérêt que la SNI facturera à chaque client ainsi que les contributions des partenaires au développement, facilitera l’octroi des contre-garanties au système bancaire classique pour stimuler les crédits aux PME. Enfin, la participation de la SNI au capital de certaines entreprises, source à court ou moyen terme des dividendes, servira à des investissements ou des placements fructueux.

La BCC a récemment décidé de dissoudre la BIAC. Une décision cependant très critiquée. D’aucuns pensent que la Banque Centrale aurait dû tout faire pour sauver cette banque commerciale historique, le personnel réclame l’implication du Président Tshisekedi quant à leur sort, etc. Qu’est-ce qui motive votre orientation actuelle ?

Votre question me donne l’occasion de réaffirmer ma conviction profonde : la décision de dissoudre la BIAC reste opportune. Je vous informe que cette banque faisait l’objet d’une vigilance particulière de la Banque Centrale depuis 2008. Et depuis, sa situation générale n’a fait que se détériorer au point de devenir   préoccupante et ceci, nonobstant les différentes missions de contrôle, dont les rapports ont relevé les faiblesses suivantes : une insuffisance des fonds propres par rapport aux immobilisations corporelles traduisant ainsi le financement des actifs immobilisés par les dépôts de la clientèle ; un risque élevé de vulnérabilité de la banque consécutif à la concentration des risques autour des principaux clients que sont les sociétés du Groupe Blattner Elwin (GBE) ; une absence de clarification sur les actionnaires, notamment Sofia S.A., actionnaire majoritaire et Chanterette Entreprises, ainsi que le manque de leurs états financiers ; une situation financière précaire nécessitant une attention particulière des actionnaires et une insuffisance des fonds propres par rapport au niveau des risques requérant une augmentation urgente du capital ; l’octroi d’importants crédits, évalués à plus ou moins 60 millions $, aux sociétés GBE ; l’attribution des pouvoirs étendus au Président Administrateur Délégué au risque de le confondre au Conseil d’Administration et l’immixtion de Monsieur Elwyn Blattner dans la gestion courante.

Toutes ces faiblesses ont conduit la BCC à formuler des recommandations afin de rétablir le respect des normes prudentielles, veiller à l’augmentation du capital, limiter la concentration de risques de crédit au Groupe BLATTNER et apparentés, transmettre sans délai à la BCC le rapport annuel de l’actionnaire majoritaire et veiller à la séparation des pouvoirs entre organes délibérant et exécutif.

Malgré de multiples rappels de l’Autorité de régulation et de contrôle, la BIAC n’a jamais mis en place un plan de redressement qui devrait tenir compte de différentes recommandations lui formulées. Au contraire, la gestion calamiteuse avait entraîné une crise aigüe de la liquidité au sein de la BIAC, laquelle menaçait la stabilité du système bancaire congolais.

C’est ainsi que la BCC intervenait régulièrement à travers le refinancement auprès de ses guichets pour des montants très importants afin de permettre à la BIAC d’assurer le remboursement des dépôts de sa clientèle et éviter ainsi un mouvement de panique dans le secteur bancaire à cause de son insolvabilité.

Fort de ce constat et conformément à l’article 39 de la Loi n°003/2002 du 02 février 2002 relative à l’activité et au contrôle des Etablissements de Crédit, la BCC n’avait d’autres choix que de mettre la BIAC sous gestion d’un comité d’Administration Provisoire, décision intervenue le 30 mai 2016, en vue d’assurer une bonne gestion de cette banque, d’élaborer un plan de redressement crédible ou de proposer éventuellement la liquidation de la banque et partant, de sauvegarder les intérêts des épargnants.

Je dois assurer ici que l’ambition affichée de l’Autorité de régulation et de contrôle bancaire a toujours été la sauvegarde de l’activité de cette banque et celle-ci peut se faire via la sauvegarde de l’entité économique au détriment de l’entité juridique qui serait vouée dans ce cas, à la liquidation.

Justement, il y a quelques années, vous vous opposiez à la dissolution de cette banque malgré ses déboires. Qu’est-ce qui a changé ?

Nous étions dans cette posture, étant donné que les actionnaires Blattner de la BIAC n’ont pas manifesté un intérêt évident pour le redressement de cette banque, en dépit des prédispositions de la BCC à apporter à la BIAC l’opportunité de se redresser. Il nous a fallu explorer d’autres voies possibles pour le redressement de cette banque, notamment étudier toutes les sollicitations pour la reprise de la BIAC par les multiples investisseurs qui n’ont malheureusement pas abouti en raison entre autres des prétentions exorbitantes des actionnaires.

Face à cette situation et dans le but de protéger l’épargne du public et de préserver la stabilité du système bancaire congolais, il s’est avéré impérieux pour la BCC, en vertu des prérogatives lui dévolues par le Législateur au terme de la loi bancaire de décider, le 09 octobre 2020, du retrait d’agrément de la BIAC et en conséquence, sa liquidation.

Il est important, pour la Justice de notre pays, d’accompagner le liquidateur pour lui permettre d’exécuter sa mission en conformité avec les dispositions de la loi bancaire et au regard du caractère d’ordre Public que revêt cette décision de la BCC notamment la protection des déposants et la stabilité du système financier.

La décision de liquidation suppose que la banque ne peut plus être sauvée ou rachetée. Toutefois, il est possible pour d’autres institutions financières de racheter le patrimoine sain de la banque. Ce traitement peut se faire notamment par le transfert des petits déposants en les livres des banques qui détiennent des dettes envers la BIAC pour environ 16 millions au titre de créances découlant de la délocalisation de la paie des fonctionnaires et autres travailleurs bancarisés.

Comment envisagez-vous 2021 ? Etes-vous optimiste pour l’économie et le système monétaire congolais ?

Au regard de l’évolution observée en 2020, la façon dont nous avions réussi à retourner, en notre faveur, une situation économique qui était déjà catastrophique, je ne peux qu’être optimiste pour la suite des évènements et particulièrement pour notre économie et notre système monétaire en cette année 2021, dont les principaux objectifs seraient de pérenniser la stabilité acquise depuis le mois d’août 2020 et de relancer l’économie nationale.

La BCC devra poursuivre avec la mise en œuvre du pacte de stabilité pour consolider le cadre macroéconomique. Un contrôle rigoureux de la croissance de la base et de la masse monétaire sera effectué en vue de permettre d’équilibrer l’offre et la demande de la monnaie nationale et des devises sur les marchés. Les banques commerciales devront tirer profit de la hausse des cours de principaux métaux exportés par le pays qui leur permettra d’engranger beaucoup de dépôts en devises pour accroitre le financement de l’économie.

Cependant, il y a des pesanteurs à ne pas négliger dans l’évolution future de notre économie. Il s’agit des facteurs de risque qui peuvent contribuer à déstabiliser le cadre macroéconomique. Au plan interne: le risque d’emballement des prix intérieurs et du taux de change, aux deux premiers mois de l’année 2021, suite à la pression sur la demande des devises liée à la reconstitution des stocks par les opérateurs économiques après les festivités de fin d’année ; le risque d’un recul de l’activité économique, en cas de la persistance des effets néfastes du Covid-19 ; le risque d’une crise des finances publiques en cas de faible mobilisation des recettes publiques et d’absence d’appuis extérieurs budgétaires, de faible attractivité des bons du Trésor et de forte pression sur les dépenses publiques, notamment les dépenses courantes. Au plan externe, il s’agit du risque de forte contraction de l’activité économique mondiale du fait de la persistance de la crise de covid-19 et de la chute des investissements étrangers ; la survenance d’un choc sur les cours des matières premières pouvant entrainer la chute de nos recettes extérieures et/ou un déséquilibre de la balance des paiements.

Eu égard à ces facteurs de risque, je crois qu’il est indispensable de mettre en action notamment les mesures que j’ai relevées à pour le maintien de la stabilité. Du reste, la politique monétaire mise en œuvre devrait demeurer prudente afin de contenir les pressions éventuelles sur les différents marchés, tout cela sur fond d’une coordination renforcée des politiques conjoncturelles.

Enfin, tout en maintenant une relation étroite avec tous les intermédiaires financiers et non financiers évoluant en RDC, nous continuerons à jouer notre rôle de garant de la stabilité du système monétaire congolais.

 

Par Ristel Tchounand

Challenges Radio

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