Elisabeth Borne à Matignon, la nouvelle « Dame du faire » de Macron

« Contre le chômage, on a tout essayé », avait dit François Mitterrand, qui avait aussi nommé avec Edith Cresson la première femme à Matignon. Pas une réussite à l’époque. En chargeant Elisabeth Borne de conduire le premier gouvernement de son nouveau mandat, Emmanuel Macron joue une carte inédite pour contrer la poussée de la gauche mélenchoniste et relancer son quinquennat par des réformes plus audacieuses.

Lors de son discours d’investiture, Emmanuel Macron a promis de la nouveauté : en avril 2022, un « peuple nouveau a confié à un président nouveau un mandat nouveau », avait-il affirmé. Pourtant, le candidat et président sortant n’a cessé d’assurer qu’il se représentait pour achever le travail de réformes qu’il avait commencé en 201 et que trois crises successives l’ont empêché de mener à son terme : la crise sociale des Gilets jaunes, la crise sanitaire et depuis le 24 février, pour couronner le tout, une guerre aux frontières de l’Europe.

Pour incarner ce changement dans la continuité, Emmanuel Macron a choisi d’adresser un signal fort : en nommant Premier ministre la deuxième femme de la Ve République, 31 ans après Edith Cresson au milieu du mandat du premier président socialiste, François Mitterrand, il marque l’Histoire de son empreinte. Qu’importe qu’Elisabeth Borne ait été sa ministre depuis 2017, aux Transports, à la Transition écologique puis au Travail et à l’Emploi, le changement réside dans le simple fait d’en faire la « femme forte » du début de son deuxième quinquennat, qu’il a d’ailleurs à nouveau placé sous le signe de l’égalité femme-homme, « grande cause » renouvelée parce que le travail est loin, très loin d’être terminé dans un vieux pays encore très machiste.

Pourquoi Elisabeth Borne ? Cette socialiste de conviction dont le nom avait été cité dès la semaine de la réélection d’Emmanuel Macron avant que ne commence le bal des rumeurs (Elisabeth Borne, Audrey Azoulay, Catherine Vautrin…) cochait toutes les cases de la compétence. Certes peu connue, ce n’est pas une star de la politique et une adepte des « petites phrases », elle a une expérience qui parle pour elle : X-Ponts, ancienne élève de Polytechnique et ingénieur des Ponts, elle a dirigé de grandes entreprises publiques (directrice de la stratégie de la SNCF dont elle réformera le statut une fois ministre, présidente de la RATP) et exercé diverses responsabilités publiques : préfète de Poitou-Charente et de la Vienne, directrice de cabinet de Ségolène Royal, et donc plusieurs fois ministre après son ralliement à La République En Marche.

Chargée de former le nouveau gouvernement, Elisabeth Borne a demandé que l’on féminise son titre, pour qu’on l’appelle « Madame la Première ministre ». Ce que n’avait pas fait Edith Cresson. Sous la technocrate perce déjà la redoutable femme politique que l’on n’avait pas vu venir. A elle de conduire la bataille pour donner une nouvelle majorité au président de la République, lors des Législatives de juin. L’hypothèse d’une nomination de Catherine Vautrin, la présidente LR du Grand Reims, pour achever l’OPA sur la droite modérée, n’a finalement pas résisté au week-end, face à l’opposition des barons LREM, comme Richard Ferrand et Christophe Castaner. Pour empêcher la cohabitation avec Jean-Luc Mélenchon à la tête d’une coalition de gauche improbable et sans doute introuvable, la nomination d’Elisabeth Borne veut proposer au pays à la fois la nouveauté d’une femme à Matignon et la continuité d’une politique économique et sociale, celle sur laquelle s’est fait réélire Emmanuel Macron. Pour mener la réforme des retraites, placer à Matignon l’ancienne ministre de l’Emploi, du travail et de l’insertion, qui a l’oreille et la confiance des syndicats, y compris des plus radicaux, est assez bien joué. Pour combattre Mélenchon, et détourner de lui ceux qui sont tentés par sa « planification écologique », nommer à Matignon une femme qui a dirigé le ministère de la Transition Ecologique et en connaît tous les défis, industriels et financiers, pour mener la bataille contre le changement climatique est aussi un choix cohérent.

Arrivé au pouvoir en 2017 avec une volonté de rompre avec l’immobilisme et les conservatismes incarnés par les anciens partis de gouvernement, Emmanuel Macron ouvre donc, par ce choix à la fois avisé et madré, la voie pour lancer enfin son second quinquennat. Elisabeth Borne a désormais 5 semaines pour convaincre qu’elle est la femme de la situation et engager les premières décisions. Alors que le Président va se consacrer aux enjeux internationaux et européens, dans un moment décisif de la guerre en Ukraine avec l’élargissement de l’OTAN, elle est attendue avec impatience sur le chantier du pouvoir d’achat et de la loi anti-inflation.

La composition de son gouvernement, qui sera connu dans les prochains jours, donnera le ton et l’esprit de la nouvelle époque qui commence. Il y faudra beaucoup de dialogue, pour ressouder un pays fracturé, beaucoup de fermeté aussi pour montrer un cap, beaucoup de convictions enfin pour conduire un peuple réputé ingouvernable dans un moment où chacun pressent l’urgence et l’importance des enjeux. Et si en nommant Elisabeth Borne au deuxième poste le plus puissant de la République, Macron réalisait enfin son grand œuvre, sa grande rupture : confier vraiment le pouvoir à une femme, pour voir la différence. A la nouvelle Première ministre de montrer qu’elle peut être une « Dame du faire », ni une Merkel, ni une Thatcher, mais une Borne pas bornée.

 

 

Philippe Mabille

Challenges Radio

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