Isabelle Bébéar : « En Afrique, la stratégie d’investissement de Bpifrance s’adapte à tout type de risque »

Début octobre, Bpifrance lançait avec son partenaire Proparco leur quatrième fonds de fonds pour l’Afrique, baptisé Averroès Africa. D’une taille cible de 100 millions d’euros, ce fonds -qui s’inscrit dans le cadre des investissements de la France en Afrique annoncés par le président Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2018- vient de boucler son premier closing à hauteur de 50 millions d’euros. Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, Isabelle Bébéar, directrice des Affaires internationales et européennes de Bpifrance nous en dit un peu plus sur cette nouvelle structure d’investissement et détaille la stratégie de la banque publique d’investissement française en ces temps délicats en Afrique, où une certaine instabilité caractérise plusieurs marchés potentiellement cibles de ces investissements.

 Qu’y a-t-il de différent dans la stratégie d’Averroès Africa que vous lancez, comparé aux fonds qui l’ont précédé ?

Isabelle Bébéar – Notre stratégie d’investissement a évolué avec le marché africain. Nous avons commencé à investir en Afrique du Nord en 2002, car c’était la sous-région du continent la plus développée en matière de capital-investissement. Nous avons cela avec un troisième fonds. C’est en lançant le troisième fonds, Averroès Finance III, que nous avons décidé d’élargir notre thèse d’investissement à toute l’Afrique, tout en misant que dans des fonds multisectoriels et panafricains. Mais nous sommes restés sur 40 pays et avons également commencé à investir dans le capital-risque dont Averroès Finance III compte cinq fonds.

Nous maintenons la même thèse d’investissement pour le quatrième fonds [Averroès IV] dont la taille cible est de 100 millions d’euros et qui fait partie de l’enveloppe de 1 milliard d’euros d’investissements en Afrique annoncée par le président Emmanuel Macron en 2018. Nous investissons des tickets de 5 à 15 millions d’euros dans chaque fonds avec une ouverture sur les 54 pays du continent.

Globalement, Au moins 70% du fonds servira à investir dans des fonds de capital-développement, multisectoriels et panafricains. Mais compte tenu de l’évolution du marché africain, nous prévoyons d’investir jusqu’à 30% du fonds dans des fonds de capital-risque et ou des fonds sectoriels.

Quels sont les objectifs d’Averroès Africa ?

Nous poursuivons trois objectifs principaux sur ces fonds. Nous voulons bien entendu faire de la performance financière au niveau du marché, mais souhaitons également que nos investissements contribuent au développement économique durable et inclusif des pays africains, qu’ils intègrent donc les critères ESG [Environnement, Société et gouvernance, ndlr] et que les équipes dans lesquelles nous allons investir aient les meilleures pratiques du marché. Le troisième objectif, qui représente d’ailleurs une opportunité pour tous, consiste à mettre en relation les entreprises africaines de ces portefeuilles avec les entreprises françaises clientes de Bpifrance, en partant du principe selon lequel il est important de pouvoir rencontrer un partenaire fiable, pour se développer en Afrique. Et réciproquement bien sûr, cela représente également une opportunité pour ces entreprises africaines de trouver des partenaires en France et en Europe y compris même d’ailleurs de faire de la croissance externe. Nous avons donc absolument cette idée d’animation des échanges entre les deux continents.

Ce nouveau fonds de fonds vise les startups et les PME-PMI. Mais quels sont vos secteurs de prédilection ?

Nous souhaitons étudier trois secteurs en particulier à savoir, la santé, les services financiers et l’agribusiness. Ce sont des secteurs qui dispose d’une profondeur de marché suffisante concernant les fonds d’investissements africains. C’est dans ces secteurs qu’il commence à avoir suffisamment d’équipes d’investissement, et ce sont des secteurs très porteurs sur le continent. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’il y a de plus en plus d’équipes et de structures qui investissent dans ces trois secteurs. Le raisonnement est le même pour les fonds de capital-risque qui se développent depuis quelques années sur le continent africain.

Sur les 100 millions d’euros cibles, Bpifrance a levé 50 millions avec son partenaire Proparco. Peut-on s’attendre à voir des investisseurs africains lors du prochain closing ?

Nous sommes en discussion avec des investisseurs internationaux pour venir compléter et nous sommes ouverts à avoir des investisseurs panafricains. Le continent africain est un continent qu’on explore à ce sujet. Nous ne désespérons pas de trouver un investisseur africain.

Vous avez commencé en Afrique du Nord avant de vous lancer sur le reste du continent. Que dire de la région Afrique centrale dont on entend peu parler ? Monte-t-elle en puissance dans vos cibles sous-régionales ?

C’est vrai que jusqu’à présent, l’Afrique centrale est loin d’être la région où le capital-investissement est le plus actif. Au contraire. L’une des raisons de ce retard, à mon avis, réside dans la structure du tissu d’entreprises qui est davantage un tissu de TPE et de petites PME. Celles-ci peuvent accueillir de petits fonds d’investissement nationaux. Or, la TPE n’est pas la principale cible des fonds d’investissement, mais plutôt les startups, les PME et les PMI à forte croissance. C’est extrêmement bénéfique pour les pays, mais c’est vrai que ce n’est pas le meilleur outil concernant les TPE qui fonctionnent plus avec d’autres mécanismes tels que les instituts de microfinance, des fonds de prêts d’honneur, … Il y a des fonds d’investissement qui se créent en Afrique centrale, mais ce sont souvent des fonds nationaux et il n’y en a pas beaucoup malheureusement.

L’Afrique comme le monde entier connait un contexte économique inédit suite à la crise sanitaire. Quel impact a eu la pandémie sur la stratégie de Bpifrance en Afrique ?

Au cours des derniers mois, nous avons beaucoup échangé avec les gestionnaires de fonds dans lesquels nous avons investi qui, eux aussi, ont passé beaucoup de temps à discuter avec les entreprises pour trouver les moyens de mieux réagir à cette crise. Nous avons également travaillé d’arrache-pied avec nos fonds pour leur donner plus de marge de manœuvre afin qu’ils puissent soutenir les entreprises de leurs portefeuilles.

Il est vrai que l’Afrique est affectée sur le plan économique par la crise de Covid-19, mais nous pensons qu’il y a des secteurs qui résistent bien et que c’est justement le moment d’investir en Afrique. Nous avons donc continué sur notre lancée. C’est sûr qu’avec cette crise, la manière dont les équipes de gestion ont réagi et ont su accompagné les entreprises de leurs portefeuilles va être importante pour nous, lorsque nous réaliserons les due diligence opérationnelles sur les fonds. Cela fera partie des critères. Mais je crois que ces équipes qui ont traversé la crise en sont sorties encore plus fortes.

La pandémie n’a donc pas vraiment eu un impact sur notre stratégie. Nous n’avons rien changé. Nous croyons toujours au développement de l’Afrique dans l’intérêt que représente le continent pour les entreprises françaises. Notre objet est d’investir dans des équipes expérimentées, capables de résister, voire même d’investir dans des secteurs qui sont porteurs suite à cette crise.

Quel regard portez-vous sur la situation en Afrique de l’Ouest qui est une région très dynamique sur le plan économique et prometteuse en matière de capital-investissement, mais qui connait depuis un certain temps une montée de l’instabilité notamment au Mali, en Côte d’Ivoire, en Guinée … ?

Nous sommes très attentifs à ce qui s’y passe. En fait, ce sont des crises qui ne sont pas nouvelles en Afrique où nous investissons depuis 18 ans. Nous avons donc connaissance de ces réalités. Notre stratégie a évolué dans le sens où nous investissons dans des fonds implantés dans plusieurs pays d’Afrique, qui investissent dans des entreprises multi-pays, qui ne sont donc pas uniquement sur un marché et qui sont multisectoriels. C’est justement pour limiter ce risque. Ainsi, une entreprise implantée dans quatre pays ne sera pas totalement en difficulté si un de ces pays traversait une crise. La répartition des risques est vraiment notre idée maitresse à ce niveau.

Sur le plan macroéconomique et démocratique, les choses s’arrangent énormément dans certains pays d’Afrique, mais dans de nombreux autres, la situation reste assez instable et la stratégie d’investissement de Bpifrance s’adapte à ce type de risque.

La question de la parité remonte beaucoup récemment. Faites-vous un éventuel focus sur les entreprises dirigées par des femmes parmi les cibles de vos investissements ?

Chez Bpifrance en général, dans notre activité de fonds de fonds, nous sommes très attentifs à cela. Nous avons participé à l’élaboration de la charte de mixité de France Invest. Et la parité fait partie d’un des chapitres de due diligence qui nous appliquons sur les fonds, qu’ils soient français ou africains. C’est un point sur lequel nous sommes attentifs. Nous regardons la parité à la fois dans les équipes d’investissement, y compris chez les associés et dans les entreprises ayant bénéficié des investissements de ces équipes. En revanche, il faut savoir que même s’il y a des femmes dans certaines équipes, il s’agit en réalité d’un monde très masculin. L’objectif n’est donc pas, pour l’instant, de ne pas investir dans un fonds parce que l’équipe est exclusivement masculine, mais plutôt leur fixer des objectifs de changement. En plus de cela, nous intégrons ce critère dans les reportings qu’on leur demande dans l’année.

Le contexte économique particulier de l’Afrique n’invoque pas uniquement la pandémie, mais également l’entrée en vigueur de la Zlecaf. Comment appréhendez-vous cette prochaine configuration des marchés africains, notamment avec le nouveau fonds Averroès Africa ?

Etant donné que nous ne ferons pas d’investissement directs et que nous sommes intermédiés par des fonds, la Zlecaf est plutôt une bonne nouvelle. C’est vrai que les équipes des fonds vont peut-être avoir un travail un peu moins difficile. Car, je tiens à souligner que ce que font ces fonds est absolument difficile et je pense que le capital-investissement est encore plus difficile en Afrique qu’en Europe, en raison de la législation qui n’est pas toujours adaptée. A mon avis, la Zlecaf va faciliter les choses et rendra la croissance des entreprises plus aisée et certainement les investissements et les désinvestissements plus simples. Tout ce qui va dans le sens de la simplification des affaires -tout en ayant des règles pour qu’il n’y ait pas de débordements, y compris les unions entre les pays pour faciliter le travail des entrepreneurs et des fonds d’investissement- converge avec notre vision.

Globalement Bpifrance est donc optimiste pour l’activité de l’investissement en Afrique en 2021 ?

Tout à fait. Nous voyons bien quelles sont les entreprises qui sont résilientes. Nous allons pouvoir accompagner ces entreprises qui ont de fortes perspectives avec peut-être des valorisations à l’entrée moins importantes, mais pour nous, c’est tout à fait le moment d’investir dans le capital-investissement en Afrique.

Propos recueillis par Ristel Tchounand.

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