Alors que la hausse des prix dans la zone euro a pulvérisé son record en février, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a prévenu que la hausse « pourrait durer un certain temps ». Surtout, le niveau des prix ne devrait pas revenir à ce qu’il était avant le début de l’offensive russe en Ukraine, ni avant la pandémie de Covid-19. Pour faire face, les banques centrales doivent désormais ajuster leur politique monétaire.
Le ton a changé. Après l’avoir vu comme « temporaire », appelant il y a six mois à peine à ne pas « surréagir », Christine Lagarde à la tête de la Banque centrale européenne (BCE) a adapté son vocabulaire. Et pour cause, l’invasion de l’Ukraine par la Russie est passée par là. Celle-ci entraîne une flambée des cours des matières premières, gaz, pétrole, cuivre, et aluminium, ainsi que de nombreux prix alimentaires. De quoi menacer l’activité économique et la capacité de nombreux États à approvisionner leur population.
Dès lors, la présidente de la BCE a estimé ce jeudi 17 mars que la flambée des prix va laisser des traces et que l’inflation ne reviendra pas à ses faibles niveaux d’avant la pandémie et la guerre en Ukraine.
« Nous sommes de plus en plus convaincus que la dynamique de l’inflation à moyen terme ne reviendra pas au schéma que nous avons connu avant la pandémie », quand l’indicateur restait durablement sous l’objectif de 2% visé par la BCE, a déclaré Christine Lagarde.
L’institution monétaire vient de relever ses prévisions d’inflation pour 2022 à 5,1% en zone euro. La hausse des prix a atteint 5,8% sur un an en février, poussée par la flambée des prix d’énergie et les goulots d’étranglement dans les chaînes logistiques. Un niveau record depuis que l’office européen des statistiques la mesure en 1997.
Un impact à long terme
La hausse de l’inflation ne devrait d’ailleurs pas se cantonner au court terme. « L’impact à la hausse pourrait durer un certain temps », a prévenu l’ancienne ministre française, en touchant des biens dont les prix varient moins fréquemment que l’énergie. La BCE prévoit actuellement un taux d’inflation redescendant à 2,1% en 2023 puis 1,9% en 2024. À moyen terme, au-delà de 2024, elle voit l’agrégat « de plus en plus se stabiliser autour de notre cible de 2% ».
La BCE doit « gérer un choc qui, à court terme, pousse l’inflation au-dessus de notre cible et réduit la croissance », a prévenu la présidente de la BCE. La prévision de croissance en zone euro a été revue à la baisse la semaine dernière, à 3,7% pour 2022, en raison des répercussions du conflit armé en Ukraine sur l’activité mondiale.
L’inflation va dépasser les 4% en France selon l’Insee
En France, l’inflation existante est « attisée » par la guerre en Ukraine d’après l’Insee. Elle a atteint 3,6% en février (soit une hausse de 0,8 point sur ce seul mois), un niveau plus vu depuis 2008. Cela vient confirmer les dernières estimations de la Banque de France qui annonçait dimanche 13 mars entre 3,7 et 4,4 % d’inflation pour 2022 en France. Plus de doute : alors que la guerre en Ukraine fait rage et que la Chine se reconfine, promettant de perturber encore notre économie mondiale, l’inflation est partie pour durer.
L’Insee prévoit par ailleurs qu’elle dépassera les 4% en mars, puis tournera autour de 4,5% durant le deuxième trimestre, tirée par les prix de l’énergie, des matières premières et alimentaires. Ces prévisions reposent toutefois sur l’hypothèse d’un prix du baril de pétrole à 125 dollars, soit son niveau atteint au tout début du mois de mars, mais qui a reculé depuis, précise l’Insee.
Parmi les réponses préconisées face à la crise, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) recommande une aide budgétaire « ciblée » aux secteurs les plus affectés par la flambée des prix, celle-ci pouvant être financée notamment par « l’imposition des gains exceptionnels dans certains pays ». Plusieurs États ont annoncé des mesures pour faire face à la hausse des prix : en France, outre un « bouclier tarifaire » et la remise sur les carburants, le gouvernement a dévoilé son « plan de résilience » mercredi, un ensemble de mesures pour soutenir les entreprises frappées par les répercussions de la guerre en Ukraine.
Les banques centrales tentent de faire face
Pour toutes les banques centrales, la guerre en Ukraine représente un nouveau dilemme : la perturbation du marché de l’énergie et d’autres matières premières (blé, aluminium) fait grimper les prix, aggravant une inflation déjà en forte accélération avant le conflit. Elles doivent choisir entre garder des politiques monétaires ultra-accommodantes, au risque de voir l’inflation s’installer durablement, ou remonter leurs taux, ce qui pèse sur la capacité d’emprunts et sur les crédits des particuliers comme des entreprises.
La banque centrale européenne a, de son côté, « commencé à ajuster » sa politique monétaire en vue d’une « normalisation », signifiant qu’elle sortira très progressivement de sa politique accommodante de rachats d’actifs et de taux bas, dès que « les conditions seront remplies », selon Christine Lagarde. La BCE décidera du calendrier précis de cet ajustement en fonction des « retombées économiques de la guerre ». La semaine dernière, l’institution a décidé d’accélérer la réduction de ses achats nets d’actifs, lancés en 2015 alors que l’inflation stagnait largement sous les 2%. Une fois ces rachats nets remis à zéro, possiblement au troisième trimestre, la BCE se concentrera sur ses taux directeurs, instrument traditionnel de la politique monétaire, maintenus depuis 2011 au plus bas.
Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre (BoE) a, elle, relevé ce jeudi 17 mars son taux d’intérêt de 0,25 point de pourcentage à 0,75% (son niveau pré-pandémie) pour contrer l’inflation qui pourrait selon elle dépasser 8% en 2022. C’est la troisième fois de suite qu’elle resserre sa politique. Elle a justifié sa décision par « les tensions sur le marché du travail, les signes continus de coûts et pressions inflationnistes, et le risque qu’elles persistent ». L’inflation a déjà atteint 5,5% en janvier, bien au-dessus des 2% visés par la BoE. « L’inflation va encore augmenter dans les prochains mois, aux alentours de 8% au deuxième trimestre 2022, et peut-être encore plus haut plus tard dans l’année », prévient-elle.
Aux États-Unis, la banque centrale américaine a elle aussi opté pour une hausse prudente d’un quart de point de pourcentage, situant désormais ses taux dans une fourchette de 0,25% à 0,50%, après les avoir maintenus pendant deux ans entre 0% et 0,25%. C’est une première depuis 2018. « Nous prendrons les mesures nécessaires pour éviter que l’inflation élevée ne s’enracine, tout en soutenant un marché du travail solide », a assuré le président de la Fed, Jerome Powell, reconnaissant néanmoins qu’il faudrait « plus de temps » que prévu pour ramener l’inflation à l’objectif de 2%. La Fed table désormais sur 4,3% d’inflation en 2022, près du double de ses dernières prévisions en décembre. Pour 2023, elle s’attend à 2,7% puis 2,3% l’année suivante.
(Avec AFP)