Macky Sall : « Les règles qui gouvernent les Nations unies ne sont pas dans l’intérêt de l’Afrique »

Le président Sénégalais Macky Sall

Le Paris Peace Forum 2020 pour « Construire un monde meilleur après la pandémie de la Covid 19 », articulé autour de la gouvernance sanitaire mondiale, de l’encadrement numérique et du soutien à la société civile et à l’activité économique, a réuni plusieurs personnalités de haut vol, dont le président du Sénégal. Macky Sall a saisi cette occasion pour revenir sur la question du terrorisme, tout en dénonçant le manque de représentativité des Africains au sein des Nations unies.

C’est de façon entièrement dématérialisée que s’est tenue la 3e édition du Paris Peace Forum, du 11 au 13 novembre derniers. La « ville lumière » de nouveau confinée avait placé la réponse multi-acteurs à la pandémie au centre de ces rencontres qui ont réuni de nombreuses « têtes d’affiche ». Le président Macron attendait en effet, des dizaines de Chefs d’Etat et de représentants d’institutions internationales, mais aussi des personnalités venues de tous horizons sectoriels comme géographiques. D’Antonio Guterres, le Secrétaire général de l’ONU à Kristalina Georgieva, la Directrice générale du FMI et Charles Michel, le Président du Conseil européen, en passant par John Kerry, l’ancien Secrétaire d’Etat américain (2013-2017), Melinda Gates ou encore le philanthrope Mo Ibrahim, l’affiche était prestigieuse et le double objectif d’un retour au multilatéralisme et d’une réponse commune à la Covid-19 climato-compatible, ambitieux.

Alors que la recherche biomédicale s’accélère et que la perspective d’un vaccin semble à portée de seringue (l’Américain Pfizer a annoncé la découverte d’un vaccin avec 90% d’efficacité), l’heure serait-elle au retour du multilatéralisme ? C’est en tous cas, dans cette optique que le Forum pour la Paix 2020 a choisi de s’atteler à la recherche d’une réponse commune au SARS-CoV-2, qui a fait apparaître de sérieuses failles en matière de solidarité internationale au plus fort de la crise… En mars 2020, tandis que le coronavirus ravageait le nord de l’Italie, le quotidien La Repubblica décrivait comment la République tchèque lui avait subtilisé des milliers de masques alors que la France constatait avec stupeur que les masques commandés en Chine avaient été rachetés par les Etats-Unis sur le tarmac des aéroports. Dans la guerre sanitaire mondiale, « l’allié historique » des Européens avait opté pour l’ « America First Again » provoquant au passage, de sérieuses fissures multilatérales. Mais l’heure était à l’optimisme avec l’alternance politique annoncée au pays de l’oncle Sam, au cours de cette 3e édition du Forum pour la Paix.

Un Forum placé sous le signe du retour au multilatéralisme

« Plus que jamais, nous devons rester solidaires, et pour vaincre la Covid-19, rendre aussi le monde post-Covid plus juste, plus équilibré, plus soutenable » a déclaré le président Macron, le 12 novembre, lors de la session ACT-A du Forum, rappelant que la pandémie de Covid-19 qui a déjà « causé la mort de plus d’un million de personnes et qui a gravement affecté nos vies comme nos économies » représente un « défi planétaire » qui nécessite une « coopération et -une- solidarité internationale ». Revenant sur le dispositif ACT-A dont l’ambition est de faire du vaccin un « bien public mondial », il a ajouté que « les résultats obtenus sont impressionnants : de premiers tests rapides, de premiers traitements sont désormais disponibles dans tous les pays, riches ou pauvres. Je pense aussi à la facilité COVAX, qui doit permettre de fournir deux milliards de doses de vaccin, dont la moitié aux pays en développement ». Emmanuel Macron a souligné le rôle essentiel de l’OMS, confirmant par ailleurs que la France contribuerait à hauteur de 100 millions d’euros à COVAX, dès qu’un vaccin sera disponible et qu’elle apporterait 50M€ additionnels à l’OMS. Enfin le président français a insisté sur la nécessité d’adopter rapidement une charte d’ACT-A pour opérationnaliser une réponse commune à la Covid-19.

La lutte contre la Covid-19 sera mondiale ou ne sera pas, considère également Louise Mushikiwabo, la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui a appelé à la refondation de la coopération internationale, tout en revenant sur la nécessité de « réduire le poids de la dette qui affecte les Etats les plus fragiles », ajoutant qu’ « à plus long terme, il faut envisager sa restructuration », car « l’urgence est de bâtir un multilatéralisme rénové, renforcé, efficace.» Le président chinois Xi Jinping s’est engagé lui aussi par visioconférence à « soutenir le multilatéralisme et à s’opposer à l’unilatéralisme, à l’hégémonie et aux politiques de pouvoir »

De leur côté, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, et Pascal Lamy, président du Conseil exécutif du Forum de Paris sur la Paix, mobilisés contre toutes tentations isolationnistes, rappelaient dans un entretien croisé accordé au journal Le Monde du 11 novembre, que « la promotion de la paix et la prévention du Covid-19 ne peuvent exister l’une sans l’autre ». Toutefois, cette volonté de renforcer le multilatéralisme sur fond de pandémie, n’a pas éludé la sensible question de la représentativité des pays du Sud dans les institutions internationales, portée vigoureusement cette année par Macky Sall, le président du Sénégal…

Pour Macky Sall, il faut revoir les règles dépassées de l’ONU

« Les règles qui gouvernent les Nations Unies ne sont pas dans l’intérêt de l’Afrique […] Il y a des parties du monde qui n’étaient pas là en 1945, elles étaient sous colonies. Nous n’étions pas là quand on formait les Nations Unies donc les règles qui sont là et qui gouvernent les Nations unies ne sont pas dans notre intérêt […] Toute l’Afrique, 54 Etats et aucun n’est membre permanent du Conseil de sécurité, alors que l’essentiel de l’agenda c’est l’Afrique : les conflits, les maladies, le terrorisme », a lancé Macky Sall, lors de l’ouverture du Forum. « Il faut remettre en cause ces règles qui sont dépassées », a-t-il poursuivi.

Parallèlement au manque de représentativité de l’Afrique au sein des Nations unies, le président du Sénégal est revenu sur l’épineuse question sécuritaire et sur la lutte contre les extrémismes violents tout en prévenant qu’il fallait éviter tout amalgame. « l’Islam que nous connaissons nous, au Sénégal, qui est un islam de tolérance que nous assumons ne peut pas aller dans cette direction [« de violence », eu égard aux récents attentats dans l’Hexagone, ndlr]. Nous voulons aussi qu’il y ait la tolérance vis-à-vis de l’islam tolérant. Il faut que nous nous battions ensemble contre ces extrémismes, mais il faut aussi qu’on respecte la différence », a-t-il déclaré, quelques jours après l’assassinat du professeur Samuel Paty, le 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine et l’attaque de la Basilique de Nice du 1er novembre, qui avaient été suivis par des déclarations d’un président français touchant aux sensibilités religieuses, bien au-delà des frontières nationales…

En marge du Forum pour la Paix, le Sommet Finance en commun, une rencontre de haut niveau organisée par l’Agence française de développement (AFD), suscitait également un réel intérêt en réunissant plus de 450 banques de développement et quelque 200 panélistes, dont les Chefs d’Etat chinois, français et sénégalais. Au total, ce sont 3 milliards de dollars qui ont été mobilisés pour soutenir les PME africaines impactées par la pandémie de Covid-19, d’ici 2021. Le président chinois participait au Sommet, en affichant une solidarité médicale à toute épreuve. Pour rappel, la Chine s’est particulièrement illustrée dans la lutte contre la pandémie sur le continent, en envoyant à chacun des 54 pays africains, quel que 20 000 kits de tests, 100 000 masques et 1 000 combinaisons de protection à usage médical ainsi que des écrans faciauxpar l’entremise du tycoon Jack Ma.

La gouvernance mondiale : entre urgence sanitaire et défi climatique

Cette édition 2020 du Forum de Paris sur la Paix avait fait la part belle à l’environnement. John Kerry, l’ancien Secrétaire d’Etat américain à la manœuvre dans l’Accord de Paris avec l’ancien président Obama) s’était déplacé dans la capitale française, promettant une « Amérique nouvelle » avec l’arrivée prochaine de Joe Biden à la Maison Blanche. « Ce ne sera pas une Amérique, je peux vous le dire avec certitude, qui agira avec l’arrogance de ces quatre dernières années, celle qui lance des guerres commerciales, qui se retire de tout, de l’accord sur le nucléaire iranien, de l’accord de Paris, de l’accord de partenariat trans-pacifique, et ainsi de suite… Sans raison, sans cohérence et sans fondement. Comment d’autres nations pourraient-elles nous prendre au sérieux si on ne les aide pas à franchir le pas technologique qu’on leur a promis à Paris ? Il faut une volonté politique ! Au G20 l’an dernier, on a débouché sur quoi ? 2 millions de dollars pour l’Amazonie qui était en train de brûler. C’est une insulte ! On parle du G20 qui représente 85% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il faut que cette institution se pousse du col. On est dans une période de transition, cela va prendre 20 ou 30 ans, On le sait tous. Mais la seule façon d’y arriver, c’est du subventionner les projets et les causes qui en valent la peine. Pas celles du passé qui font partie du problème » a déclaré John Kerry depuis Paris, alors que les banques publiques de développement, réunies en Sommet de haut niveau s’attelaient à l’élaboration d’un cadre de financement climato-compatible.

De son côté, António Guterres a rappelé l’impératif d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 Moins alarmiste que John Kerry, mais plus menaçant, il a souligné que « des signaux encourageants » se multipliaient, mais qu’il fallait « donner un prix au carbone […] Nous devons transférer la charge fiscale du contribuable aux pollueurs. Il faut rendre le reporting financier relatif à l’exposition aux risques climatiques obligatoire » a-t-il prévenu, le 12 novembre dernier. « L’adaptation ne doit pas être le parent pauvre de l’action climatique » a-t-il poursuivi, avant de conclure sur les financements « qui, aujourd’hui, font défaut », rappelant qu’à l’heure de la Covid-19, les « trois quarts des nouvelles maladies infectieuses sont zoonotiques [maladie causée chez l’homme par l’intermédiaire d’un animal et inversement, nldr] ».

In fine, plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement se sont engagés à verser près d’un demi-milliard d’euros pour permettre aux pays en développement d’accéder aux futurs vaccins contre la Covid-19. La guerre était sanitaire lors du dernier Paris Peace Forum, où il fut finalement peu question de rétablissement, de maintien ou de la consolidation de la paix. Pourtant, plusieurs conflits meurtriers continuent de frapper des civils parfois dans un silence assourdissant. C’est le cas au Yémen où, malgré la pandémie, la guerre se poursuit et où près de 24 millions de personnes, soit les deux tiers de la population, sont aujourd’hui dépendantes d’une aide humanitaire selon l’ONU. En Afrique, la paix a également été fragilisée suite aux récentes tensions électorales, aux attaques terroristes ou aux crispations territoriales comme sont venues le rappeler les forces du Tigré ces derniers jours à l’Est du continent.

 

Par Marie France Reveillard

Challenges Radio

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