La douceur hivernale actuelle nous préserve du black-out électrique. Poutine n’a pas encore coupé le gaz russe. Macron sauvera-t-il la paix en Europe. Le mégaplan de Thierry Breton sur les semi-conducteurs…
La météo au secours de la géopolitique ! Pour une fois que le réchauffement climatique sert à quelque chose, réjouissons-nous, avec RTE, le gestionnaire du réseau d’électricité, que la douceur hivernale nous évite le black-out électrique redouté toujours, encore jamais expérimenté en France.
Avec Poutine qui menace d’envahir l’Ukraine ce qui pourrait, parmi les multiples conséquences de cette possible guerre aux frontières de l’Europe, provoquer une rupture dans nos approvisionnements en gaz russe, ce n’est pas le moment qu’un hiver trop rude nous coupe aussi le courant. Marine Godelier, notre spécialiste énergie, révèle qu’EDF devra contrôler tout son parc nucléaire face au risque de corrosion déjà décelé dans plusieurs réacteurs mis en maintenance. Un souci de plus pour Jean-Bernard Lévy, le patron d’EDF, déjà entré en résistance avec l’Etat sur les tarifs de rachat de sa production par ses concurrents.
La guerre sera-t-elle évitée ? Emmanuel Macron va tenter de jouer les casques bleus. Comme l’écrit notre chroniqueur politique Marc Endeweld, les tensions en Ukraine accaparent désormais l’agenda du chef de l’Etat qui rencontre Poutine à Moscou lundi, puis son homologue ukrainien à Kiev. Tout faire pour sauver la paix ? Il ne coûte rien d’essayer et cela peut rapporter gros au président candidat à l’approche de son entrée dans l’arène de la campagne présidentielle. Cet activisme diplomatique, qui rappelle celui de Sarkozy en Géorgie, lui donne une stature qui lui permet de rester au-dessus de la mêlée.
Plus on avance en 2022, plus le risque de turbulences géopolitiques prend de la consistance. Le monde d’après ouvre la voie à de nouvelles alliances, avec un centre de gravité qui se déplace d’une Europe atlantiste vers l’Eurasie-Pacifique. Et ce n’est sans doute pas par hasard si le président russe et son homologue chinois ont tenu une conférence de presse commune pour l’ouverture des JO d’hiver de Pékin pour dénoncer de concert les « alliances déstabilisatrices » que sont l’OTAN et l’AUKUS (la nouvelle alliance Australie-UK-USA). Une Chine qui consomme sans états d’âme 185 millions de litres d’eau en neige artificielle pour des JO sous cloche et dont le président Xi JinPing observe avec beaucoup d’attention l’éventuelle réaction de l’OTAN si la Russie attaque l’Ukraine, en ayant Taïwan en ligne de mire.
Poutine ira-t-il au bout de ses menaces ou le bon sens l’emportera-t-il ? Une des solutions pourrait consister en une « finlandisation » de l’Ukraine pour en faire un état-tampon entre la Russie et l’Occident. Mais l’Europe commence aussi à regarder ailleurs pour trouver des fournisseurs moins menaçants, comme l’Algérie, le Qatar ou même les Etats-Unis, et réduire une trop forte dépendance aux humeurs de Poutine. Problème, le transport et la transformation du GNL (gaz naturel liquéfié) coûtent cher. On a donc intérêt à calmer le jeu avec la Russie au moins tant que nous en aurons encore besoin ce qui en particulier le cas en Allemagne, qui a « troqué » son électricité au gaz avec notre électricité nucléaire dans l’arbitrage négocié à Bruxelles sur la taxonomie verte. Hypocrisie que dénoncent les écolos de part et d’autre du Rhin. Mais aussi tout simplement Realpolitik…
Peut-être faut-il aussi comprendre la nervosité de Poutine comme un message : au-delà de l’encerclement militaire de la Russie par l’OTAN, Moscou et ses oligarques craignent une Europe qui se décarbone trop vite à son goût, estime Samuel Furfari, professeur en géopolitique de l’énergie, ancien haut fonctionnaire de la Commission européenne, président de la Société européenne des Ingénieurs et Industriels. Sauver la paix ou le climat, faudra-t-il choisir ?
« Qui veut la paix prépare la guerre », disait l’officier prussien Clausewitz, reprenant la thèse du Chinois Sun Tzu : « L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combattre ». Mais pourra-t-on encore financer les industries de défense si l’on applique sans nuance les règles de l’investissement socialement responsable (ISR) interroge notre spécialiste du secteur Michel Cabirol, au travers de deux exemples : la Banque de France qui dans un récent papier sur la finance durable, évoque l’exclusion des industries d’armement au même rang que le tabac, l’alcool et les jeux d’argent. De fait, la marche, inéluctable, vers une industrialisation des critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans la gestion d’actif soulève de redoutables questions pour le financement des secteurs sur lesquels le monde de la finance va mettre la pression, énergie et armement en tête.
Pour la souveraineté de la France, désormais seul pays de l’Union européenne membre du conseil de sécurité de l’ONU et nucléarisé, toutes ces questions sont cruciales. Quel sera l’avenir de la dissuasion nucléaire dans un monde où l’on pourra détecter nos sous-marins, soit grâce aux câbles sous la mer soit de l’espace, questionnait récemment Jean-Luc Mélenchon. Pour le candidat Union Populaire à la présidentielle, la militarisation de l’espace viendra remplacer à terme la dissuasion nucléaire telle que nous l’avons connue, rapporte Michel Cabirol.
Que ce soit sur le gaz russe, sur le nucléaire ou sur l’ensemble de ses approvisionnements en matières premières stratégiques, l’Europe joue une partie décisive. Vendredi, Thierry Breton, le commissaire européen en charge du marché intérieur, a annoncé un plan massif de 50 milliards d’euros d’ici 2030 pour réduire notre dépendance sur les semi-conducteurs pour financer trois des cinq grandes méga-usines en projet. Un plan équivalent à celui des Etats-Unis, signe qu’à l’Ouest, on s’inquiète très sérieusement de ruptures dans la chaîne de valeur de toutes les industries qui dépendent de ces composants produit essentiellement en Asie.
Dossier: comment le e-commerce chamboule nos vies
PS. En pensant à faire vos courses ce week-end, lisez absolument le très complet dossier réalisé par toutes nos rédactions à Paris et en régions sur les défis et menace du e-commerce. Tous les enjeux économiques, sociaux, écologiques de cette révolution sociétale majeure, encore amplifiée par la crise sanitaire y sont décryptés. Le e-commerce, une « onde de choc qui chamboule nos vies et nos villes »
Par Philippe MABILLE