Sanctions internationales contre le Mali : et après  ?

Et si l’on imaginait d’autres alternatives possibles aux bouleversements que traverse l’Afrique de l’Ouest, loin d’une part, de l’entre soi qui semble caractériser les positions de la CEDEAO ainsi que de la communauté internationale et d’autre part, de la tentation à trouver en « l’autre » la responsabilité d’une telle situation ?

La sévérité des sanctions prises par les Chefs d’État de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à l’encontre du Mali s’inscrit dans un contexte difficile pour ce pays et pour l’ensemble de la sous-région ouest africaine. A ce propos, nul n’ignore l’instabilité sécuritaire (due à la menace terroriste), socio-économique et politico-institutionnelle que traverse ce pays ouest-africain depuis plusieurs années. Avec elle, on note les effets, en particulier sécuritaires, sur l’ensemble de la sous-région déjà secouée par la menace terroriste (Burkina Faso, Niger et Nigeria).

Par ailleurs, les coups d’État militaires successifs intervenus en août 2020 et en mai 2021 ouvrent la porte à d’autres incertitudes liées notamment à la dégradation des relations entre le Mali et la communauté internationale avec au premier rang la CEDEAO. Cette dégradation des relations avec la communauté internationale a atteint son paroxysme après que la CEDEAO et l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) aient décrété le dimanche 9 janvier 2022 la fermeture des frontières avec le Mali, ainsi qu’un embargo commercial et financier. Ces décisions viennent en représailles aux recommandations des Assises nationales de la refondation (ANR) qui se sont tenues du 11 au 30 décembre 2021, en particulier la recommandation qui permet aux officiers militaires au pouvoir au Mali de continuer à diriger le pays pour une durée de cinq ans au plus.

La décision de la CEDEAO, soutenue par la communauté internationale (en particulier par l’Union européenne et les États Unis d’Amérique), est prise en vertu de l’Acte additionnel au Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance[1]. Il n’en demeure pas moins qu’elle passe mal notamment auprès des opinions publiques ouest-africaines, illustrant de fait le décalage observé entre ces dernières et les autorités politiques de la sous-région. Ces dernières y voient une volonté des Chefs d’État ouest-africains de préserver les intérêts d’un « club » de dirigeants dont le pouvoir est menacé. Il s’agit en particulier de ceux parmi eux qui se maintiennent au pouvoir après avoir fait sauter le verrou constitutionnel de la limitation du mandat présidentiel. Du côté de l’institution sous régionale, lesdites décisions semblent être guidées par le souci d’éviter de voir prospérer des coups d’État (à l’instar de ceux intervenus en septembre 2021 en Guinée puis le 24 janvier 2022 au Burkina Faso).

Toutefois, loin des différentes polémiques que nourrissent lesdites décisions ainsi que les motivations des autorités maliennes, nous souhaitons orienter l’attention des différentes parties prenantes vers des perspectives élargies qu’offre cette crise pour le Mali et plus globalement pour le continent africain.

Inscrire la situation du Mali dans un contexte de mutation qui dépasse le cadre africain

L’effondrement institutionnel du Mali, un temps cité comme étant un modèle démocratique ouest africain, découle d’un ensemble de facteurs aussi bien nationaux, continentaux qu’internationaux abondamment décryptés par différents analystes. Le point d’orgue fut le déferlement terroriste sur ce pays et qui a conduit à l’intervention militaire française et au déploiement des casques bleus onusiens dans ce pays.

Il convient toutefois d’inscrire cette crise malienne au-delà du cadre sous régional et africain dans la mesure où d’une part elle est le résultat de choix politiques aussi bien nationaux qu’internationaux (absence de l’État dans certaines contrées, affaissement institutionnel favorisant des coups d’État récurrents, intervention discutable des puissances occidentales en Libye…) ; d’autre part, elle connait des évolutions qui s’inscrivent dans les mutations mondiales actuelles que la pandémie de la Covid-19 vient accélérer.

En partant des considérations précitées, l’on observe que la persistance de la menace terroriste et ses effets néfastes (notamment socio-économiques) sur ce pays suscite le mécontentement des opinions publiques. Celles-ci jugent l’action des puissances militaires étrangères « inefficace ». Face à cette situation, les autorités maliennes actuelles font aujourd’hui le choix d’autres options afin de faire face à la menace précitée. C’est d’ailleurs l’enjeu au cœur des frictions entre les autorités maliennes et les autorités françaises notamment, sur la question du recours à une société de sécurité privée russe.

Par ailleurs, les décisions prises par les autorités maliennes prennent en compte les évolutions géostratégiques que connaît le monde. A ce propos, l’intérêt pour le continent africain de nombreuses puissances étrangères (en crise) est croissant en raison de la vitalité et des potentiels qu’offre l’Afrique (en particulier la vitalité de ses populations et plus précisément celle de sa jeunesse). Cet intérêt renouvelé pour certains et relativement récent pour d’autres, associé aux fortes rivalités entre lesdites puissances (États-Unis, Union européenne, Royaume-Uni, Russie, Chine, Turquie, Pays du Golfe…)[2], se traduit par l’inscription du continent au cœur de leurs agendas diplomatiques et économiques. Aussi, conscients de cette nouvelle donne géostratégique qui annonce en outre un basculement dans les rapports entre l’Afrique et lesdites puissances (en particulier européenne et nord-américaine), la nouvelle génération de dirigeants africains s’émancipe d’une relation jusque-là exclusive avec certaines desdites puissances.

A l’instar du Mali, le continent africain dans son ensemble traverse une période charnière. Cette évolution interne au continent n’est pas qu’africaine : elle est mondiale ! Ayant déjà des impacts certains sur l’équilibre mondial, elle interroge les modèles socio-économiques, politico-institutionnelles, agricoles, d’urbanisation avec au cœur de ceux-ci les enjeux climatiques également. Autrement dit, ce qui touche l’Afrique touche désormais le monde entier, ce qui affaiblit l’Afrique affaiblit désormais la planète toute entière, ce que vit l’Afrique questionne, intéresse le reste du monde, ce qui participe au bien-être de l’Afrique concourt, sans qu’on ne s’en rende pour l’instant compte, à l’amélioration des conditions de vie sur la planète.

Partant de ce qui précède, l’on comprend donc aisément que ce qui se joue actuellement en Afrique de l’Ouest n’est pas anodin et ne doit surtout pas être traité à coup d’injonctions partisanes notamment au regard des passions et de l’engouement que suscite la situation auprès d’une jeunesse africaine, véritable locomotive du continent et, bien plus, mondiale.

Et si de la crise émergeait une nouvelle conscience collective au service de la régénération du Mali, voire du continent ?

L’évolution de la conscience de l’homme lui permet de dépasser toutes les limitations qu’il a reçues en héritage. Et si le peuple malien est bien une âme, celle-ci ne se limite pas au territoire malien. Elle est bien présente aux quatre coins du monde et reliée par la conscience d’une intelligence supérieure. Cette intelligence supérieure est présente à l’intérieur de chacun et elle dépasse les limitations. Cette intelligence infinie qui est bien au-delà de toutes les limitations matérielles, a la capacité de faire basculer l’âme du peuple malien vers la prise en main de son destin. A ce propos, l’alignement en physique d’un nombre minimum et suffisant d’atomes entraîne automatiquement, comme par magie, celui du reste des atomes. Lorsque cette masse critique d’atomes se constitue, on parle de « transition de phase ». Ainsi opère cette intelligence infinie qui se sert de quelques-uns pour faire basculer l’histoire des peuples dans une ère nouvelle. Il suffit de la profondeur énergétique de ceux-ci pour atteindre cette masse critique et faire basculer le destin d’un peuple dans une ère de rayonnement, de liberté et de prospérité.

Et si cette crise mettait en lumière une conscience collective malienne en transition de phase ? Du moins, autorisons-nous cette fiction ; une fiction étant définie comme un raisonnement « (…) sur la base d’une situation imaginaire, donc fictive (…) »[3] : la conscience collective peut être, de notre point de vue, considérée selon l’approche de Durkheim. En ce sens, elle consiste en l’ensemble des valeurs communes au sein d’un groupe social.

Cette transition de phase ne peut que s’inscrire dans une dimension d’élargissement, tant du point de vue politico-institutionnel, socio-économique que diplomatique.

Du point de vue politico-institutionnel, il est possible de faire renaître le Mali de ses cendres en prenant appui sur les valeurs renouvelées de la conscience collective malienne. L’édiction de normes constitutionnelles souples et vertueuses, ainsi que l’établissement d’institutions fortes qui transcendent le mythe de « l’homme providentiel » seraient nécessaires. À cet effet, il conviendrait d’interroger les véritables valeurs qui fondent l’épanouissement de l’homme et la prospérité d’un peuple, ainsi que leur traduction dans l’exercice du pouvoir, sans que ne soient nécessaires les débats récurrents et stériles sur le respect de la limitation des mandats présidentiels.

Sur le plan monétaire, cette transition de phase pourrait conduire à la convocation d’une réflexion sur le futur monétaire du Mali qui conduirait le pays dans une ère de prospérité. À cet effet, une mobilisation d’experts nationaux et internationaux conscients de l’existence d’un champ de possibilités infinies sera utile. D’ailleurs, d’aucun qualifie de « chantage monétaire » les sanctions prises par l’UEMOA à travers la suspension des concours financiers en faveur du Mali par les institutions de financement de l’UEMOA (notamment, le gel des actifs maliens au sein de la BCEAO[4]). Aussi, des pays tels que la Guinée qui ont connu des expériences monétaires hors de la zone CFA pourraient être associés à cette réflexion et y contribuer

grandement. Ce travail pourrait être enrichi par les solutions qu’offrent les innovations bancaires et financières.

Sur le plan diplomatique et des relations internationales économiques, les autorités maliennes pourraient travailler à une diversification réfléchie des partenaires internationaux du Mali favorisant l’ancrage de relations internationales gagnantes pour le pays. Un tel travail partirait de l’identification claire des aspirations profondes du pays et des facteurs pouvant permettre de les satisfaire. À ce propos, une alliance entre le Mali et la Guinée (seul État membre de la CEDEAO à ne pas se reconnaître, en allié objectif, dans les décisions prises par la CEDEAO) pourrait être bénéfique[5]. Cette alliance pourrait être tout d’abord économique et permettre au Mali un accès à la mer ainsi qu’à l’espace aérien guinéen. Des projets communs de développement d’infrastructures permettant de désenclaver le Mali et de relier ces deux pays faciliteraient le flux des personnes et des biens, ainsi que l’ouverture du Mali au monde au-delà des traditionnels alliés. D’autres alliances pourraient être envisagées par le Mali avec entre autres, l’Algérie et la Mauritanie, non concernées directement par l’embargo.

On notera toutefois que ces alliances pourraient avoir des impacts économiques et financiers sur les autres pays de la CEDEAO en raison de la manne financière que représente la dépendance du Mali notamment aux ports de Lomé, de Cotonou ou encore d’Abidjan.

Bien au-delà des effets bénéfiques qui pourraient résulter de cette crise pour le Mali, la transition de phase pourrait être régionale, voire continentale. En effet, c’est tout le continent africain qui pourrait entrer dans une ère de régénération. Cette régénération de l’Afrique était déjà évoquée en 1906 par Pixley Ka Isaka Seme[6] dans une intervention à la Royal African Society de Londres ; régénération que Seme définissait comme : « (…) the entrance into a new life, embracing the diverse phases of a higher, complex existence »[7].

On pourrait s’attendre à l’éveil d’une conscience collective africaine, interrogée par les événements que traverse le Mali. Alors, le rêve tant prêché d’un accomplissement d’une véritable unité africaine ainsi que les valeurs de respect de la dignité humaine, de responsabilité, d’ouverture, somme toute d’élévation, se concrétiseront. Qu’en découlerait-il donc pour le reste du monde ?

Et si finalement la fiction ci-dessus déroulée à l’endroit du peuple malien tout en inspirant et en incitant les peuples africains à la quête d’un « soi élargi », se muait en une affirmation a priori afin d’inciter ces peuples à agir comme si la réalité que décrit ladite fiction existait ? Pouvons-nous la rêver, la visualiser ?

 

[1] Acte additionnel A/SA.13/02/12 au Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, portant régime des sanctions à l’encontre des États membres qui n’honorent pas leurs obligations vis-à-vis de la CEDEAO.

[2] Il convient de préciser que les rivalités qui se manifestent sur le continent entre lesdites puissances étrangères sont mouvantes au gré de leurs intérêts. A ces rivalités, il faut ajouter celles entre l’Algérie et le Maroc en quête d’un leadership continental.

[3] Introduction à la théorie générale et à la philosophie du droit, Delachaux et Niestlé, 3° éd., 1948, Neuchâtel, p. 167 (Claude Pasquier au sujet des fictions).

[4] La Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest

[5] Alliance que pourrait rejoindre le Burkina Faso qui risque de connaître les mêmes sanctions en raison du coup d’État militaire intervenu le 24 janvier 2022.

[6] L’un des fondateurs et président du Congrès national africain (ANC).

[7]« (…)  l’entrée dans une nouvelle vie, embrassant les diverses phases d’une existence supérieure et complexe ».

(*) Tribune collective co-signée par :

Fortuné B. Ahoulouma, avocat au barreau de Paris, fondateur/associé Labs-ns avocats

Pierre-Paul Alipoé, enseignant-chercheur Faculté de droit – consultant

Kodjo Baba, consultant en management stratégique de l’information

Fabien Lawson, avocat au barreau de Paris, fondateur/associé Labs-ns avocats

Wiyao Maditoma, juriste et consultant LegalTech

Tchéka Malou, fondateur/manager agence 1990 et Président de On est ensemble

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