En Afrique australe, les répercussions du conflit russo-ukrainien se font déjà sentir. L’envolée des prix du carburant et des matières premières menace les progrès enregistrés ces derniers mois au Zimbabwe, toujours aux prises avec la pandémie de Covid-19 et freiné par les sanctions internationales qui bloquent tout développement pérenne depuis plus de vingt ans.
Samedi 26 mars, les Zimbabwéens étaient appelés aux urnes pour un « scrutin-test » à l’occasion des législatives et des élections locales partielles. En ce jour d’élection, sur le marché de Kamunhu, les commerçants cherchent un peu de fraîcheur pour échapper à la chaleur de midi. « C’est sûr, j’irai voter aujourd’hui et je choisirai celui qui va redresser l’économie, car le Covid-19 nous a durement touchés », assure Freddy 28 ans, qui vend des liquides vaisselles éparpillées sur un étal de bois brinquebalant à l’entrée du marché. Pour Mazvita, la trentaine, les temps sont durs aussi, mais le jeune homme garde le sourire. Il achète des marchandises qu’il revend ensuite aux plus offrants. « Avant la pandémie, je pouvais gagner jusqu’à 400 dollars américains par mois et aujourd’hui, j’ai perdu presque toute ma clientèle. Les couvre-feux et la fermeture des frontières avec l’Afrique du Sud ont tout compliqué. A un moment donné, plus rien ne passait », explique-t-il rétrospectivement. Lui aussi ira voter pour élire le représentant qui lui semble pouvoir participer au redressement de l’économie et inverser la courbe du chômage.
Finalement, c’est le nouveau parti de l’opposition, la Coalition des citoyens pour le changement (CCC) de Nelson Chamisa, qui est arrivé en tête ce jour-là, mais du côté du Zanu-PF, le parti présidentiel, le moral est au beau fixe, car la majorité est parvenue à reprendre 2 sièges à l’opposition. Un an avant la présidentielle, les défis à relever restent considérables. Au plus fort de la pandémie (qui a notamment provoqué le décès des ministres des Affaires étrangères, des Transports et de l’Agriculture), près de la moitié de la population vivait dans l’extrême pauvreté en raison des effets combinés de l’augmentation du prix des produits de première nécessité, de la contraction économique causée par la COVID-19 et de mauvaises récoltes, comme le révélait l’enquête PICES (Rapid Poverty Income Consumption and Expenditure Survey) conduite en juin 2021 par l’Agence nationale de statistique du Zimbabwe (ZIMSTAT), en partenariat avec la Banque mondiale et l’UNICEF. Pour la Banque mondiale, ce sont au moins 30% des emplois formels qui ont disparu suite aux restrictions sanitaires. Par ailleurs, au-delà de la pandémie, le pays doit toujours faire face aux sanctions internationales qui freinent tout développement pérenne depuis deux décennies.
La levée des sanctions internationales ou la clé de la reprise ?
Récemment, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) réaffirmait son inquiétude face aux sanctions européennes et états-uniennes. « En tant que région, nous restons convaincus que les sanctions imposées au Zimbabwe, qu’elles soient ciblées ou restrictives, constituent une contrainte et une entrave fondamentales aux perspectives de redressement économique, de sécurité humaine et de croissance durable du pays », indiquait la communauté dans un communiqué daté du 25 octobre 2021.
Depuis 2002, plusieurs personnalités zimbabwéennes font l’objet de sanctions suite à la répression violente des opposants au régime de l’ancien président Robert Mugabe. Une centaine de personnes et des entités juridiques avaient alors vu leurs avoirs gelés. Si certaines sanctions ont depuis été levées, d’autres subsistent et fragilisent encore les perspectives de développement national, d’autant que le FMI refuse toujours d’apporter son soutien au Zimbabwe en raison notamment, d’une dette extérieure jugée insoutenable (s’élevant à 12,7 milliards de dollars en 2020). Pour obtenir la levée des sanctions, le Zimbabwe doit désormais montrer « patte blanche » en prouvant l’amélioration de sa gouvernance. Le pays doit en sus, rembourser quelque 9,5 milliards d’euros d’emprunts dont 6 milliards d’euros d’arriérés alors que son PIB culmine à 15 milliards d’euros.
Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer la fin des sanctions, à commencer par l’Union africaine (UA) et la SADC. Fin octobre 2021, c’est Alena Douhan, rapporteure spéciale de l’ONU, qui demandait la levée des sanctions, estimant qu’elles avaient eu « des répercussions insidieuses sur l’économie du Zimbabwe et sur la jouissance des droits humains fondamentaux ». Le 9 mars, Uhuru Kenyatta, président du Kenya, recevant son homologue zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa, à Nairobi, appelait lui aussi à la fin des sanctions, considérant qu’elles étaient non seulement « illégales », mais aussi « injustes » et « artificielles » et qu’elles pénalisaient lourdement le peuple zimbabwéen.
« J’ai moi-même été sous le coup de ces sanctions, car je travaillais à la Banque centrale. C’était là mon seul crime », explique l’avocat Fortune Chasi (ancien ministre de l’Energie du Zimbabwe). « Les sanctions impactent durement notre pays qui a pourtant fait d’importantes réformes et des progrès notables en matière d’infrastructures ainsi qu’au niveau agricole, mais c’est systématique, le FMI refuse la levée des sanctions quoi que l’on fasse », regrette-t-il.
La crise russo-ukrainienne pèse déjà sur le portefeuille des ménages
« Avec la guerre en Ukraine, le prix de l’essence s’est envolé. Il est passé de 1,39 dollar le litre à 1,68 dollar en quelques jours. Depuis la semaine dernière, le gouvernement a pris je ne sais trop quelles décisions, mais le prix a un peu baissé. Le litre est de 1,59 dollar. C’est bien, mais il faut qu’il baisse encore, car j’ai dû augmenter les tarifs de la course de 5 dollars à 7 dollars et cela m’a fait perdre la moitié de mes clients. Je ne pourrais pas tenir longtemps comme ça. Si ça continue, je serais obligé de trouver un autre métier », s’inquiète John, 55 ans, chauffeur de taxi à Harare.
Pour Action, la trentaine, la question ne se pose pas. Il ne renoncera pas au métier. Chauffeur de taxi et Marketing Officer à son compte, il attend nonchalamment le prochain client, accoudé à sa Toyota Sienta gris métallisé devant les tours du centre d’affaires de Karigamombe. « Quoi qu’il arrive, je préfère travailler à mon compte, car au moins ça me permet de générer des dollars américains ». Lui aussi a été contraint d’augmenter ses tarifs. « Si les prix sont trop élevés, prendre un taxi ne sera bientôt plus une priorité pour les gens », ajoute-t-il. Moyo installé dans sa voiture crème surannée sur le trottoir d’en face, n’a pas de plan B. « Je loue ce taxi pour travailler, mais si la crise se poursuit, je n’ai aucune idée de la décision que prendra le propriétaire du véhicule » reconnaît-il dans un demi-sourire las, les yeux fatigués d’attendre une clientèle qui ne se compte plus que sur les doigts d’une main.
« Le prix du pétrole dépend de la situation internationale et l’opération russe en Ukraine nous a bien sûr, impacté de façon négative » déclare Fortune Chasi qui appréhende déjà d’autres conséquences. « Le prix du blé s’est envolé alors que nous importons une partie de nos céréales de cette région du monde », souligne-t-il. Pragmatique, il entrevoit cependant dans cette crise « une opportunité pour renforcer les capacités » de l’ancien grenier de l’Afrique australe, l’Etat ayant « engagé de profondes réformes dans le secteur agricole ».
Après deux décennies d’ostracisme financier euro-américain, les rues de la capitale renvoient à la grandeur passée du Zimbabwe. Ses infrastructures vieillissantes ne peuvent être rénovées, faute de moyens. Cependant, en 2021, grâce à l’augmentation de la production agricole, à la bonne santé du secteur minier, à la stabilisation des prix et des taux de change, le pays a enregistré des progrès salués par les institutions de Bretton Woods. Depuis septembre, le Zimbabwe a même commencé à rembourser ses créanciers. Les investissements des partenaires extra-occidentaux dont la Chine (qui parachève actuellement la construction du nouveau parlement à Harare,), ou la Russie qui a signé en avril 2021, via la State Atomic Energy Corporation, un accord de financement d’une centrale nucléaire pour renforcer l’accès à l’énergie se maintiennent. Par ailleurs, les différentes mesures gouvernementales ont permis une baisse de l’inflation qui s’élevait à 50% en août 2021 (elle avait atteint le niveau record de 838% en juillet 2020). Cependant, les répercussions aléatoires de la crise ukrainienne au Zimbabwe pourraient bien venir contrecarrer les perspectives du FMI qui prévoit une croissance de 3,5% en 2022.