« Aucune appréhension sur la relation entre la France et l’Afrique » (Laurent Saint-Martin, Business France)

Présent à Ambition Africa, l’événement qui s’est tenu les 17 et 18 octobre dernier, le nouveau directeur général de Business France dit se féliciter du dynamisme des entreprises françaises en Afrique, malgré un contexte géopolitique troublé.

Quelles sont les priorités sectorielles et géographiques que vous souhaitez porter avec Business France ?

LAURENT SAINT-MARTIN – Ma feuille de route repose sur l’augmentation du nombre d’exportateurs et du nombre d’exportations. Nous voulons accompagner les entreprises et les PME à l’export, dans un contexte géopolitique qui peut apparaître contracyclique. Il faut absolument se saisir des opportunités créées par les grandes modifications géopolitiques liées au commerce international pour pouvoir pénétrer de nouveaux marchés.Notre mission de prospection auprès des chefs d’entreprises commence en France. Nous devons renforcer notre palette d’outils d’accompagnement. Pour cela, nous nous appuierons sur le plan « Osez l’Export » présenté par le ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur, de l’Attractivité et des Français de l’étranger, Olivier Becht le 31 août dernier.

Ce plan ambitionne de passer de 150.000 à 200.000 entreprises exportatrices d’ici 2030. Parmi ces outils, nous développerons le volontariat territorial à l’export, nous proposons aussi un accompagnement financier plus important aux entreprises qui veulent participer à des salons internationaux. Elles bénéficieront de 30% de prise de participation.

La 5e édition d’Ambition Africa s’est déroulée les 17 et 18 octobre au ministère de l’Économie et des Finances à Paris. Quels en ont été les temps forts ?

Ce rendez-vous illustre parfaitement ce qu’il faut faire pour accompagner les entreprises françaises sur le continent africain. L’Afrique est difficile d’accès, car très diverse et complexe et en même temps, c’est un continent qui a démontré une croissance supérieure au reste du monde ces dernières décennies. Le continent africain est très symbolique de ce qu’il faut faire à l’international.

Primo, des relations anciennes existent depuis de longues années avec un certain nombre de pays. Nous développons avec ces pays une stratégie de co-développement. Le commerce international est le meilleur outil pour démontrer notre volonté de co-construire avec l’Afrique. Nous soutenons cette volonté de co-partenariat, de co-développement, de co-innovation, de co-investissement, d’attractivité des talents africains, pour créer sur place de la valeur et de l’emploi. L’export est une bonne manière de développer des courants d’affaires et Ambition Africa participe à ce mouvement.

Comment se comportent les entreprises françaises en Afrique depuis début 2023 ?

Globalement, il existe aujourd’hui près de 33.000 entreprises françaises qui exportent en Afrique et en 2022, nous avons accompagné 2.671 entreprises à l’export sur le continent africain. C’est dire le dynamisme qui existe dans un contexte post-Covid troublé par des tensions inflationnistes. C’est un signe très positif. Le nombre de volontariats internationaux en entreprises (VIE) s’établit à 571. Les exportations et le commerce bilatéral ainsi que le nombre d’entreprises accompagnées par Business France sont bien au-dessus de 2019. (+ 42% d’entreprises accompagnées sur le continent par Business France depuis 2019, et les exportations françaises vers l’Afrique, étaient en forte hausse en 2022 (+20 %, NDLR).

Vous avez récemment lancé un accélérateur Afrique. Que recouvre cet instrument ?

Parmi notre palette d’outils, nous avons des « boosters » qui sont des programmes d’accompagnement de haut niveau afin de nous assurer qu’il existe bel et bien un continuum d’accompagnement par Business France et ses partenaires.

Actuellement, nous travaillons de concert avec la Région Sud à travers le « booster Méditerranée » qui s’intéresse aux pays du Maghreb. Nous voulons faire en sorte que les entreprises à fort potentiel de cette région puissent accéder à des opportunités d’affaires de la façon la plus optimale possible. Ce programme s’intéresse aux entreprises qui performent déjà à l’export et auxquelles nous faisons franchir un nouveau palier. Nous ne sommes donc pas sur des cas de PME primo-exportatrices, mais sur des entreprises qui cherchent à renforcer leur présence à l’international.

Quels sont aujourd’hui les secteurs d’activités dans lesquels les entreprises françaises en Afrique sont les plus présentes ?

Nous sommes présents sur tous les secteurs d’activité. Bien sûr, nous sommes très présents dans les infrastructures, le portuaire ou l’énergie par exemple, mais nous ne voulons pas nous satisfaire de l’existant. Notre mandat est d’accompagner les classes moyennes et l’évolution de leurs modes de consommation en Afrique. Il nous faut donc nous intéresser à tous les secteurs d’activités.

Il existe beaucoup d’opportunités sur fond de développement de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Il faut se méfier de la classification des secteurs d’activité, car nous pouvons aussi bien nous positionner sur les infrastructures agricoles que sur les cosmétiques. Par ailleurs, notre mission repose également sur l’attractivité de la France pour les investisseurs africains, sud-africains notamment.

Quels sont les résultats de la « Team France Export » (TFE) lancée en 2018, qui se structure autour de toutes les solutions publiques, pour accompagner les entreprises françaises à l’international ?

La « Team France Export » est la mise sous bannière commune de l’offre d’accompagnement export par les acteurs publics. Sous le chef de filât des régions, il y a bien sûr Business France, mais aussi Bpifrance qui s’intéresse notamment aux sujets de financements, et les Chambres de commerce et d’industrie avec lesquelles nous conseillons les entreprises sur le terrain. Cette volonté a été portée par Édouard Philippe en 2018 qui était alors Premier ministre et cela a marché !

Nous accompagnons beaucoup plus d’entreprises grâce à ce dispositif. Chacun s’appuie sur le réseau de l’autre. Le nombre d’entreprises françaises à l’export a fortement augmenté. Nous stagnions à 125.000 entreprises exportatrices en 2018 et nous avons atteint 150.000 entreprises aujourd’hui. Nous visons 200.000 exportateurs à l’horizon 2030. La TFE est non seulement une mise en commun des expertises, mais aussi une dynamique de terrain qui manquait peut-être jusqu’à présent.

Dans quelle mesure les entrepreneurs français sont-ils impactés par une forme de sentiment « anti-français », en particulier dans les pays du Sahel ?

Depuis deux ans, la géopolitique a une influence croissante sur le commerce international. Nous avons été relativement préservés jusqu’à la guerre en Ukraine, mais les récents épisodes dans le Sahel n’ont fait que rajouter de la difficulté pour nos entreprises dans ces pays. Il est clair que dans cette région, nous avons observé un ralentissement de la capacité de réussite à l’export, de façon assez évidente.

Il est encore un peu tôt pour en mesurer l’impact réel. Cela étant, ce ne sont pas les pays dans lesquels les entreprises françaises exportent le plus. Nous subissons cette situation dont les impacts négatifs sur les échanges commerciaux sont extrêmement dommageables pour les deux parties. Il faut néanmoins relativiser, car l’Afrique représente 54 pays et nous sommes présents dans 31 d’entre eux (…).

Nous n’avons aucune appréhension sur l’avenir de la relation entre la France et l’Afrique en termes de commerce international. Les chiffres s’alignent plutôt sur une dynamique de croissance. La France gagne encore, avec les pays africains, en matière d’activité réciproque. Par ailleurs, de plus en plus de projets africains viennent s’implanter en France. Si nous nous attendons à un ralentissement dans les pays du Sahel, ce n’est pas représentatif de la relation entre la France et les pays africains dans leur ensemble, en termes de commerce extérieur.

Dès son arrivée à l’Élysée, le président Macron a cherché à renforcer la relation de la France avec les pays anglophones du continent africain. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Nous avons aujourd’hui des bureaux en Éthiopie, au Kenya, en Afrique du Sud, en Angola (lusophone, NDLR). Nous avons une vraie réflexion sur la triangulation Afrique occidentale-Afrique de l’Est et Afrique australe. De nombreuses opportunités existent dans les pays anglophones et pas seulement sur le segment de la Tech. Nous avons d’ailleurs accompagné une entreprise française qui construit une usine d’huile d’avocats au Kenya.

Personnellement, je me refuse de privilégier une zone géographique à une autre. Être un « booster de business », c’est aussi pousser les entreprises dans les zones où nous avons des possibilités d’être davantage présents, sans nous reposer sur nos acquis, et c’est là que les discours du président de la République sont utiles et ouvrent de nouvelles opportunités.

En octobre, l’État lançait, en partenariat avec Business France, un programme dédié à l’accompagnement des métiers d’Art dans leurs exportations. En substance, que recouvre ce programme ?

Nous avons signé le 6 octobre dernier, avec Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, et Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, une convention d’accompagnement des EPV (entreprises du patrimoine vivant, NDLR). Nous voulons développer un programme spécial d’accompagnement avec des moyens gouvernementaux, pour que les entreprises du secteur EPV, accélèrent leurs initiatives à l’international.

Nous structurons la stratégie internationale des EPV, avec des partenaires comme l’Institut national des métiers d’Art (INMA), car aujourd’hui, les EPV font de l’export par opportunisme, par rencontres ou par bouche-à-oreille. Il nous faut donc structurer cet écosystème. Notre stratégie s’appuiera sur plusieurs étapes importantes comme l’Exposition universelle d’Osaka en 2025.

La décision de suspendre les visas pour les artistes sahéliens représente néanmoins un mauvais signal adressé à l’Afrique sur le segment des Arts et des industries créatives et culturelles (ICC)…

Les industries créatives et culturelles sont différentes des métiers d’Art et représentent un ensemble beaucoup plus large, mais globalement, si nous voulons attirer plus d’entreprises étrangères sur notre territoire, il faut une politique d’attractivité de visas, notamment des talents. Nous espérons que la prochaine loi sur l’immigration comportera un volet consacré à l’attractivité des talents, en plus de l’attractivité des capitaux.

De quelle façon les entrepreneurs français se préparent-ils à la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ?

Les accords de libre-échange sont des ouvertures de route toujours très favorables. Il faut néanmoins faire un travail approfondi auprès des entreprises, pour faire connaître la ZLECAf et son potentiel. Il y a un important travail de pédagogie à réaliser. Nous nous appuierons notamment sur le réseau de la « Team France Export » en région, pour présenter aux entreprises françaises, les opportunités relatives à la ZLECAf.

Lorsqu’on parle de croissance au XXIe siècle, il faut savoir comment la libérer, et cela passera aussi par ces accords de libre-échange. Il est important de parler de ces accords dans un contexte de regain protectionnisme.

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