Institution de financement du développement du Royaume-Uni, CDC Group déploie récemment une véritable offensive sur le continent africain, se positionnant dans des secteurs et des marchés stratégiques. Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, Benson Adenuga à la tête du bureau de CDC Group au Nigeria, revient sur les ambitions du bras financiers de l’Etat britannique sur le continent africain et présente la réflexion du groupe quant aux orientations d’investissement qui s’imposent dans le contexte économique actuel.
CDC Group investira 1 milliard de dollars en Afrique en 2021. Les infrastructures, les projets climatiques et les télécommunications seront des priorités. Pourquoi ces secteurs en particulier ?
BENSON ADENUGA – Nous investissons dans des secteurs qui génèrent un impact transformationnel et améliorent considérablement la qualité de vie des personnes d’une manière durable et respectueuse de l’environnement. En investissant dans des infrastructures essentielles qui améliorent la connectivité et la mobilité sociale, ou en catalysant le déploiement de technologies et de pratiques pionnières intelligentes face au climat, nous pouvons jeter les bases d’autres secteurs d’activité à travers les zones géographiques pour évoluer de manière durable.
Nous sommes en effet attachés à notre ambition d’investir jusqu’à 1 milliard de dollars américains dans des entreprises africaines en 2021 dans de nombreux secteurs dynamiques. Au cours des trois dernières années, nous avons investi plus de 3,7 milliards de dollars en Afrique. Nos collaborations avec des partenaires stratégiques sont conçues pour garantir que nos investissements reflètent les priorités locales et identifient les opportunités de croissance.
L’accès à l’électricité étant un obstacle majeur dans la trajectoire de développement du continent, nous éliminons le goulot d’étranglement dans le développement de projets électriques et accélérons considérablement l’accès à une énergie abordable et fiable grâce à Globeleq, l’un des principaux producteurs d’électricité indépendants en Afrique détenu majoritairement par CDC. L’énergie propre est un levier essentiel dans le virage vers l’objectif « Net Zéro » et un pilier clé de la stratégie climatique de CDC qui a conduit à plus d’un milliard de dollars d’investissements dans le financement climatique en Afrique et en Asie du Sud, depuis 2017.
En plus des questions climatiques, nous savons que l’infrastructure numérique est un outil essentiel pour le développement et nous voyons d’importantes opportunités dans ce domaine. Notre investissement dans Liquid Telecom est conçu pour étendre la connectivité à certains endroits les plus isolés et non connectés du continent. Cela a également soutenu l’ambition de cette entreprise de connecter le Cap [Afrique du Sud, NDLR] au Caire [Egypte] par un réseau de fibre optique et d’élargir l’infrastructure de manière à atteindre les ménages à faible revenu en Afrique centrale et de l’Ouest.
Quels sont les autres domaines que vous regardez comme stratégiques ?
Le renforcement des secteurs de la santé et de la fabrication sur nos marchés n’a jamais été un objectif d’investissement aussi important, car ces industries continuent de jouer un rôle de première ligne dans la réponse de CDC à la pandémie de Covid-19. Notre financement soutient des projets du Medical Credit Fund (MCF) au Nigeria, au Ghana, au Libéria, en Ouganda et en Tanzanie, qui devraient former plus de 2 500 professionnels de la santé, fournir des EPI [Equipements de protection individuelle, NDLR] à plus de 2 000 agents de santé et soutenir les cliniques qui atteignent plus de trois millions de patients par an. Grâce à MedAccess, nous soutenons également la livraison -via l’installation COVAX- de vaccins contre la COVID-19 en Afrique.
Enfin, nous accordons en outre la priorité à la garantie des flux commerciaux à travers le continent. Au cours de la dernière année, nous avons engagé plus de 1,4 milliard de dollars dans des facilités de financement du commerce, en soutenant les institutions financières locales et en injectant des liquidités systémiques sur les marchés africains. Alors que l’Afrique continue d’enregistrer des taux d’urbanisation élevés, nous identifions des investissements dans les infrastructures urbaines, en particulier dans les routes, les transports propres, le traitement des eaux usées et le dessalement. Nous ciblons aussi des secteurs tels que l’éducation, en particulier la formation et le perfectionnement des compétences aidant les gens à améliorer leurs opportunités économiques et leur qualité de vie.
Que représente l’Afrique francophone pour CDC en termes d’investissement et comment comptez-vous vous déployer dans cette zone à l’avenir ?
L’investissement de CDC en Afrique francophone comprend des engagements au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon, et s’étend aux secteurs de la santé, de la fabrication, de l’alimentation et de l’agriculture, des infrastructures et de la logistique. Nous sommes investis dans la centrale solaire de Ten Merina et Senergy au Sénégal par le biais du Meridiam Infrastructure Africa Fund qui, ensemble, fournissent une capacité de production de 60 MW au réseau électrique du pays. Tout cela témoigne de notre engagement indéfectible à accélérer l’accès à une énergie fiable en Afrique où, chaque jour, 600 millions de personnes sont privées d’électricité.
Aussi, un élément clé de notre stratégie climatique consiste à aider les pays africains à progresser vers le « Net Zéro », notamment en encourageant les entreprises à adopter des mesures qui contribuent à réduire leur empreinte carbone. Cette stratégie se reflète dans notre investissement dans Azito, une centrale électrique au gaz en Côte d’Ivoire dans laquelle CDC investit par l’intermédiaire de Globeleq. Azito génère désormais 50 % d’électricité en plus sans augmentation des émissions ou de la consommation de carburant, fournissant ainsi une alimentation électrique indispensable en Côte d’Ivoire et réduisant l’équivalent de 400 000 tonnes de CO2 par an.
Nous avons en outre récemment annoncé notre engagement dans l’Uhuru Growth Fund I, un fonds de première génération qui soutient les entreprises opérant dans les secteurs des services financiers et destinés aux consommateurs au Nigeria, au Ghana, en Côte d’Ivoire et dans d’autres marchés francophones. Notre investissement contribuera à stimuler la reprise économique après la crise causée par la pandémie de COVID-19 sur nos marchés, en permettant au fonds non seulement de diriger les capitaux vers des entreprises qui créent des emplois, fournissent des biens et services et améliorent l’accès aux soins de santé et aux services financiers.
Quels sont les marchés qui vous intéressent le plus dans cette partie du continent et pour quelles raisons ?
Au fil des ans, un certain nombre de nos investissements à travers l’Afrique francophone ont été réalisés via des intermédiaires, principalement nos gestionnaires de fonds de capital-investissement. Alors que nous élargissons notre couverture à travers l’Afrique francophone et le continent plus généralement, nous augmentons notre exposition aux opportunités d’investissement direct. CDC Group fournit du capital flexible sous toutes ses formes : fonds propres, dette, mezzanine et garanties. De notre point de vue, l’Afrique francophone offre de vastes opportunités de partenariats à long terme. Un marché que nous observons de près est la Côte d’Ivoire, poumon économique de l’Afrique de l’Ouest francophone. Malgré son ralentissement dû à la pandémie, l’économie de la Côte d’Ivoire peut -avec des investissements patients, une expertise et un partenariat- retrouver la croissance constante enregistrée au cours de la dernière décennie.
En plus d’être le premier exportateur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire dispose d’un secteur manufacturier florissant, de services, d’autres exportations et d’opportunités prometteuses en aquaculture qui soutiennent sa reprise après la pandémie et contribueront probablement aux facteurs qui augmenteront l’appétit des investisseurs. Le fait de développer davantage son secteur agroalimentaire pourrait ouvrir la voie à une chaîne de valeur agroalimentaire plus robuste et résiliente et ainsi libérer la prospérité et des emplois au sein des communautés exposées à une augmentation de la pauvreté rurale ces dernières années.
Par ailleurs, nous investissons plus que jamais dans une perspective de genre pour renforcer la participation des femmes dans les secteurs traditionnellement dominés par les hommes. Grâce à notre facilité d’assistance technique « CDC Plus », nous avons financé un projet qui a permis à ARISE de recruter et de former 50 femmes à Port minéralier d’Owendo et au Nouveau Port international d’Owendo au Gabon. Avec ce projet, nous contribuons à améliorer l’équilibre hommes-femmes dans les industries et mettons en évidence les besoins et les expériences uniques du recrutement de femmes gabonaises dans des parcours professionnels non traditionnels, tels que la logistique. Dans le cadre du « 2X Challenge », nous avons travaillé avec nos partenaires dans l’objectif de lever 15 milliards de dollars, afin d’accroître les investissements dans les opportunités inclusives pour l’autonomisation économique des femmes en Afrique et sur les nombreux marchés où nous investissons.
Notre continent constitue un centre d’intérêt majeur pour les investisseurs du monde entier. Vous évoquiez tantôt le commerce comme étant stratégique pour CDC. Alors que la ZLECAf et son vaste marché de plus d’un milliard de consommateurs suscite l’enthousiasme, quel est le regard du groupe sur cet espace commercial géant ?
La plus grande nouvelle zone de libre-échange au monde en plus de 70 ans vise à défragmenter l’Afrique et à créer un bloc commercial plus compétitif. Nous soutenons pleinement cette initiative passionnante et la soutiendrons avec notre capital et les partenariats que nous construisons avec les entreprises locales, favorisant leur croissance et leur transformation en champions régionaux et mondiaux. Selon la Banque mondiale, cette nouvelle alliance commerciale augmentera les revenus régionaux de 450 milliards de dollars et sortira 30 millions de personnes de l’extrême pauvreté d’ici 2035. La mise en œuvre de la Zlecaf devrait améliorer les opportunités d’emploi, réduire l’écart salarial entre les sexes, tout en accélérant la croissance des salaires pour les femmes en particulier. En outre, l’emploi agricole augmenterait dans 60 % des pays, les salaires des travailleurs non qualifiés bénéficiant principalement de l’expansion du secteur.
Par ailleurs, la montée du nationalisme et le déclin du soutien à la mondialisation, ainsi que les restrictions de voyage causées par la Covid-19, ont démontré la nécessité pour les économies de réduire leur dépendance aux capitaux, aux biens et aux services mondiaux et de bâtir des systèmes nationaux robustes. Ainsi, la substitution des importations est un pilier essentiel de la politique intérieure de nombreux pays depuis plusieurs années, mais les petits pays ont souvent du mal à réaliser des économies d’échelle. En s’intégrant à travers la Zlecaf et en priorisant le commerce intra-africain, l’Afrique peut renforcer considérablement sa résilience face aux chocs futurs.
En réduisant les formalités administratives et en permettant la libre circulation des personnes et de la main-d’œuvre, la concurrence, l’investissement et la propriété intellectuelle, les conditions de l’innovation et de l’entrepreneuriat sont considérablement améliorées, ce qui impulse une coopération économique transformatrice. Cependant, le secteur privé doit jouer son rôle et contribuer à des politiques de développement larges afin que les villes, les pays, les économies ou les industries qui ont tout à gagner en raison des inégalités préexistantes ne réussissent pas au détriment des zones moins avancées. C’est une condition préalable à une croissance inclusive.
Pour finir, comment résumeriez-vous la philosophie d’investissement de CDC sur le continent dans le contexte actuel ?
Je dirais pour résumer CDC Group est un partenaire à long terme prêt à relever les défis de développement les plus complexes du continent. En novembre 2020, nous étions un partenaire fondateur d’un consortium d’investissement d’impact mandaté pour créer une plate-forme biopharmaceutique de 750 millions de dollars, afin d’élargir l’accès aux médicaments génériques de spécialité essentiels à travers l’Afrique. CDC Group -avec nos partenaires Development Partners International (DPI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD)- a associé un fabricant de produits pharmaceutiques égyptien à une société indienne de médicaments génériques pour proposer aux marchés mal desservis des traitements à des prix accessibles. À ce jour, nous avons déjà fait des progrès en réservant 85 médicaments vitaux à des prix accessibles à travers le continent.
En tant que première du genre, la plate-forme pharmaceutique panafricaine générera d’importantes économies pour les prestataires de soins de santé en Afrique, élargira la gamme des thérapies disponibles et fournira aux consommateurs des produits de qualité dignes de confiance sur un marché submergé par les produits contrefaits. Ceci est un exemple des nombreuses façons dont nous nous engageons à obtenir un impact positif. Et cela constitue une preuve de notre engagement permanent à responsabiliser les entreprises locales en tant que catalyseurs d’une croissance inclusive.
Nous sommes partenaires du développement et de l’expansion des entreprises africaines depuis 1948. Nous avons contribué à la construction d’un écosystème naissant de capital-investissement donnant accès à de nouvelles formes de financement, en accompagnant la création d’un pool de capital-investissement de 20 milliards de dollars en Afrique, pour favoriser le rayonnement des entreprises les plus prometteuses. Nous avons en outre déployé plus de 10 % de tous nos capitaux de private equity sur le continent au cours des dernières années. CDC a des investissements dans plus de 1 200 entreprises en Afrique et dans les économies d’Asie du Sud, ainsi qu’une valeur totale de portefeuille de 6,2 milliards de dollars. Forts de notre expertise, nous sommes un partenaire de confiance pour l’avenir, et nous sommes disposés et capables d’en faire plus.
Propos recueillis par Ristel Tchounand.