A ce jour, trois personnes sur dix n’ont pas accès à des services d’eau potable gérés de manière sûre. Ce sont mille enfants qui meurent quotidiennement de maladies dues à des conditions d’assainissement et d’hygiène défavorables. La Tribune Afrique s’est entretenue avec Céline Robert, Responsable de la Division Eau et Assainissement de l’Agence française de développement (AFD) à l’occasion du Forum mondial de l’Eau dont l’édition de cette année est organisée pour la première fois en Afrique subsaharienne (Dakar).
Qu’est-il ressorti du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) concernant la question de l’eau et de l’assainissement ?
Céline Robert : Ce qu’il faut retenir, c’est que l’eau représente l’un des principaux vecteurs du changement climatique à travers ses effets. La hausse des températures, la montée des eaux, l’augmentation de l’évaporation de l’eau et l’accélération de la fonte des glaciers sont autant d’éléments qui perturbent le cycle hydrologique (…) Au-delà des sécheresses qui apparaîtront, la hausse des températures provoquera également une prolifération des bactéries. Partout où les populations n’ont pas accès à l’eau et à l’assainissement de façon satisfaisante, il faut s’attendre à une augmentation des maladies hydriques. Dans un précédent rapport, le GIEC a démontré que les problèmes d’accès à l’eau et à l’assainissement pourraient provoquer jusqu’à 250 000 morts supplémentaires par an d’ici 2050.
En chiffres, quelles sont les populations les plus affectées par le manque d’accès à l’eau et à l’assainissement dans le monde ?
En 2020, selon les Nations unies qui suivent l’objectif de développement durable (ODD) numéro 6, près d’un quart de l’humanité soit environ 2 milliards de personnes n’avaient pas accès à un service d’eau géré en toute sécurité. En Afrique, ce chiffre atteint 70% de la population. En matière d’assainissement, près de la moitié de l’humanité n’a pas accès à un service de qualité, soit 3,6 milliards de personnes et sur le continent africain, ce chiffre grimpe à 80%. Il ne s’agit pas seulement de toilettes, mais de toute la chaîne en aval, qui permet de transporter les effluents et de les traiter pour s’assurer qu’ils ne soient ni une menace sanitaire, ni une menace environnementale.
Quels sont les principaux textes multilatéraux qui existent autour de l’eau ?
L’engagement principal demeure cet objectif n°6 des Nations unies qui vise à garantir un accès universel à l’eau et à l’assainissement et qui doit permettre une gestion durable de la ressource en eau à l’horizon 2030. C’est un objectif ambitieux qui vient concrétiser la reconnaissance par l’ONU en 2010, de l’eau et de l’assainissement comme un droit humain. Un rapport de la Banque mondiale appelé « Beyond the Gap » indique qu’il faudrait 200 milliards de dollars d’investissement par an pour atteindre l’ODD numéro 6, soit 0,55% du PIB mondial. Cela représente des niveaux d’investissement variables en fonction des zones géographiques. En Afrique subsaharienne, il faudrait investir 1,6% du PIB dans le secteur de l’eau et de l’assainissement. Cela peut sembler être un montant important, mais c’est relatif, car les dépenses consécutives au manque d’eau et d’assainissement représentent près de 1,5% du PIB mondial en frais de santé, en déperdition de temps, en absentéisme ou encore en mortalité. Investir dans l’eau permet des bénéfices économiques considérables.
Comment évoluent les débats autour de la privatisation de l’eau à l’échelle mondiale ?
Il existe certains pays où cette ressource est privatisée, c’est notamment le cas en Australie. En France, l’eau est un bien public auquel tous les usagers ont accès. Ensuite se pose la question du service d’alimentation en eau et d’assainissement domestique. Est-ce un service marchand ? Ce sujet fait beaucoup moins débat aujourd’hui, car l’eau consommée dans les foyers fait nécessairement l’objet d’un traitement spécifique, il est donc logique de considérer que ce service a un coût (…) Désormais, la communauté internationale cherche à mettre en place des cadres de gouvernance qui permettront de répartir les ressources entre tous les usages de manière concertée.
Sommes-nous déjà entrés dans une phase d’urgence hydrique ?
Sur le continent africain, un certain nombre de pays, notamment au Nord du continent, font face au stress hydrique qui suppose des efforts en matière de gestion de la ressource. Il faut quantifier les ressources en eau pour optimiser son utilisation. L’agriculture concentre à elle seule, près de 70% de la consommation d’eau, contre 10% à 15% pour l’industrie et 10% à 15% également pour l’eau potable. L’un des principaux leviers pour économiser l’eau est de faire évoluer les modèles agricoles. Cela peut se faire via l’économie circulaire et à travers la réutilisation des ressources en matière industrielle et domestique. Le Maroc ou la Tunisie par exemple, développent la réutilisation des eaux usées traitées. Ils construisent des réseaux d’assainissement, des stations d’épuration et réutilisent les eaux usées pour l’irrigation agricole.
Comment évolue la question du barrage de la Renaissance entre l’Egypte et l’Ethiopie ? La « guerre de l’eau » a-t-elle déjà commencé ?
La question de l’eau est souvent liée à des problématiques transfrontalières. Près de 80% des besoins en eau sont assurés par des ressources transfrontalières sur le continent africain. Cela pose nécessairement la question de la coopération et des mécanismes de concertation entre les Etats. Il existe deux conventions internationales qui posent les principes de la gestion intégrée à l’échelle des bassins transfrontaliers, la Convention d’Helsinki de 1992 et la Convention du 21 mai 1997 de New York relative à l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. Au sein de l’AFD, nous travaillons depuis 15 ans, à l’appui des organismes de bassins transfrontaliers.
Le dessalement serait-il une voie durable pour pallier le manque d’eau sur le continent africain ? Pour quels coûts financiers, environnementaux ?
Cette option s’applique à des contextes particuliers, car il s’agit d’une solution assez chère à produire et qui nécessite beaucoup d’énergie. Le dessalement a un certain coût financier et peut avoir des impacts environnementaux non négligeables. L’Espagne ou Israël notamment, ont recours à cette méthode. Le dessalement suppose une évolution vers un mix énergétique en parallèle. Enfin, il faut gérer les risques environnementaux associés au dessalement et ne pas rejeter les saumures sur le littoral.
Quels sont les moyens pour faire face au stress hydrique en Afrique ?
En matière d’eau potable, il faut diversifier les ressources utilisées. Si l’on prend l’exemple du Sénégal, à Dakar, l’alimentation en eau provient de ressources souterraines, les nappes phréatiques d’une part, et des eaux de surface d’autre part. Dans un contexte de stress hydrique, il faut essayer d’économiser la ressource au maximum. L’année dernière, l’AFD a approuvé un financement de 6 millions d’euros au Sénégal, pour améliorer la préservation de la ressource en eau dans la zone de Pout. Nous allons mettre en place un mécanisme de gouvernance qui permettra de mobiliser tous les acteurs pour essayer de répartir correctement la ressource en eau. Nous travaillerons également à la recherche de nappes en faisant de petits aménagements qui permettront aux eaux de pluie de s’infiltrer le plus directement possible pour être stockées. Ensuite, nous nous pencherons sur l’occupation des sols, sur les pratiques agricoles, mais aussi sur la re-végétalisation qui permettra d’éviter l’érosion et de mieux recharger les nappes. Nous formerons aussi des maraîchers à l’agroécologie. Enfin, en dehors de cet exemple au Sénégal, l’AFD travaille sur la réutilisation des eaux usées traitées (…) Au total, l’activité eau et assainissement de l’AFD représente environ 300 projets pour près de 8 milliards d’euros dont la moitié est destinée au continent africain.
Quels sont les principaux enjeux du 9e Forum mondial de l’eau qui se tient à Dakar du 21 au 26 mars ?
C’est le principal événement mondial destiné à l’eau et à l’assainissement, qui se tient tous les 3 ans. C’est la première fois qu’il se déroule en Afrique subsaharienne. Nous attendons une mobilisation de la communauté internationale et des gouvernements pour l’atteinte de cet objectif numéro 6 des Nations unies. Cette édition est appelée le « Forum des réponses », car elle est résolument orientée solutions. Le thème général de cette année tourne autour de la sécurité de l’eau pour la paix et le développement. Le Forum mondial de l’Eau est un rendez-vous multipartite qui réunit chefs d’Etat, membre de gouvernements, agences multilatérales ou bilatérales, secteur privé, parlementaire, mais aussi représentants des sociétés civiles. Il précède un autre grand rendez-vous onusien autour de l’eau qui se tiendra l’année prochaine. La dernière grande conférence onusienne sur l’eau s’est tenue en 1977. L’un des objectifs de ce Forum mondial de l’eau est donc de préparer des engagements qui pourraient être adoptés à l’ONU en 2023.