Chine : victoire financière sans guerre militaire

CHRONIQUE. La devise chinoise vient de supplanter le jadis tout-puissant yen. Le système international de paiements SWIFT doit en effet désormais compter avec le Yuan dont les volumes sont devenus les quatrièmes plus importants après le dollar, l’euro et le franc suisse. Par Michel Santi, économiste (*)

Longtemps considérée spéculative, la «renminbi» semble en pleine transfiguration puisque de tels volumes la rendent attractives pour investisseurs alternatifs en quête de valeurs refuges. De fait, alors que la tourmente du rouble et de l’économie russe provoque sur les marchés financiers des secousses majeures, la stabilité du yuan au même moment est fort révélatrice.

Cette résilience monétaire chinoise fait évidemment l’affaire des autorités de ce pays qui concentrent depuis plus de 20 ans leurs efforts pour encourager et pour pousser à ce que toujours davantage de transactions commerciales internationales soient libellées en yuan. La reconnaissance de leur devise semble désormais un fait acquis. Très ambitieuse, la Chine vise bien sûr à transcender SWIFT – dont la Russie vient d’être ostracisée – pour ne plus être dépendante de ce réseau contrôlé par l’Ouest, et n’avoir pas un jour à subir l’entreprise de démolition méthodique subie par l’économie russe. Voilà pourquoi elle travaille consciencieusement depuis de nombreuses années à installer et à améliorer son propre système concurrent de paiements internationaux libellé en renminbi – Cross-Border Interbank Payments System (Cips) – qui compte quand même aujourd’hui 1.200 établissements affiliés à travers 100 pays, et dont le volume des transactions a progressé de près de 25% en 2 ans pour atteindre 8.000 milliards de dollars environ. L’enjeu étant de casser la domination absolue américaine et européenne sur le trafic des paiements – vital pour toute économie – et où SWIFT reste le poids lourd absolu puisqu’il compte plus de 11.000 membres à travers le globe.

Les déboires russes représentent à ce titre une opportunité pour la Chine qui met progressivement au service des consommateurs de ce pays des cartes de crédit et de débit émises par des banques chinoises dans un contexte où Visa, Mastercard et American Express ont suspendu en Russie leurs opérations. Cette intégration économique des deux nations se révèle être un véritable mouvement de fond qui, en réalité, a démarré dès 2014 et dès l’invasion de la Crimée qui a sonné le début des efforts conjugués des deux pays pour diminuer activement la part du dollar dans leur commerce bilatéral. Aujourd’hui, tandis que la part du billet vert a chuté à moins de 50% dans le commerce entre ces deux pays, des accords financiers ont également été signés entre leurs banques centrales respectives dont l’objectif frontal est de s’extirper de la dépendance vis-à-vis de l’Ouest. Le système des sanctions et l’exemple éloquent de la rudesse de celles tout récemment imposées à la Russie font déjà réfléchir très sérieusement des nations honnies comme l’Iran ou le Venezuela et les précipitera à court terme et à coup sûr corps et âme dans les bras de la Chine, de son système bancaire et de son réseau Cips.

La Chine soutiendra de manière illimitée la Russie

Pour ce faire, leurs banques centrales sont en passe de détenir un part importante de Yuans dans leurs réserves, à l’image de la Russie dont près de 15% du trésor de guerre est exprimée en monnaie chinoise. Il va de soi que la Chine profite de sa position prédominante pour commercer, travailler et financer des nations sous embargo comme l’Iran et la Corée du Nord, ce sans nullement se soucier d’hypothétiques sanctions à son encontre qui ne se matérialiseront jamais pas, car les États-Unis ne franchiront jamais cette ligne rouge avec celle qui sera prochainement la première puissance économique mondiale. Le message de Pékin est donc limpide : la Chine soutiendra de manière illimitée la Russie, et par-delà apportera un certain réconfort matériel à toutes les nations qui seront mises au pas par les USA.

Le système financier universel ne tourne aujourd’hui que par la grâce du dollar américain qui reste le combustible fondamental du moteur de la prospérité des économies du monde entier et du commerce global. L’abus de sanctions dont certaines vitrifient littéralement un pays, la confiscation inédite des réserves d’une banque centrale, l’exclusion unilatérale de cette même banque centrale de la Banque des Règlements internationaux pourtant censée être la banque centrale des banques centrales, la mise au ban de l’économie russe considérée pestiférée, sont autant de facteurs qui remettent en question la confiance accordée en ce système par nombre de nations affolées par sa transformation en terrible levier de rétorsions, voire d’annihilation financière. Pendant ce temps, la Chine rit sous cape, car elle devient d’autant plus attractive que les États-Unis et que l’Ouest abusent du système financier à leur merci et du dollar comme arme fatale.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d’Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l’auteur d’un nouvel ouvrage : « Le testament d’un économiste désabusé ».
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