Dette africaine : aux Etats-Unis, des recherches pour tacler la Chine ?

La Chine annonçait, en août, l’annulation d’ardoises de la dette sans intérêts de 17 pays africains. A l’Université de Boston, des chercheurs viennent de publier une étude estimant que ces prêts représenteraient seulement un maximum de 1% de la dette africaine auprès de Pékin. Une sorte de contre-attaque au coup de com’ chinois?

Les ardoises de la dette africaine récemment annulées par la Chine n’excèderaient pas les 610 millions de dollars, alors que le total des prêts sans intérêt de l’empire du milieu au continent représenteraient à peine 1% de la dette globale des pays africains auprès de Pékin, indique une nouvelle étude du Centre de politique de développement mondial de l’Université de Boston. Une goutte d’eau dans l’océan ?

Le 18 août dernier en effet, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a annoncé que « la Chine renoncera aux 23 prêts sans intérêt pour 17 pays africains qui étaient arrivés à échéance à la fin de 2021 ». Un coup de com’, puisque la nouvelle avait le tour des médias. Mais jusqu’ici, Pékin est resté ultra-discret. Aucune information ne filtre quant aux pays et montants concernés.

« Une petite partie des prêts de la Chine à l’Afrique »

En l’absence de ces précisions, les chercheurs fondent leurs conclusions sur l’étude de la base de données « China Loans to Africa » gérée par l’Université de Boston et qui retrace, disent-ils, les prêts octroyés par Pékin aux pays africains. Cette base de données répertorie 1 188 prêts chinois d’une valeur de 159,98 milliards de dollars au continent africain dont « 212 prêts sans intérêts entre 2000 et 2020 à 38 pays » pour un total de 2,22 milliards de dollars. Les prêts annulés étant arrivés à échéance à fin 2021, les chercheures ont déterminé une période médiane de 10 ans, supposant qu’il s’agirait de prêts contractés entre 2010 et 2012. Etablissant quatre estimations possibles du montant approximatif annulé par Pékin, les scientifiques concluent :

« Il est difficile de déterminer le montant exact de la dernière série d’annulations par manque d’informations. Néanmoins, la base de données Chinese Loans to Africa (CLA), gérée par le Boston University Global Development Policy Center, donne une idée de l’ampleur de la récente remise des IFL par la Chine à l’Afrique, qui pourrait varier de 45 millions de dollars à 610 millions de dollars, mais constitue globalement une petite partie des prêts de la Chine à l’Afrique. »

« Si la totalité des 2,22 milliards de dollars d’IFL dans la base de données CLA était annulée, cela représenterait 1% des 159,98 milliards de dollars de prêts chinois à l’Afrique engagés de 2000 à 2020. »

Les chercheurs de Boston University rappellent que la Chine a déjà historiquement procédé à plusieurs annulations de prêts sans intérêts à l’Afrique ainsi qu’à la suspension du service de la dette notamment dans le cadre de l’initiative du G20 baptisée Debt Service Suspension Initiative (DSSI).

Une querelle qui s’appelle « dette »

Publiée vendredi 9 septembre, l’étude était relayée dès lundi de manière factuelle par plusieurs médias internationaux, alors que l’annonce chinoise et l’absence de précisions avaient déjà été interprétées par plusieurs experts comme une stratégie de guerre d’influence, pour contrer les « attaques » des Occidentaux.

En effet, la relation financière de l’Afrique avec la Chine fait depuis un moment l’objet de vives critiques de la part des Occidentaux, qui évoquent « le piège de la dette », accusant Pékin de vouloir piéger les pays africains en leur proposant régulièrement des enveloppes. De leur côté, Xi Jinping et son gouvernement réfutent vigoureusement ces accusations. « Il s’agit d’un discours qui a été créé par ceux qui ne veulent pas voir le développement de l’AfriqueS’il y a un piège, c’est celui de la pauvreté et du sous-développement », déclarait Wang Yi en visite au Kenya en janvier dernier.

« Crédibiliser » le discours ?

Alors que l’ombre de cette rivalité internationale en terre africaine a fortement plané pendant les tournées estivales des puissances mondiales dont les Etats-Unis et la France -cette dernière un peu moins, car beaucoup plus concentrée sur son bras de fer avec la Russie-, la suite -avec cette étude scientifique notamment- démontrerait, selon un expert contacté par LTA, « la volonté des puissances de crédibiliser leur discours ». Mais d’après lui, la partie n’est peut-être pas gagnée d’avance, en raison notamment des méthodes employées.

« Dans la mesure où la chine n’a pas annoncé de montants, ni donné de précisions sur les pays bénéficiaires, qu’est-ce qui permet à des experts aux Etats-Unis de dire qu’il s’agit de tel ou tel montant ? Même si une base de données existe, est-elle alimentée par les Chinois ? Vu l’opacité de la communication de la Chine sur ses prêts en Afrique, il serait difficile, à mon avis, de faire des analyses aussi précises. De plus, connaissant la prudence des Chinois, quelle légitimité aurait la base de données servant à l’étude pour être mieux informée que les Chinois qui ne veulent pas informer ? », interroge l’expert estimant que « l’étude la plus intéressante » scientifiquement parlant devrait renseigner sur les pays bénéficiaires, les circonstances et les domaines dans lesquels ces dettes ont été contractées, l’impact de l’annulation de ces dettes sur la soutenabilité de l’effort de développement dans ces pays…

« Sans cela, on assiste à de la propagande déguisée de manière intellectuelle pour donner une consistance pseudo-scientifique à une position idéologique déjà prise », conclut-il.

Alors que la guerre d’influence des puissances mondiales s’intensifie sur le continent, sur fond de guerre économique dans laquelle la Chine a pris une longueur d’avance -car devenue le premier partenaire commercial de plusieurs pays, les changements géostratégiques dans le monde renforcent le principe de la parole de l’un contre l’autre autour d’une Afrique à la croisée des chemins en termes d’essor économique.

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