Le 24 septembre 2021 marque les deux ans de la disparition de Gabriel Fal, fondateur de CGF Bourse et de CGF Gestion. En ce moment de commémoration, nous reproduisons sa tribune parue en 2018 dans Jeune Afrique sur l’importance de la terre agricole.
De grâce, donnez de la valeur à la terre !
La principale composante de la richesse de la population d’un pays, c’est le patrimoine foncier et immobilier. En France, par exemple, le ministère des Finances chiffre le patrimoine des Français à 10 000 milliards d’euros, ce qui représente huit années de revenus et cinq années de PIB. Les Britanniques possèdent une fortune moyenne équivalent à onze ans de PIB, et les Allemands seulement six, mais d’un PIB plus important. Aujourd’hui, la part immobilière dépasse largement celle du foncier (environ un tiers du total), mais il ne faut jamais oublier qu’à l’origine de la fortune des ménages, il y a eu une distribution (et le plus souvent une redistribution) des terres à travers une réforme agraire.
La réforme agraire peut être définie comme l’ensemble des mesures économiques, sociales et politiques visant à modifier la structure de la propriété et de la production de la terre. Ces réformes visent à empêcher que la propriété de la terre ne soit répartie qu’entre quelques nantis qui se contenteront de spéculer sur la valeur et n’encourageront pas une utilisation productive des terres. En outre, le droit de propriété permet aux exploitants d’utiliser la terre comme garantie pour accéder au crédit bancaire. Il facilite aussi la transmission successorale et plus généralement la sécurisation des investissements de production.
Nous avons tendance à penser que ces réformes sont de nature socialisante ou communisante puisqu’elles ont été à la pointe des combats révolutionnaires des XIXe et XXe siècles. En réalité, dans les pays où le libéralisme a su résister à la collectivisation des moyens de production, les droits de propriété foncière ont plutôt produit des effets d’accumulation de capital, à l’origine de la prospérité des peuples concernés. Dans certains pays africains, j’entends dire que l’on a attribué des centaines, voire des milliers d’hectares à des citadins, certes influents, mais qui n’ont montré aucune disposition à la production agricole. Il faut cesser cette dérive car elle est néfaste à une réforme réussie. Les réformes agraires ont touché tous les continents et ont le plus souvent été des succès, même si certaines ont été la cause de graves violences.
En France, la première réforme agraire a eu lieu sous le Directoire. En Irlande, elle devint cruciale après la Grande Famine et dura cinquante ans. En Colombie, elle a été stoppée par les narcotrafiquants et les paramilitaires. Aujourd’hui, on constate une nouvelle concentration des terres dans ce pays. En Afrique, les efforts de réforme agraire ont été des plus timides. L’Égypte a bien essayé en 1961 de réduire la propriété foncière maximale à 42 ha par famille, mais cette réforme a été depuis largement déconstruite. Le seul modèle digne de ce nom est celui de l’Afrique du Sud où la réforme agraire était l’une des promesses de l’ANC. La réforme était basée sur un système de prix équitable. Ce sont deux décrets de 1906 et de 1932 qui ont organisé la propriété foncière dans les ex-colonies d’AOF. Par la suite, la Côte d’Ivoire est pratiquement le seul pays qui a su faire cohabiter le régime coutumier de propriété rurale et la grande production agro-industrielle. Le problème du régime foncier ivoirien est le dénuement de l’administration cadastrale rurale qui la rend inefficace, ce qui est à l’origine de nombreux conflits.
Donc, depuis les années 1960, le régime le plus fréquent en Afrique francophone est celui de l’appropriation du foncier rural par l’État avec délégation d’attribution aux communautés rurales. Au Sénégal, on parle de la loi sur le « domaine national » qui n’attribue aux paysans que la seule affectation, assortie de l’interdiction totale de transaction. La plupart des économistes considèrent que ce régime est réducteur vis-à-vis du développement et de la modernisation nécessaire du monde rural. Concrètement, il se traduit par une sous-mécanisation de la production, la dégradation des infrastructures, la vétusté des équipements, la mauvaise qualité des semences et, bien entendu, les difficultés d’accès au financement. La terre, elle-même, ne vaut pratiquement rien sauf à proximité des zones urbaines. Il devient absolument indispensable de mettre en place un programme global de réforme agraire et de privatisation des terres. La valeur est créatrice de recettes financières, de performance économique et de bien-être des populations. De grâce, donnez de la valeur à la terre !
Par la rédaction