Esport : « Les Africains pourraient développer une vraie filière » (Désiré Koussawo, France eSports)

Ces dernières années, le sport est de plus en plus valorisé comme un secteur économique sur le continent. Alors que les disciplines émergent, l’e-sport se fraie lentement un chemin. Désiré Koussawo, président de France eSports et entrepreneur dans le domaine, revient pour La Tribune Afrique sur le concept de l’e-sport proprement dit et jette un regard analytique sur le potentiel économique de cette discipline pour un continent à l’avenir prometteur, à tous points de vue.

– Vous êtes un référent de l’e-sport en France, mais votre parcours est assez atypique, puisque vous avez étudié le management. De quelle manière êtes-vous arrivez à construire une carrière autour de l’e-sport ?

DÉSIRÉ KOUSSAWO – Je suis tombé dans l’e-sport tout à fait par hasard en 2000. Au départ, c’était un simple hobby, il n’y avait aucunement une logique économique et business. J’ai cela pendant quinze ans où j’ai été président de l’Association Futurolan qui organisait cet événement à Poitiers. Evidemment, les budgets ont eu une croissance exponentielle puisque nous démariions en 2000 avec quelques milliers d’euros, alors que quand j’ai quitté la présidence en 2014, les budgets se chiffraient à plusieurs centaines de milliers d’euros. Aujourd’hui, l’événement existe toujours avec un budget à 600.000 euros ou 700.000 euros.

Personnellement, j’ai eu la chance en 2014 d’être repéré par un groupe international ESL, aujourd’hui EFG, le leader mondial de l’organisation des événements d’e-sport, alors qu’il qui cherchait à développer ses activités en France. Et qui a fait appel à moi pour développer l’événementiel en France. J’y suis resté jusqu’en 2020, finissant directeur général de filiale française avec une douzaine d’employés et un chiffre d’affaires à l’époque de plus de 2 millions d’euros. Et depuis trois ans, je suis à mon propre compte, j’accompagne les entreprises, les collectivités… qui souhaitent s’appuyer sur le levier de l’e-sport pour développer leurs activités. Le constat est que l’e-sport intrigue et intéresse.

Quel potentiel pour le continent africain où vous êtes également actif pour le développement de cette pratique ?

Je dirais déjà que rien que mon parcours montre qu’il est possible qu’une activité considérée à la base comme un hobby de geek peut devenir une filière économique à part entière. Si cela a pu se faire en Europe, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible en Afrique.

En tant que président de France eSports, je m’occupe de coordonner l’ensemble de la filière : les éditeurs de jeux vidéo, mais aussi les promoteurs d’e-sport, joueurs, marketeurs… Même si notre mission est avant tout d’activer le marché français, nous avons parfois des missions de réflexion, d’échanges avec les acteurs étrangers aussi bien d’Afrique que d’Asie ou du Moyen-Orient.

En revanche dans le cadre de mes activités personnelles, j’accompagne les acteurs qui souhaitent développer des activités autour de l’e-sport. La société que j’ai créée à Maurice a effectivement signé des partenariats dans une quarantaine de pays du continent.

On associe souvent l’e-sport au gaming. Mais quelle nuance existe-t-il entre les deux ?

Justement, il est important de cerner la différence entre les deux. Le gaming rassemble toutes les pratiques de vidéos ludiques : développement de jeux mobiles, activités autour des jeux vidéo… Bref, le gaming est le jeu vidéo au sens large. L’e-sport est en revanche caractérisé par les compétitions. C’est-à-dire que lorsque deux personnes ou deux groupes de personnes s’affrontent par l’intermédiaire d’une plateforme technique, c’est de l’e-sport.

Et les métiers de l’e-sport ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux du gaming. Ils vont concerner tout ce qui tourne autour de l’e-athlète : joueur professionnel ou amateur, coach, agent, équipe commerciale, équipe événementielle …En Afrique tous ces métiers se développent et il y a eu plusieurs collaborations entre acteurs français et africains (Sénégal, Cote d’Ivoire…).

J’estime que les opportunités autour de l’e-sport en Afrique sont nombreuses. J’ai réussi à trouver dans 40 pays, plusieurs dizaines de partenaires et quelques équipes de joueurs. Si la pratique de l’e-sport amateur ou professionnel se développe, cela oblige aussi à développer les infrastructures tout autour (connectivité, facilité d’accès aux ordinateurs…). La chance qu’a le continent, c’est de disposer de talents…

Cet intérêt pour l’e-sport est-il donc généralisé sur le continent ?

Non au contraire, très peu de pays s’intéressent à l’e-sport. Ce sont plutôt les associations au sein de ces pays qui cherchent des pistes de développement. Je peux citer le Nigeria, le Sénégal, le Maroc ou le Kenya. Quelques pays africains ont pris conscience de l’opportunité que représente la pratique de l’e-sport, mais la grande majorité des pays ne s’y intéresse pas. Cela est dommage parce qu’il y a un potentiel de développement économique et je pense que les pays qui feront l’effort de s’y intéresser, pourront vraiment en tirer les bénéfices. Attention, je ne dis pas que les 54 pays africains peuvent devenir des puissances de l’e-sport, mais je pense que les pays qui ont déjà une infrastructure internet et électrique correcte avec des jeunes ouverts à cette discipline, pourraient développer une vraie filière : l’Egypte, le Nigeria, le Kenya, l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Maroc…

A votre avis, comment favoriser cette « révolution » de l’e-sport dans les pays africains ?

A mon sens, le continent souffre d’un manque de cohésion. Par exemple, la différence entre le football (très pratiqué sur le continent) et l’e-sport, c’est que lorsqu’on organise une ligue de football au Sénégal, on va détecter les talents dans les villes et villages, les meilleurs sont conduits vers la capitale, parfois intégrés à l’équipe nationale ou autres. Tout cela se fait en vase clos dans le pays, sans réel interaction avec les autres pays, si ce n’est pendant la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) ou d’autres compétitions régionales. L’e-sport est différent. Il fonctionne sous forme de terrains virtuels. Par définition, le terrain virtuel ne respecte pas les frontières. Vous pouvez vous retrouver avec une équipe (comme en Amérique ou en Europe) où les joueurs sont répartis sur tout le continent. En France, il y a des compétitions où les joueurs sont dispersés dans tout le pays. Il y a même des compétitions internationales qui se jouent entre les pays. Cela implique le développement d’infrastructures qui permette une communication aisée entre les pays.

Les jeux exploités dans l’e-sport sont développés par des studios ou des développeurs internationaux (américains, chinois, japonais) qui disposent de la matière qui produit la compétition. Je prends l’exemple de Fornite, le jeu d’e-sport le plus joué au monde. Son éditeur s’appelle Epic Games. Il a aujourd’hui installé des serveurs en Amérique, en Europe, en Asie, au Moyen-Orient pour permettre aux joueurs de participer à des compétitions. Mais il n’a aucun serveur en Afrique. Quand je discute avec eux, ils me disent : « l’Afrique ce n’est pas simple, c’est 54 pays avec des règles différentes, des infrastructures techniques différentes, s’adapter à tout cela est compliqué ».

De la même manière qu’en Europe on a créé l’Union européenne, il faut que l’Afrique ait une sorte d’union technologique et réglementaire qui rende le marché africain intéressant pour Epic Games, afin qu’un joueur sénégalais qui se connecte à son serveur au Nigeria ne soit pas confronté à la barrière fiscale, technique. La fluidité représente tout un enjeu. Je pense souvent à l’initiative Smart Africa [Alliance panafricaine basée au Rwanda visant à accélerer le développement socio-économique du continent grâce à l’accès abordable de l’internet haut débit et de l’utilisation des TIC, ndlr] qui, à mon sens, pourrait être un bon levier pour exploiter le potentiel de l’e-sport sur le continent africain, parce qu’il a accès à plusieurs pays.

Source Tribune Afrique

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