Face aux crises actuelles, le Conseil de sécurité a besoin de reformes

La crise ukrainienne expose tragiquement au monde la paralysie du Conseil de sécurité des Nations unies. Face à la multiplication des conflits et à l’avènement de nouvelles puissances démographiques, économiques et militaires, une réforme structurelle de l’organe exécutif de l’ONU apparaît nécessaire, notamment pour donner une plus grande place à l’Afrique.

Rappelons que la structure du Conseil de sécurité des Nations unies.(CSNU) reste inchangée depuis sa première – et unique – réforme de 1963. Cette année a été marquée par l’augmentation du nombre de membres non permanents — de 6 à 10 — et une redistribution des sièges autour de facteurs géographiques. Si des projets de réforme sont inscrits à l’ordre du jour de l’Assemblée générale de l’ONU depuis plus de 40 ans, force est de constater que les négociations pour y aboutir durent depuis presque autant de temps. Cette disposition des Etats au changement est portée par la quasi-totalité des membres de l’ONU quand bien même leurs appels restent toujours sans réponse.

Le P5 doit retrouver l’esprit des pères fondateurs de Yalta et de San Francisco

A Yalta, en février 1945 et plus tard à San Francisco en juin 1945, le réalisme politique avait fondé la mise en œuvre du Conseil de sécurité sur un socle de cinq pays (P5), tous grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Logiquement, un même pragmatisme devrait conduire le P5 à accepter que l’environnement international a considérablement changé depuis la fin des empires coloniaux dans les années 1960 puis l’éclatement de l’URSS.

Par exemple, aujourd’hui, la part du P5 dans l’économie mondiale et au niveau des populations n’est plus aussi significative qu’elle ne l’était en 1945. A contrario, les groupes régionaux reconnus par l’Assemblée générale (Afrique, Amérique Latine / Caraïbes et Asie occidentale) ont vu le poids de leur économie et démographie progresser fortement.

D’autres acteurs appellent au changement pour répondre à l’inertie du P5. Citons le G4, composé de l’Allemagne, du Brésil, de l’Inde et du Japon, tous contributeurs majeurs au budget régulier de l’ONU et dont les membres accepteraient un siège permanent sans droit de veto. A l’échelle africaine, une unité continentale s’est dessinée à travers le consensus d’Ezulmini (Eswatini ; ancien Swaziland) et la déclaration de Syrte, dont le message est soutenu par des Etats non-africains.

Problématiques africaines, risques globaux

La mutation profonde de la géographie des risques globaux, que n’efface pas la guerre en Ukraine, rend l’intégration africaine de plus en plus nécessaire dans la gestion des affaires du monde. D’abord parce que les conséquences des conflits africains ne peuvent être circonscrites au seul continent, en témoigne la capacité de projection des groupes terroristes sur le sol européen. Il en est de même pour les mouvements migratoires et trafics illicites conséquences directes de l’insécurité chronique sur le continent.

Ensuite, parce que l’Afrique est la plus exposée aux effets du changement climatique, dont elle est déjà la première victime alors qu’elle en est la dernière responsable en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Raréfaction des ressources naturelles, tensions alimentaires et hydriques ainsi que crises sanitaires constituent autant de causes potentielles de conflits en Afrique, avec des conséquences qui risquent d’être désastreuses sur les plans humanitaire et sécuritaire.

Enfin, parce que le continent est au cœur des débats du CSNU et que la modestie de sa contribution financière à l’ONU est largement compensée par sa contribution humaine au maintien de la paix. Au cours d’un sommet à Dakar consacrée aux questions de sécurité, Mahamadou Issoufou, l’ancien président de la République du Niger, rappelait avec justesse que « 50 % des questions à l’ordre du jour du Conseil de sécurité et 70 % de celles inscrites au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies concernent l’Afrique ». De fait, sur les 14 opérations de maintien de la paix en cours sous mandat de l’ONU, 7 se déroulent en Afrique. Près de 85 % de leurs personnels militaires et civils sont présents en Afrique et sur les 20 premiers pays contributeurs de troupes, 13 sont africains.

Faire émerger une voix continentale unifiée

Il appartient naturellement aux pays africains de concrétiser leurs ambitions légitimes par l’émergence d’une voix unifiée. N’en ignorons pas les difficultés. L’Afrique n’est pas un bloc monolithique et aucun Etat ne peut, à lui seul, se prévaloir d’en représenter l’entièreté. L’entrée au CSNU d’un Etat plus qu’un autre serait, sans doute, source de fortes raideurs régionales. Dans ce contexte, il est souhaitable que le continent puisse renforcer davantage sa capacité de négociation en tant qu’acteur diplomatique disposé à exprimer la position commune des Etats membres et à contribuer à la sécurité internationale. La rédaction d’une recommandation, portée par l’ensemble des pays africains et soumise au vote de l’Assemblée générale des Nations unies, serait un geste fort pour obtenir l’approbation du Conseil de sécurité.

Il serait certes bien ambitieux de considérer que l’élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies pourrait constituer, à lui seul, une réponse à l’instabilité internationale. En ignorer la portée, même symbolique, est en revanche une injustice envers l’immense majorité des pays du monde, jugée de facto illégitime à prendre part de manière permanente à la sécurité internationale. Refuser de reconnaître que la légitimité du CSNU est en partie conditionnée à sa représentativité témoigne aussi de la volonté du P5 de rester arrimé à un ordre international aujourd’hui très contesté.

(*) Ancien haut fonctionnaire des Nations Unies et membre fondateur de l’Initiative globale pour la paix et la sécurité en Afrique (IGPSA), Ahmedou Ould Abdallah est président du Centre pour la stratégie et la sécurité dans le Sahel Sahara (Centre4s).

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