Journée internationale des droits des femmes: pourquoi les investisseurs préfèrent encore les hommes

L’économie des start-up, des licornes et des fonds d’investissement est une affaire masculine. Les biais qui pénalisent les femmes ne concernent pas seulement l’ancien monde. Démonstration avec un extrait du livre d’ Anne-Marie Rocco, grand reporter à ChallengesEgalité femmes-hommes: une grande cause, et après?, qui anime la rubrique « Femmes »

Les plafonds de verre qui brident les carrières au féminin sont toujours là. La « start-up nation », par exemple, est presque exclusivement masculine. Du moins lorsqu’on observe les jeunes pousses qui ont le plus la confiance des investisseurs, qui sont d’ailleurs, eux aussi, presque exclusivement des hommes. Grand reporter à Challenges, Anne-Marie Rocco a consacré, dans le magazine et dans la rubrique qu’elle anime, de nombreux articles à l’évolution de la parité dans le monde du business. L’ouvrage qu’elle cosigne avec la communicante Patricia Chapelotte, créatrice du prix de la Femme d’influence, balaie plus large en explorant des secteurs comme celui du sport professionnel ou de la science.

Avec comme clé d’entrée, le témoignage de femmes qui, chacune, ont su dynamiter les plafonds de verre. A commencer par Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, qui livre une préface de combattante de la (juste) cause. Clémentine Autain, Edith Cresson, Anne-Marie Idrac, Sylvie Bermann ou Delphine Ernotte ont aussi répondu au rendez-vous. Extraits.


« En voyant la photo, le sang de Delphine Rémy-Bou-tang n’a fait qu’un tour: onze hommes en chemises blanches et jeans, shootés sur une terrasse avec vue sur la tour Eiffel, pour illustrer une enquête sur les start-up françaises « enfin prêtes à jouer dans la cour des grands ». L’image de la « start-up nation » sans la moindre femme! Publié fin août 2017 sur le site du magazine Capital, le cliché fait des vagues, comme l’avait fait côté investisseur le portrait de groupe des associés-gérants de Rothschild publié par Challenges en 2015.

Portrait de groupe des 19 associés-gérants de Rothschild publié par Challenges en 2015. Les fonds d’investissement ne comptent que 14% de femmes associées, selon le BCG. (Bruno Levy/Challenges).

La fondatrice de la Journée de la femme digitale et de l’agence digitale The Bureau, elle, n’a pas jugé utile d’alimenter la polémique sur les réseaux sociaux à propos du cliché de Capital. En femme d’action, elle organise à toute vitesse la riposte, non dépourvue d’humour: une photo de groupe en forme de manifeste, prise quelques jours plus tard, pour laquelle treize créatrices de start-up ont répondu présentes. La consigne était de porter chemise blanche et jean, comme ces messieurs. Et comme eux, elles aussi ont été photographiées avec en arrière-plan la tour Eiffel, symbole de la capitale et de sa vitalité en matière de création d’entreprises.

Faire de l’Hexagone aux industries vieillissantes un pays capable de créer un nouveau tissu économique grâce à l’innovation: c’est l’obsession d’Emmanuel Macron depuis le 2 juillet 2017, date de son discours fondateur sur la « start-up nation » prononcé lors de l’inauguration de Station F. Cet incubateur de jeunes pousses technologiques, installé dans un ancien bâtiment ferroviaire des années 1920, a été financé par le milliardaire Xavier Niel, fondateur de Free, également à l’origine de l’Ecole 42 pour former les informaticiens qui manquent à la croissance de l’industrie du futur. Un lieu emblématique où le chef de l’Etat, s’inspirant du succès économique de l’Etat d’Israël, a choisi d’afficher son ambition de régénérer le tissu économique français.

La cause des femmes, grande oubliée pourtant promise du quinquennat?

Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, une France portée par l’esprit de renouveau serait ainsi en train de se réinventer. A un détail près. Si l’innovation est une des priorités du quinquennat, la cause des femmes l’est également. Or, on le découvre peu à peu avec stupéfaction, la « start-up nation » est en train de se faire sans les femmes! Les chiffres vont le démontrer cruellement. Pour remettre sur de bons rails ce nouveau monde, moderne par sa technologie mais rétrograde par sa structure sociale, un collectif professionnel s’est créé sous le nom de Sista pour tenter d’endiguer ce grand retour en arrière. Une étude commandée à la société de conseil Boston Consulting Group (BCG) le démontre: dans la course au financement de leurs projets entrepreneuriaux, les femmes prennent le départ avec un handicap considérable. Comme si elles devaient porter un sac à dos rempli de pierres les empêchant de courir aussi vite que les hommes.

Les plafonds de verre qui brident les carrières au féminin sont toujours là. La « start-up nation », par exemple, est presque exclusivement masculine. Du moins lorsqu’on observe les jeunes pousses qui ont le plus la confiance des investisseurs, qui sont d’ailleurs, eux aussi, presque exclusivement des hommes. Grand reporter à Challenges, Anne-Marie Rocco a consacré, dans le magazine et dans la rubrique « Femmes » de Challenges.fr qu’elle anime, de nombreux articles à l’évolution de la parité dans le monde du business. L’ouvrage qu’elle cosigne avec la communicante Patricia Chapelotte, créatrice du prix de la Femme d’influence, balaie plus large en explorant des secteurs comme celui du sport professionnel ou de la science.

Avec comme clé d’entrée, le témoignage de femmes qui, chacune, ont su dynamiter les plafonds de verre. A commencer par Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, qui livre une préface de combattante de la (juste) cause. Clémentine Autain, Edith Cresson, Anne-Marie Idrac, Sylvie Bermann ou Delphine Ernotte ont aussi répondu au rendez-vous. Extraits.


« En voyant la photo, le sang de Delphine Rémy-Bou-tang n’a fait qu’un tour: onze hommes en chemises blanches et jeans, shootés sur une terrasse avec vue sur la tour Eiffel, pour illustrer une enquête sur les start-up françaises « enfin prêtes à jouer dans la cour des grands ». L’image de la « start-up nation » sans la moindre femme! Publié fin août 2017 sur le site du magazine Capital, le cliché fait des vagues, comme l’avait fait côté investisseur le portrait de groupe des associés-gérants de Rothschild publié par Challenges en 2015.

Portrait de groupe des 19 associés-gérants de Rothschild publié par Challenges en 2015.                        Les fonds d\'investissement ne comptent que 14% de femmes associées, selon le BCG.

Portrait de groupe des 19 associés-gérants de Rothschild publié par Challenges en 2015. Les fonds d’investissement ne comptent que 14% de femmes associées, selon le BCG. (Bruno Levy/Challenges).

La fondatrice de la Journée de la femme digitale et de l’agence digitale The Bureau, elle, n’a pas jugé utile d’alimenter la polémique sur les réseaux sociaux à propos du cliché de Capital. En femme d’action, elle organise à toute vitesse la riposte, non dépourvue d’humour: une photo de groupe en forme de manifeste, prise quelques jours plus tard, pour laquelle treize créatrices de start-up ont répondu présentes. La consigne était de porter chemise blanche et jean, comme ces messieurs. Et comme eux, elles aussi ont été photographiées avec en arrière-plan la tour Eiffel, symbole de la capitale et de sa vitalité en matière de création d’entreprises.

Faire de l’Hexagone aux industries vieillissantes un pays capable de créer un nouveau tissu économique grâce à l’innovation: c’est l’obsession d’Emmanuel Macron depuis le 2 juillet 2017, date de son discours fondateur sur la « start-up nation » prononcé lors de l’inauguration de Station F. Cet incubateur de jeunes pousses technologiques, installé dans un ancien bâtiment ferroviaire des années 1920, a été financé par le milliardaire Xavier Niel, fondateur de Free, également à l’origine de l’Ecole 42 pour former les informaticiens qui manquent à la croissance de l’industrie du futur. Un lieu emblématique où le chef de l’Etat, s’inspirant du succès économique de l’Etat d’Israël, a choisi d’afficher son ambition de régénérer le tissu économique français.

La cause des femmes, grande oubliée pourtant promise du quinquennat?

Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, une France portée par l’esprit de renouveau serait ainsi en train de se réinventer. A un détail près. Si l’innovation est une des priorités du quinquennat, la cause des femmes l’est également. Or, on le découvre peu à peu avec stupéfaction, la « start-up nation » est en train de se faire sans les femmes! Les chiffres vont le démontrer cruellement. Pour remettre sur de bons rails ce nouveau monde, moderne par sa technologie mais rétrograde par sa structure sociale, un collectif professionnel s’est créé sous le nom de Sista pour tenter d’endiguer ce grand retour en arrière. Une étude commandée à la société de conseil Boston Consulting Group (BCG) le démontre: dans la course au financement de leurs projets entrepreneuriaux, les femmes prennent le départ avec un handicap considérable. Comme si elles devaient porter un sac à dos rempli de pierres les empêchant de courir aussi vite que les hommes.

LIRE AUSSIL’écart de salaires entre les fondateurs et les fondatrices de start-up est de 30%

5 % de jeunes pousses fondées par des femmes

« Les investisseurs ne traitent pas les femmes de la même façon que les hommes! » alerte Valentine de Lasteyrie, fondatrice de Fiblac, une société qui investit pour le compte de familles fortunées, et dirigeante du collectif Sista. Lancé par Tatiana Jama et Céline Lazorthes, ce groupe de femmes entrepreneuses et investisseuses, qui affiche l’objectif d’augmenter la diversité dans le digital, est soutenu par Mercedes Erra (BETC), Nathalie Balla (La Redoute) ou encore Stéphane Pallez (FDJ). Il publie un baromètre sur les conditions d’accès au financement des créatrices de start-up, une étude réalisée pour Sista par le BCG dont les chiffres sont proprement renversants. L’étude, qui s’appuie sur une base de plus de 15.000 start-up françaises, allemandes et britanniques fondées depuis 2008 dans le domaine de la technologie, montre qu’en France seules 5% de ces jeunes pousses ont été fondées par des équipes féminines, à comparer à une moyenne nationale de 29% de femmes entrepreneuses, tous secteurs confondus. Et si 10% de ces jeunes sociétés ont été créées par des équipes mixtes, 85% l’ont été par des équipes exclusivement masculines! Sur la période considérée, on ne compte en France que 620 fondatrices pour 6.073 fondateurs.

Autre enseignement: « Les femmes ont 30% de chances en moins que les hommes d’obtenir des fonds », pointe Valentine de Lasteyrie. Pire, elles ont 40% de chances en moins d’accéder à un deuxième tour de financement, 80% de chances en moins d’accéder au troisième tour et… 100% au quatrième tour ou plus.

Changer de paradigme, côté investisseurs

Comment changer de paradigme? Pour le collectif Sista, ce n’est pas du côté du « prétendu manque d’ambition des femmes » qu’il faut chercher la solution, mais bien du côté des investisseurs, de leurs « biais inconscients » et de leur propre absence de mixité. Selon le BCG, « les fonds d’investissement ne comptent que 14% de femmes associées et, en France, la moitié des 29 principaux fonds n’en ont pas une seule ».

Depuis le lancement de la « start-up nation » par le président de la République, les initiatives se multiplient pour tenter de rééquilibrer l’écosystème en faveur des femmes, tant du côté des associations que de celui des grandes entreprises. Les bonnes volontés se manifestent de toute part. C’est Orange qui crée « Women Start », mêlant mentorat et assistance technologique, ou Veuve Clicquot qui, en mai 2020, fonde avec Sista une plateforme de coaching à destination des créatrices d’entreprises leur donnant accès aux bons conseils de stars de l’entrepreneuriat. C’est aussi Guillaume Pepy, président du réseau associatif Initiative France, qui lance en juillet 2021 un programme au nom d’émission de télévision, « Vis ma vie d’entrepreneuse ». Une initiative nationale de mise en relation entre une dirigeante d’entreprise et une future entrepreneuse.

Faire reculer l’autocensure quand l’envie est là

« Faire reculer l’autocensure et la peur », est l’objectif de l’ancien patron de la SNCF qui ne se limite pas, en l’occurrence, aux seuls projets liés à la technologie: « L’envie est là, mais il y a probablement la peur de ne pas y arriver, et puis il y a des représentations de chefs d’entreprise qui sont plutôt masculines. »

L’envie, sans aucun doute. La crise sanitaire aurait même renforcé l’aspiration des femmes à l’entrepreneuriat. En France, 38% des femmes interrogées souhaitent créer leur activité. Mais elles savent, à 65%, qu’elles auront plus de mal que leurs homologues masculins à concilier leur vie privée et leurs projets professionnels. Mais, surtout, elles doutent qu’il leur soit possible de financer leurs projets entrepreneuriaux: à 69%, elles considèrent que la pandémie entraînera une diminution des fonds, déjà insuffisants, accordés aux femmes.

« La mixité est essentielle à la construction d’un monde plus innovant, plus vert, plus juste », estime Marie Eloy, qui a fondé Bouge ta boîte en 2016. Constatant qu’il n’existe pas de réseau business féminin dans les territoires et que les femmes ont trop peu d’impact réel sur l’économie locale, elle lance ce mouvement

pour que les dirigeantes et leurs entreprises puissent développer leur croissance, leur chiffre d’affaires, leurs réseaux. Et sortir de l’isolement dans lequel elles se trouvent dans certaines régions. Bien conseillées, une bonne moitié d’entre elles ont ainsi pu accroître leur présence sur les réseaux sociaux pendant le confinement. Pour mieux préparer la reprise et entreprendre à nouveau.

Le soutien à l’entrepreneuriat des femmes, pas à la hauteur de leurs ambitions

Comment faire progresser l’égalité en matière d’entrepreneuriat? Si l’Etat peut difficilement décréter l’égalité entrepreneuriale, il dispose néanmoins de quelques leviers. Il peut, par exemple, demander à Bpifrance d’investir de façon neutre plutôt qu’en privilégiant les entreprises créées par des hommes. « Actuellement, les femmes représentent 48% des porteurs de projets que nous accompagnons et finançons avec Bpifrance Création », affirmait son directeur général, Nicolas Dufourcq, en signant un accord-cadre pour 2021-2023 afin de développer la création et la reprise d’entreprises par des femmes.

D’autres initiatives publiques, comme la garantie Egalité Femmes, les prêts d’honneur Initiative France ainsi que quelques dispositifs régionaux, concernent des sommes extrêmement modestes au regard des budgets nécessaires pour développer une entreprise durablement. Ce soutien de l’Etat à l’entrepreneuriat des femmes n’est donc pas à la hauteur de leurs ambitions. Alors même que la législation, qu’il s’agisse de la loi Copé-Zimmermann ou de l’Index Pénicaud, a permis à certaines femmes d’accéder aux responsabilités dans les grandes entreprises, force est de constater qu’il n’en va pas de même pour les jeunes pousses. Les entrepreneuses n’ont pas encore percé leur plafond de verre.

Le « pitch » est ce moment tant redouté où il faut convaincre les investisseurs de miser sur le projet que l’on porte. « Lever des fonds, cela suppose de vendre des choses dont on ne sait pas si elles vont arriver, raconte Julia Bijaoui, cofondatrice de Frichti, une application de livraison de plats à domicile. Les hommes ont tendance à survendre, les femmes n’osent pas se montrer trop ambitieuses. Or les financiers n’aiment pas les projets moyens. Ils cherchent des pépites pour multiplier leur mise par 100. » En 2019, la trentaine commençante, cette diplômée d’HEC est devenue la première (et à l’époque unique) femme dirigeante d’une société du Next 40. Ce label venait tout juste de voir le jour, à l’initiative de Bercy, en référence à l’indice boursier des plus grandes entreprises françaises cotées. Deux ans après, le nombre des femmes au Next 40 est monté à 3 avant de redescendre à… 0.

Tout se conjugue pour freiner les créatrices de start-up dans leur élan. Première raison: « La technologie n’est pas très inclusive parce que ce sont souvent des ingénieurs parmi lesquels il y a moins de jeunes femmes, or c’est avec la tech qu’on peut rêver de conquérir le monde. » Et puis, « le monde des investisseurs est un milieu très masculin, donc on fait confiance aux hommes ». Pour lancer Frichti, en 2015, Julia Bijaoui a réussi à contourner l’obstacle, et ce n’était pas par calcul. Car son projet, c’était celui d’un couple, elle et son mari, Quentin Vacher, le père de ses deux filles, qui est comme elle « à la genèse de l’aventure ». Lui avait déjà créé Birchbox, un service de livraison de coffrets de produits de beauté par abonnement.

« J’avais envie de monter mon propre projet. On y travaillait ensemble jusqu’à 2 heures du matin. Au début, j’ai levé les fonds avec son soutien. » Un million d’euros, puis 12, puis 30… « Pour la première levée de fonds, Quentin était encore patron de Birchbox, c’est moi qui ai pitché. Nous avions presque fini de coder le site, mais il n’y avait encore rien de concret à montrer. » Les premiers investisseurs, les mêmes que ceux de Birchbox, ont accepté de miser, pour voir.

Voilà donc le couple lancé et le succès qui se profile. Quentin Vacher quitte sa première entreprise pour rejoindre son épouse entrepreneuse. Chacun dispose désormais du titre de codirecteur général: « co-ceo » pour chief executive officer, selon le terme anglo-saxon en usage dans le milieu des start-up. Et c’est en couple qu’ils ont entamé fin janvier dernier, une « négociation exclusive » pour vendre leur affaire à l’allemand Gorillas.

Source Challenges

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