La Banque Africaine de Développement (BAD) étouffée par le retard de son augmentation de capital

L’augmentation de capital de la Banque Africaine de développement (BAD), pour un montant de 115 milliards de dollars, souscrit depuis la fin octobre 2019, tarde encore à être effective. Les Etats qui s’étaient engagés à joindre le versement à la souscription pour au plus tard mars 2020 se livrent à une course de lenteur qui ne dit pas son nom. Selon les informations exclusives de Financial Afrik, seuls 16 pays sur 81 avaient libéré les 7% de leur quote part au 30 novembre dernier.

Les pays membres régionaux qui ont libéré leurs engagements sont le Nigeria, le Sénégal, le Maroc, le Bénin, l’Erythrée, le Burkina Faso, le Kenya, le Lesotho, le Rwanda et la Libye. En outre, 6 pays non régionaux ont libéré leurs parts. Il s’agit de l’Allemagne, de l’Inde, de l’Italie, de la Norvège, de l’Arabie saoudite et de l’Espagne. La France, les Etats-Unis, la Grande Bretagne et le Canada se font désirer dans une augmentation de capital dont la concrétisation devient au fil des jours une condition nécessaire pour sauver la note triple A de la banque et, aussi, lui permettre de faire face à ses engagements.

A cette situation, s’ajoute la dégradation surprise de la note du Canada de AAA à AA +, le 30 juin 2020, suivie en juillet de la baisse de la perspective de la note américaine, qui a des répercussions directe sur la signature de Banque Africaine de Développement (BAD). En effet, la note AAA de l’institution financière africaine était adossée à une garantie de capital “sujet à appel” du Canada de l’ordre de 5,2 milliards d’UC*, notée AAA. Le recours au “capital appelable” repose sur le fait que la banque n’a plus de fonds propres suffisants pour couvrir ses engagements. Le fait que les pays traînent les pieds est d’autant plus étonnant que les actionnaires, régionaux comme non régionaux, avaient voté à 100% pour la réélection du président Akinwumi Adesina, en août dernier. Au vu des hésitations des pays majeurs à honorer leurs engagements, certains observateurs se demandent si la crise des lanceurs d’alerte est vraiment terminée.

Réduction de voilure

Suite à la dégradation de la note du Canada, la banque africaine a dû réduire ses concours de 25% pour observer le fameux ratio Fitch des engagements sur fonds propres élargis au capital appellable. Cet ajustement mécanique n’au pas suffi puisque dès juillet 2020 l’abaissement de la perspective américaine est venue compliquer la donne. L’Oncle Sam fournit 9 milliards d’UC à la BAD. En définitive, la banque de développement basée à Abidjan doit ramener ses engagements à 3,2 milliards UC sur la période 2020-2030 pour satisfaire au ratio Fitch, condition nécessaire à la conservation de la note triple A. Seulement, un tel niveau d’engagement, outre qu’il revient à faire courir à l’institution un risque de réputation (revenir sur les projets approuvés n’est jamais un signe de bonne santé), serait nettement inférieur à la moyenne des 3,6 milliards UC (soit 5 milliards de dollars) observée sur la période 2010-2019.

En termes clairs, la BAD risque de perdre son statut de chef de file du financement du développement en Afrique. Une position déjà compromise face à la BID et à la Banque Mondiale. Pour 2020, les engagements approuvés sont de 3,8 milliards UC (5,3 milliards de dollars) contre un objectif de 6,9 milliards UC (9,7 milliards de dollars). Le secteur privé n’a pu bénéficier que de 393 millions UC (550 millions de dollars USD) contre un objectif de départ de 2 milliards UC.

Les étonnantes exigences de l’Allemagne

Pour conserver sa note et financer son programme , la BAD s’est tournée vers les autres pays du groupe des pays membres non régionaux notés triple A pour la garantie de “capital appelable temporaire (CAT). Ces pays sont l’Allemagne, le Danemark, la Suède, le Luxembourg. Le pays de Goethe est disposé à le faire mais exige qu’un tel engagement se reflète dans son pouvoir de votes. Ce qui, en d’autres termes, revient à traduire une garantie, qui n’est pas de l’argent frais, comme une souscription au capital. Derrière cette exigence allemande, c’est la répartition du capital qui donne 60% aux africains et 40% aux membres non régionaux ( ratio de plus en plus théorique) qui risque de sauter. D’où le blocage.

En attendant, il convient de le dire, la notation intrinsèque de la BAD, est passée de «aa » à «aa-» lors de la revue de Fitch en juillet dernier. L’agence de notation avait au final reconduit la note globale triple A en tenant compte de l’engagement des actionnaires, notamment du Nigeria, et non des seuls fonds propres intrinsèques de la banque.

Par Adama Wade

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