L’économie chinoise rebondit au premier trimestre de l’année, mais les incertitudes sont nombreuses, notamment à cause des confinements à répétition qui bloquent les chaînes d’approvisionnement et font chuter la consommation et la production industrielle. L’activité du secteur de l’immobilier et celui de la construction tournent aussi au ralenti, alors qu’ils représentent un quart du PIB du pays. Enfin, la guerre en Ukraine pourrait rabattre les cartes du commerce mondial, ce qui nuirait à la croissance chinoise. Les analystes jugent peu probable une croissance annuelle de 5,5% comme espéré par Pékin.
L’économie chinoise a progressé de 4,8% en rythme annuel au premier trimestre, une croissance plus importante qu’attendu, selon les données officielles chinoises publiées lundi. La menace d’un net ralentissement au cours des prochains mois plane toutefois sur l’économie du pays, alors que les restrictions sanitaires et la guerre en Ukraine pèsent. L’économie chinoise fait face « à des défis importants », a même reconnu un haut responsable économique lors d’une conférence de presse. Au quatrième trimestre 2021, le PIB du pays avait progressé de 4% sur un an.
Pékin s’est fixé comme objectif une croissance « d’environ 5,5% » cette année, ce qui serait pour la Chine le rythme le plus faible depuis le début des années 1990, hormis l’année 2020 marquée par la première vague du Covid. Au vu du contexte, cet objectif paraît aujourd’hui « inatteignable », estime dans une note l’économiste Larry Hu, du gestionnaire d’actifs australien Macquarie.
La hausse au premier trimestre 2022 était largement anticipée par les différents analystes cités par l’AFP et Reuters. Un groupe d’analystes sondés par l’AFP tablait sur un rebond toutefois plus modéré (4,3%), de même que les experts consultés par Reuters envisageaient une progression de 4,4%.
La Chine, qui avait depuis deux ans largement maîtrisé le Covid-19, fait face depuis le mois dernier à sa pire flambée épidémique. Plusieurs dizaines de millions de Chinois ont été confinés en mars dans la métropole technologique de Shenzhen (sud), et le sont toujours dans le nord-est du pays, berceau de l’industrie automobile, ainsi qu’à Shanghai, la capitale économique du pays. A rebours de bon nombre de pays qui optent pour une cohabitation avec le virus et lèvent les restrictions, la Chine continue à suivre une politique zéro Covid.
La consommation en berne
Ces mesures de restriction qui nuisent gravement aux transports et aux chaînes d’approvisionnement, ont entraîné la mise à l’arrêt de très nombreuses entreprises. Ces difficultés sont venues s’ajouter à celles qui pesaient déjà ces derniers mois sur l’économie chinoise : consommation atone, durcissement réglementaire dans plusieurs secteurs comme l’immobilier et la technologie, et incertitudes liées à l’Ukraine. Les confinements en mars ont « durement frappé » les dépenses de consommation, en particulier dans les commerces et restaurants, souligne pour l’AFP l’analyste Rajiv Biswas, du cabinet IHS Markit (S&P Global).
En mars, les ventes au détail, principal indicateur des dépenses des ménages, ont reculé de 3,5% sur un an, soit leur plus forte baisse depuis avril 2020, lorsque le géant asiatique commençait à peine à sortir de la première vague de l’épidémie. Les conséquences du confinement à Shanghai en avril seront « importantes » sur la consommation, prévient M. Biswas, arguant que ses habitants ont le revenu disponible le plus élevé de Chine.
La production industrielle augmente faiblement
De son côté, la production industrielle n’a augmenté que de 5% sur un an le mois dernier, contre 7,5% sur les deux premiers mois de l’année. Le taux de chômage s’est accru à 5,8% en mars contre 5,5% en janvier et février. Particulièrement surveillé par le pouvoir et calculé pour les seuls urbains, le taux de chômage avait atteint un record absolu de 6,2% en février 2020, au plus fort de l’épidémie, avant de refluer.
L’impact des confinements sur l’économie est « probablement sous-estimé » par les chiffres publiés lundi, observe l’analyste Julian Evans-Pritchard, du cabinet Capital Economics, qui se dit « surpris » par la résilience de la croissance. En tout état de cause, les chiffres d’avril seront mauvais à cause des perturbations logistiques, ce qui pèsera sur le PIB au deuxième trimestre, selon lui.
Surtout, le secteur immobilier et celui de la construction sont eux aussi en berne. Ils pèsent plus du quart du PIB du pays et avaient joué un rôle clé en 2020 dans la reprise post-pandémie. La situation actuelle contraste fortement avec celle de l’année dernière : la Chine avait alors vu sa croissance bondir de 18,3% au premier trimestre, du fait d’un effet de rattrapage avec 2020, quand le Covid-19 avait paralysé l’économie.
« La Chine est confrontée à de multiples vents contraires, dont les confinements liés au Covid et (un ralentissement du) secteur immobilier », fait remarquer M. Hu. Les déboires du promoteur Evergrande, au bord de la faillite, grippent tout le secteur.
L’inflation a fortement accéléré le mois dernier en Chine. En mars, l’indice des prix à la consommation s’est inscrit en hausse de 1,5% sur un an contre 0,9% en février, a annoncé le Bureau national des statistiques (BNS). Les experts misaient sur une hausse moins forte, de l’ordre de 1,4%, selon le consensus de l’agence financière Bloomberg.
Cette hausse est liée à « l’augmentation mondiale des prix du blé, du maïs et du soja » a relevé Dong Lijuan, une statisticienne du BNS. Les cours mondiaux des produits alimentaires flambent en effet depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février. Les prix des légumes frais ont ainsi augmenté de 17,2% sur un an.
Tournant géopolitique
La Chine a refusé pour le moment de condamner l’opération russe en Ukraine mais entend entretenir des bonnes relations avec la Russie, dont les hydrocarbures et autres matières premières l’intéressent pour assurer son approvisionnement. Pékin va réduire sa dépendance à l’Occident, comme l’illustre la démarche de CNOOC, le géant pétrolier et gazier chinois, qui va céder toutes ses participations en Grande-Bretagne, au Canada et aux États-Unis, révèle l’agence Reuters.
Menacée à son tour de sanctions pour son soutien à la Russie, elle-même soumise à un embargo occidental depuis son invasion militaire en Ukraine, Pékin veut éviter que certains de ses actifs ne fassent l’objet d’une confiscation à l’étranger.
Plus globalement, la guerre en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie sont en train de chambouler le commerce international. Il devrait déjà s’écrouler de moitié en 2022, alerte l’Organisation mondiale du commerce (OMC). A plus long terme, c’est bien une « désintégration » du système des échanges mondiaux qui menacerait. Emergeraient alors deux blocs fondés sur des enjeux géopolitiques – un centré sur les États-Unis et un autre autour de la Chine – dont les échanges entre eux seraient extrêmement limités. Un tel scénario réduirait le bien-être mondial en 2040 de 5%.
Avec Reuters