La Monnaie encore au cœur de la Grande Marche du Nouveau Monde

Une marche orchestrée par la Chine autour de l’Asie, de la Russie et du Pacifique


Par Abdou Cissé, Cisco Consulting.


Cet article est une contribution aux débats autour de la MONNAIE. L’idée de revenir sur le fonctionnement des systèmes monétaires (organisation des relations monétaires entre les pays), du commerce mondial multilatéral et des systèmes économiques au cours des trois derniers siècles ; le but étant de donner aux lecteurs la possibilité de répondre aux questions principales qui se posent autour de la monnaie : La monnaie est-elle un voile ? La monnaie est-elle un enjeu de guerre ? La monnaie peut-elle être un moyen pour financer la production ? La monnaie et l’Etat sont-ils les deux faces d’une même pièce ? La monnaie est-elle à la fois une armée et une souveraineté ? La monnaie peut-elle servir d’outil stratégique.


  1. Retour sur l’histoire de la monnaie et les faits marquants

Pour mieux appréhender la nouvelle marche du monde, il est nécessaire de revenir sur les faits marquants de l’histoire de la monnaie et des systèmes monétaires, comprendre comment la plupart des pays développés ont mis en place une stratégie autour de leur monnaie pour être puissant (passage du bimétallisme au monométallisme, passage d’un système à base or vers un système faisant la part belle au dollar américain). Ces faits révèlent aussi très clairement le cousinage entre guerre à l’arme et guerre monétaire. Dans l’histoire intellectuelle de l’humanité, il n’est plus acceptable de marginaliser les enfants d’Afrique. De Cheikh Anta DIOP à Jean-Philippe OMOTUNDE (sans oublier Théophile OBENGA et les autres), les peuples africains sont aujourd’hui édifiés sur beaucoup de faits, en exemples :

  • La première tablette de calcul mathématique est née en Afrique (l’os d’Ishango qui préfigurait même les nombres premiers) ;
  • La monnaie est une invention de l’Afrique noire, à l’époque de la construction des pyramides ; la notion d’étalon monétaire est d’origine africaine ; le Shaty est le premier étalon monétaire de l’histoire humaine, apparu au troisième millénaire et normalisé par le trésor pharaonique (*).

La monnaie apparaît dans l’espace grec seulement vers -560 avant J.C, avec deux métaux circulant en même temps (l’or pour les échanges au niveau international et l’argent pour les échanges en interne). Toutes les civilisations qui se sont développées (grecque, arabe, romaine……) ont fonctionné avec ce bimétallisme qui établissait la conversion des monnaies en or et en argent.

  • 1600-1815 : La naissance de la Banque d’Angleterre (1694) et de ses banques régionales en (1679) avait débouché sur des entités d’épargne, de crédit et d’investissement. Le papier monnaie y est introduit en 1680 et l’épargne rémunérée avec, facilitait le crédit qui à son tour favorisait l’investissement. La croissance économique qui en découlait en 1700 marque le début de la révolution industrielle. En 1717, l’Angleterre s’appuie sur sa monnaie et met en place un Semi-Etalon-Or (voir ci-dessous), abandonné en 1797 suite à la guerre avec Napoléon.
  • 1816-1914 : l’Angleterre brandit sa monnaie, la livre sterling.

Cette époque marque la fin de la guerre napoléonienne et le début de la première guerre mondiale. L’Angleterre au cœur de la Grande Bretagne favorisée par ses nombreuses colonies, sa flotte marchande, son système d’assurance et une croissance du fret international, revient totalement à l’Etalon-Or entre 1816 et 1821 avec l’apogée de la révolution technique et industrielle. Première puissance du monde avec assez de réserves d’or et n’ayant plus besoin de l’argent métal, elle l’avait démonétisé pour mieux brandir sa monnaie et assoir sa puissance, en passant du bimétallisme au monométallisme en 1818. Une crise internationale avait éclaté réellement en 1825 ; La période 1825-1872 avait enregistré d’autres petites crises sans conséquences majeures.

Au tournant des années 1870, la plupart des grandes nations du commerce international passent du bimétallisme au monométallisme, qui limite l’étalon monétaire à l’or. L’Etalon-Or était devenu international de 1870 à 1900. Ce passage conférait à l’or un double rôle : garantir les échanges internationaux et garantir aussi la quantité de monnaie en circulation (mission qui fut impossible). Il s’en suivit en 1873 une crise internationale et une période de grande récession, due à la contraction de la base monétaire qui avait créé une surproduction (incapacité de consommer).  Cette crise de surproduction, issue  du retrait de l’argent métal qui représentait 33 % de la monnaie en circulation, dura jusqu’en 1894. La période qui suivit jusqu’en 1914 avait été de très forte reprise économique appelée la belle époque, qui coïncidait avec la découverte de l’or en Afrique du Sud et en Australie.

Il faut reconnaître que le 16ième et le 17ième ont connu des périodes où le système économique mondial était en parfaite harmonie avec le système monétaire organisé autour de l’Etalon-Or : toutes les monnaies étaient définies par rapport à l’or, convertibles aussi totalement en or pour atteindre une stabilité parfaite. Un référentiel monétaire mondial existait autour de la livre sterling et l’or, avec une corrélation entre monnaie de règlement (livre sterling) et monnaie de réserve ou avoir de devise (or) ; cette corrélation, inscrite dans l’histoire et dans la loi de la Grande Bretagne, inspirait confiance aux autres pays en offrant aux anglais tous les moyens de brandir leur monnaie au-delà de leurs frontières et cela pendant deux siècles.

En 1909, les deux plus grandes puissances guerrières (France et Allemagne) adoptent successivement la loi du cours légal (obligation d’accepter en paiement tout billet de banque) : les billets de banque y ont été rendus légaux et le reste du monde avait emboîté le pas ; le crédit et la monétisation de la dette avaient permis de financer la guerre mondiale à venir.

Décembre 1913 a vu la naissance officielle de la Réserve Fédérale Américaine (FED) en banque centrale privée des Etats Unis avec des actionnaires parmi les banques commerciales qu’elle irriguait ; et comme par hasard, la première guerre mondiale éclate en 1914 au son de la transition de l’étalon-or à la monnaie fiduciaire. Géopolitiquement, le parfum d’un désir de substituer la livre sterling par le dollar se sentait.

  • 1914-1944 : deux guerres mondiales. Juste après la première qui avait occasionné des transferts importants d’or vers les Etats Unis et le financement des partisans de guerre par émission monétaire, aucun autre pays ne pouvait garantir sa monnaie par de l’or. Ce qui explique très bien le papier monnaie en grand circulation à cette époque. En 1925 les Anglais tentent de revenir à l’étalon or (échec) et en 31 ils quittent l’Etalon-or et dévalue la livre sterling. En 1933 Roosevelt fait autant et  interdit la détention de l’or aux États-Unis. Au début de 1934, avec plus de 66 % du stock d’or mondial démonétisé, les Etats Unis brandissent le dollar pour en faire une monnaie de réserve en inscrivant dans les papiers dollars le terme ‘as good as gold’. Le règne de l’Etalon-Dollar a réellement commencé à partir des années 33-34 et la guerre entre livre sterling et dollar pour savoir qui va brandir sa monnaie durera jusqu’en 1944 à la fin de la deuxième guerre mondiale.
  • 1944-1971 : le dollar est brandi encore plus haut aux accords de Bretton Woods.

Cette conférence aboutit en 1944 à la naissance du système monétaire Etalon de Change-Or : toutes les monnaies sont définies par rapport au dollar qui dispose seul du privilège de convertibilité en or (pour mieux brandir le dollar, les Etats Unis tirent toutes les leçons de l’époque Etalon-Or qui avait favorisé les anglais). Ce système offrait une convertibilité limitée, une stabilité pas tout à fait parfaite, mais avait le mérite de sceller une double discipline parfaite (tant pour les Etats Unis que pour les autres pays). Aucune crise financière systémique n’a eu lieu au cours de l’Etalon de Change-Or, qui avait érigé le dollar en monnaie mondiale et principal levier pour conforter l’hégémonie des Etats Unis sur la sphère économique et géopolitique.

  • Depuis le 15 Aout 1971 : le dollar est encore au plus haut car les Etats Unis ont mis fin de façon unilatérale à sa convertibilité en or (pour des raisons qui seront détaillées au prochain article sur les systèmes monétaires internationaux). Ce fut le début d’un système Etalon de Change (ou Etalon Devise ou semi-Etalon-Dollar), sans convertibilité en métal et sans stabilité. Le référentiel monétaire du commerce mondial, autour d’un système stable qui interdisait aux autres monnaies de fluctuer périodiquement au-delà de 1% du dollar, disparaissait en donnant naissance au système des taux de change flottants en 1973 (soit disant à cause du choc pétrolier), légalisé par les accords de la Jamaïque qui mettaient officiellement fin au régime des parités fixes mais ajustables. Associé à la libéralisation des capitaux, la porte fut ouverte à une série de crises tous les 4 à 8 ans (crise des fonds de pension des années 80, du Mexique en 84, du Japon en 90-91, de l’Asie du Sud-Est et la Russie en 97-98, des ‘dot.com’ en 2000-2003 avec éclatement de la bulle internet, des Subprimes de 2007-2008, des dettes souveraines de 2010-2012 et de mars 2020 dite de la pandémie. A cette longue liste, s’ajoute la crise des ajustements structurels de la zone CFA née dans les années 1980 et encore en cours en 2021.
  • Le Japon a brandi le yen pendant au moins 50 ans, sans liaisons directe avec une époque particulière du système monétaire international, en s’appuyant sur une balance commerciale excédentaire depuis les années 1980. C’est au Japon qu’il est aisé de comprendre que la force d’une monnaie (ou encore la valeur d’une monnaie) se mesure dans le rapport de l’export et de l’import ; ce qui traduit la forte corrélation entre la force d’une monnaie et la balance commerciale du pays émetteur. Ainsi, le principe de la valeur d’une monnaie, en dernière instance, peut s’entendre par une balance commerciale excédentaire. Juste après la deuxième guerre mondiale, son expansion économique place le yen parmi les principales monnaies du monde et depuis, le Japon n’a cessé de brandir sa monnaie pour rester puissant. En 2012, la Banque centrale du Japon (BoJ) avait lancé une guerre des monnaies en affichant publiquement sa volonté de déprécier le yen (assouplissement monétaire quantitatif et taux de dépôt négatifs) ; depuis, elle en est devenue championne du monde des banques centrales, soutenue par ses capacités de rester excédentaire en tant que  premier créancier du monde auprès des grandes puissances. Adossé à aucune dette extérieure importante sur les cinquante dernières années, toute appréciation ou dépréciation du yen aura interpellé le monde de la finance et du commerce international. Ses 20 à 25 années de déflation endémique et sa  population vieillissante sont compensées par 2500 milliards de yen d’investissements à l’étranger, par son leadership sur de nombreux secteurs de haute technologie et surtout par la solidité de sa monnaie que le Japon ne cessera jamais de brandir.
  • Les pays de la zone euro ont brandi leurs monnaies au cours des 30 glorieuses, sous le contrôle des Etats Unis durant l’exécution du plan Marshal. Entre 1971 et le début des années 2000 (naissance de sa monnaie unique), la zone euro s’était donnée, ou laissée donner, une interdiction de brandir sa monnaie car en matière monétaire, les Etats européens se sont  soumis à l’obligation de suivre l’orthodoxie allemande (particulièrement la neutralité de la monnaie inscrite au traité de Maastricht). Mais à l’automne 2011, en pleine crise de la dette souveraine, l’euro avait failli disparaitre. La banque centrale européenne (BCE) avait fini par privilégier la sauvegarde de sa monnaie en  violant le traité de Maastricht qui jugeait que la monnaie est neutre. La BCE brandissait ainsi l’euro en tant que prêteur en dernier ressort, en rachetant des titres souverains pour annuler tous les écarts (Spread) de taux d’emprunt entre les pays européens. Elle avait emboité le pas à la Réserve Fédérale américaine (FED) qui avait voté  700 milliards de dollars en septembre 2008 pour éteindre la crise des Subprimes ; preuve que les occidentaux, dans les faits, en ont fini avec les concepts de neutralité d’une monnaie.

En résumé, depuis 1945, le monde respire en dollar, l’actif numéro un ; cette nécessité de disposer de dollars pour respirer s’est accentuée de 1971 à nos jours ; le commerce international ne dispose ni de référentiel monétaire, ni de gendarme monétaire ; trop de dollars crée des problèmes et moins de dollars crée aussi des problèmes ; depuis le début des années 70,  la baisse de la masse monétaire mondiale (quantité de dollar en circulation) a toujours entrainé des crises disparates.

C’est face à cette situation internationale que la Chine est en train de brandir sa monnaie pour devenir puissante, en construisant une solution autour de l’Asie, le Pacifique et la Russie.

  1. La Grande Marche du Nouveau Monde orchestrée par la Chine, autour de l’Asie, de la Russie et du Pacifique

Il est important de rappeler qu’au neuvième siècle, la Chine avait développé bien avant l’Occident une économie de marché propre à sa culture, et qu’en 1820, elle était la première puissance mondiale ; au cours de ce siècle, elle n’avait pas bien réussi sa révolution industrielle. En souvenir d’histoire des classes de terminale pour notre génération, nous avions connu la Chine de 1911 aux années 60, la longue marche, Mao, Tchang Kaï-Chek et Sun Yat-Sen. Ce dernier établit une république en 1911 et quelques années plus tard, un mini-chaos s’installe. Le grand tournant arrive en 1949 car le parti communiste reconstitue l’empire ; à partir de 1950, la Chine était isolée du monde, reconnue par presque aucun pays et menacée par les bases américaines tout autour. En 1971, la visite officielle de Nixon accélère l’ouverture du pays sur l’extérieur. Mao Zedong accompagne les bases d’une stratégie de développement par la planification et meurt en 1976. Deng Xiaoping revient au pouvoir en 1978 et poursuit l’ouverture à l’extérieur.

Il est tout aussi important de rappeler qu’au cours des années 80, la France donnait de l’argent à la Chine sous forme d’aide et qu’entre 1990 et 2020, la Chine est passée d’un pays de moyenne aisance, même pas émergent, à une société développée qui en trente années, a réussi à sortir de la pauvreté plus de 600 Millions de ses habitants. L’année 2020 a révélé la grande marche du nouveau monde par les limites du modèle occidental et la mise en lumière d’un modèle que la Chine est en train de bâtir en déplaçant le centre de gravité économique et financier vers la zone Asie-Russie-Pacifique. Cette marche a beaucoup été facilitée par la publication de l’ouvrage «La guerre des monnaies» en 2007, qui avait très vite connu le best-seller absolu ; Hongbing Song (un fils de l’empire du milieu) avec une expérience des marchés financiers occidentaux, avait réussi par cette ouvrage à alerter l’élite chinoise.

Au début des années 2000, la Chine entre à l’organisation mondiale du commerce (OMC) ; elle devient une usine du monde juste avant 2010 et passe plus d’une dizaine d’années à exporter en Occident. Avec une quantité de devises placées en titres du trésor américain, elle s’oriente vers une croissance par la demande intérieure et maintient sa monnaie en dessous du dollar. Avec un yuan sous-évalué et des réserves de change en obligations et bons du trésor américain, elle dispose d’une capacité monétaire et financière pour procéder à un transfert de richesse et pousser l’Occident dans une forme de désindustrialisation forcée. Une réelle mutation qui s’est manifestée par un transfert des moyens de production de l’Occident à l’Asie et que des économistes européens interprètent à tort comme une guerre commerciale. Depuis 1945, les Etats Unis soldent leurs déficits extérieurs avec leur propre monnaie (un privilège impérial selon RUEF) ; ce qui fait du dollar une réserve de change pour les pays excédentaires ; ils vivent en déficit financé par les autres pays car  les excédents de leurs comptes courants (excédent d’épargne) sont forcément recyclés aux Etats Unis à travers Wall Street. Tous les autres pays du monde ont besoin de dollars pour acheter du pétrole et doivent passer par la case Fonds Monétaire International (FMI) s’ils en manquent. En 2018, on notait que 87% des opérations de changes et 50 % du commerce mondial s’effectuaient en dollar ; mais, au premier trimestre 2020 la part du dollar dans les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine est tombée en dessous de 50% contre 90 % en 2015.

Au début des années 2010, le monde entier était secoué par l’enchainement de crises boursières, financières, bancaires, économiques et des dettes souveraines. Les pays de la zone Asie-Russie ne disposaient plus d’assez de dollars pour échanger des biens et services (la monnaie de facturation internationale étant le dollar US). Face à cette situation, la Chine organise la zone Asie-Russie-Pacifique avec un Fonds Monétaire à Pékin en 2010 (version 2 du Fonds Monétaire Asiatique né en 2000 suite aux traumatismes de la crise de 97) et une nouvelle Banque semi-Mondiale à Shanghai (Banque Asiatique d’Investissement dont presque toute l’Asie détient des participations). Ces deux institutions ayant pour vocation de sortir de la dépendance du FMI et de la Banque Mondiale, d’accompagner les pays asiatiques en cas de crise et de financer le long terme.

Elle propose aux pays de la zone le «Deal» suivant qui contribuera à annuler leur sensibilité à la volatilité du dollar :

  • Pour facturer vos échanges entre vous, prenez votre propre monnaie et pas le dollar US ; j’accepte une forme de taux de change fixe entre mon yuan et vos monnaies pour minimiser la volatilité entre elles ; ainsi, vos couvertures de change à terme tendront vers zéro (une forme de copie du système monétaire européen-SME-) ;
  • Si vous avez un déficit extérieur l’un avec l’autre, je vous le finance par une ligne de crédit en Yuan à travers les lignes de Swaps de ma banque centrale chinoise (des prêts avec toutes les autres banques centrales de la zone, y compris le Brésil) ; si vous avez besoin de dollar pour l’extérieur, je vous les fournis aussi car je dispose d’assez de titres du trésor des Etats Unis ;
  • Si vous avez besoin de financement long terme, allez vers notre nouvelle Banque Semi-Mondiale Asiatique ;
  • En cas de crises de change ou de tensions de trésorerie en fin de mois, allez vers notre Fonds Monétaire Asiatique ;
  • Pour vos besoins en pétrole, comme je suis le plus grand consommateur d’or noir, j’ai mis en place à Shanghai un marché à terme du pétrole coté en yuan, troisième du monde en volume et plébiscité par la Russie qui paye son pétrole en Yuan convertible en or depuis 2015 ;
  • Si vous disposer d’un excèdent en yuan, je peux vous rembourser en or.

La dé-dollarisation de la zone Asie-Russie-Pacifique est en marche, tant dans les échanges que  dans l’épargne à long terme (sortir le dollar de toutes les transactions) ; ce qui se traduira par  la disparition progressive de l’extra-territorialité du droit américain sur le dollar dans la zone. Parallèlement, la Chine s’est dotée de beaucoup de lingots d’or pour assoir la solidité du yuan, qui depuis 2015, flotte contre un panier de plus d’une vingtaine de  monnaies.

L’empire du milieu comme centre du monde,est en train d’imploser le système financier mis en place par les Etats Unis depuis 1945 et d’installer autour d’elle une dérivée première du Plan Marshal, sans bruit. Après s’être développée sur le dos des vieux pays de l’ouest (Occident en particulier), elle cherche à développer tous ses partenaires de la zone. Hong Kong, sous le contrôle de la Chine, converge doucement vers la première place financière du monde, car l’Asie, le Pacifique et la Russie sont conscients de la folie des Banques Centrales occidentales, née du Quantitative Easing après la crise de 2008 et des dérives de  monétisation de la Covid-19 depuis mars 2020. Face au modèle financier occidental qui consiste à intégrer tous les marchés avec des banques d’affaires comme pivot du système (modèle qui a échoué), la Chine prend un chemin de promotion des banques publiques pour financer le long terme ; elle combine aussi le développement de ses marchés financiers et celui des instruments financiers qui les régulent. La guerre annoncée par l’Occident contre la Chine n’est ni commerciale, ni froide ; elle est plutôt une guerre monétaire, pour savoir qui va recycler les futurs excédents de l’Asie. Elle a décidé que ce recyclage se fera en Asie, sous sa propre direction et via la place financière de Hong Kong.

La Chine est en train de brandir sa monnaie pour devenir puissante : achats massifs d’or pour un futur standard métal ; marché de cotation de l’or et du pétrole en yuan ; un yuan qui sera certainement réévalué progressivement avec une couverture en or pour une alternative au dollar partout dans le monde de demain ; achats d’actifs  à l’étranger ; projet d’une monnaie numérique avec le Yuan pour les échanges dans le cadre des routes de la soie (construction de lignes ferroviaires, maritimes et participations dans tous les ports sur la route de Shanghai à San Francisco).

S’appuyant sur sa monnaie, l’empire du milieu déroule la planification d’une stratégie à long terme et ouvre ses entreprises à l’internationale pour asseoir sa puissance.

Le nouveau monde est en marche et pour preuve, le 15 novembre 2020,  quinze pays d’Asie et du Pacifique ont signé le plus grand accord commercial au monde nommé RCEP (Partenariat Régional Economique Global), avec deux milliards d’habitants concernés. C’est une remise à plat de tous les accords qui existaient déjà dans ces pays et une capacité pour la zone de s’organiser autour de la Chine. Il faut rappeler que depuis 2008, les États-Unis sous Obama, cherchent à rejoindre un accord commercial avec les pays asiatiques sans la Chine, en signant un traité en 2016 que Donald Trump a annulé en 2017, transformant le multilatéralisme américain en des relations bilatérales.

La nouvelle mondialisation régionalisée, démontre aux occidentaux que l’avenir appartient aux sociétés multinationales qui fabriquent partout et qui vendent partout (la crise de la Covid-19 a montré ses griffes). L’occident reçoit progressivement une démonstration par l’absurde comme quoi, il est impossible de sortir le temps dans la conception d’un modèle économique. Les Chinois donnent du temps au temps et donnent du temps autant (marque de fabrique de leur culture). La Chine, une équation à 1,4 milliards d’inconnues, a réussi à extraire un sous ensemble compact qui avance  depuis un siècle. Les occidentalistes nous ont toujours fait croire que le capitalisme ne peut pas fonctionner sans la bonne gouvernance et la démocratie ; mais la Chine inscrite dans un temps long, donne la preuve d’une absence de modèle universel du capitalisme par une voix chinoise qui se situe aux antipodes de la référence anglo-saxonne et du consensus de Washington. Elle démontre encore que le capitalisme n’est pas limité à l’économie de marché et est déterminée à mettre en place un nouveau régime de croissance (choix stratégique qui doit faire méditer les élites et économistes africains).

Moralité :

Les faits marquants de l’histoire sur les trois derniers siècles ainsi que la nouvelle marche du monde orchestrée par la Chine, confirment que la monnaie n’a jamais été neutre. A ceux qui considèrent encore en 2021 que la monnaie est un voile, l’histoire a prouvé le contraire : la puissance économique d’un pays est étroitement liée à la montée en puissance de sa monnaie, sachant que sa projection dans l’espace mondial nécessite sa convertibilité parfaite ; la monnaie est l’expression du pouvoir de la puissance d’un peuple, un enjeu au sommet de la pyramide de l’infrastructure économique et surtout la colonne vertébrale de toute société.

Les réalités monétaires décrites ci-dessus contribuent à scinder la sphère économique en trois zones géographiques : Dans la zone Asie-Pacifique-Russie, future zone yuan, un nouveau monde est en marche, pendant que les élites et les économistes de leurs concurrents occidentaux  se disputent de savoir si la Chine est capitaliste ou non, se posent des questions sur sa capacité à tenir ses engagements vis-à-vis de ses partenaires. La Chine s’érige contre l’occidentalisme certes, mais ne cherche pas à concurrencer le dollar pour le moment et reste droit sur son plan stratégie à horizon 2049 (centenaire de sa république populaire).

Dans la zone occidentale (dollar, euro, livre) certaines entreprises empruntent sur les marchés financiers à taux zéro pour acheter leurs propres actions ou encore payer des dividendes à leurs actionnaires ; d’autres vendent des actions qu’elles n’ont même pas encore achetées ; des particuliers organisent des manifestations de gilets jaunes version marché financier, en mettant à genou des Fonds spéculatifs, démontrant ainsi que les bourses occidentales sont de vrais casinos (au point où des sénateurs Américains appellent à réformer Wall Street). Dans le reste du monde, il est autorisé de dormir sans rêver, d’accepter les pseudos solutions hasardeuses imposées par les colons d’hier et d’aujourd’hui ; particulièrement la zone CFA, orientée vers des discussions autour de l’ex-futur nom de sa monnaie, vers l’annulation ou non de sa dette, est à des années lumières de brandir une quelconque monnaie pour sortir de ses problèmes. La zone CFA est marquée par un problème de souveraineté, surplombé par un problème de management qui lui-même est surplombé par un problème de légitimité de nos élites. Toutes les nations qui se sont remises debout ont eu des élites patriotes. Même les pays à forte dictature sont marqués par des élites qui aiment leur peuple. Cela fait plus de 60 années que l’Afrique subsaharienne est plongée dans un univers géopolitique et économique sans repère, dont-il est urgent de se sortir par des réformes profondes.

Conclusion :

Cette grande marche du nouveau monde est la preuve que la Chine avance, en restant consciente qu’elle doit s’impliquer pour que ses partenaires économiques ne restent pas en marge. La Chine avance avec les autres, et c’est que les occidentaux n’ont jamais fait avec leurs partenaires économiques ; particulièrement, c’est ce que les membres de la troïka (France, FMI, Banque Mondiale) n’ont jamais fait avec les pays de la zone CFA ; aucun accompagnement de leur part pour que la zone soit dotée d’un système monétaire et financier en cohérence avec le système économique qu’il coiffe. Depuis 1960 nous sommes livrés à une monnaie CFA sans base monétaire (aucune capacité de créer la masse monétaire pour la production nécessaire à la couverture de nos besoins). Nous souffrons comme l’Angleterre de 1925 qui, en quittant le bimétallisme, avait créé la première crise internationale.

En attendant de pouvoir un jour nous libérer des contraintes du franc CFA, il est possible de réfléchir sur un bimétallisme pour élargir notre base monétaire ; le CFA ou l’ECO resterait pour les échanges à l’internationale et chaque pays de la zone disposera de sa monnaie locale (comme l’a toujours proposé le Dr Ndongo Samba Sylla) pour une circulation adéquate favorisant toutes nos activités économiques. En effet, une économie n’est riche que de par ses besoins et l’Afrique a énormément de besoins liés à la jeunesse de sa population et à la richesse de ses traditions ; d’où la nécessité d’une monnaie qui circule à la vitesse de la richesse de nos besoins.  

Le monde est engagé dans une course aux ressources dont l’Occident semble ignorer car il a le pouvoir de créer la monnaie du monde, d’acheter n’importe quelles ressources n’importe où. L’histoire de l’humanité est un combat de dominants et de dominés ; la France, qui faisait partie du premier groupe (ce qui lui a permis d’assurer un confort inouï à ses citoyens pendant deux siècles) bascule dans le second et ne doit pas enfoncer la zone CFA avec elle plus qu’elle ne l’est déjà.


CISSE ABDOU // Remerciements à Claude Mombo Baros pour la relecture approfondie

(*) Jean-Philippe Omotunde : La Monnaie // (**) Antal Fekete : Le retour au standard or //

(IDL) Interview de Charles G. // Les Crises du Capitalisme

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