D’avis d’économistes, la croissance africaine de 3,8% prévue en 2022 sera insuffisante pour résorber l’intégralité des chocs générés par la Covid-19. Dans son rapport annuel « L’économie africaine 2022 », l’Agence française de développement (AFD) tire les premières leçons d’une pandémie qui a révélé de sérieux écarts de reprise à l’échelle mondiale.
Après une récession de -1,3 % en 2020, la croissance africaine était de retour en 2021 (+3,7 %) et devrait se fixer à 3,8 % en 2022, selon le Fonds monétaire international (FMI). La reprise des entrées des capitaux, le retour des fonds de la diaspora, mais aussi l’augmentation de la demande énergétique et la hausse des cours du pétrole (+59 %) et des métaux de base (+50 %) ont bénéficié aux économies africaines, sans pour autant faire disparaître le choc économique de 2020.
Si les mesures de soutien des Etats, tout comme celles déployées par les bailleurs internationaux et par les partenaires bilatéraux, ont favorisé la reprise africaine, les moyens engagés dans les plans de relance à l’échelle mondiale expliquent en partie, les écarts de croissance enregistrés. Alors que « les économies avancées ont consacré en moyenne près de 7,2 % de leur PIB respectif à la relance post Covid-19, les Etats africains n’ont pu soutenir leurs économies qu’à hauteur de 2,6% du PIB » (L’économie africaine 2022 ; Agence française de développement ; Repères, ed. La Découverte ; févier 2022). In fine, la croissance mondiale était à peu près deux fois supérieure à celle de l’Afrique en 2021.
Sur le continent, les écarts de croissance tiennent à des facteurs bien distincts. Les économies du Sahel, du Golfe de Guinée et d’Afrique de l’Est ont été les plus dynamiques au niveau continental en 2021 alors que l’Afrique australe et l’Océan indien qui ont enregistré des récessions importantes, peinent à se relever. Les pays extractifs en particulier, ont subi de plein fouet les impacts de la pandémie. L’Angola, l’Algérie et l’Afrique du Sud qui représentent à elles-seules un quart du PIB africain, n’ont pas retrouvé leurs niveaux de croissance d’avant la crise.
Une reprise corrélée au degré de diversification économique
Après une récession de 6,4% en 2020 suivie d’une reprise de 5 % en 2021, la croissance sud-africaine tirée notamment par le secteur des mines, devrait se limiter à 2,2% en 2022, selon le FMI. A contrario, l’Egypte qui a bénéficié des fruits de réformes engagées entre 2016 et 2019, a affichée une certaine résilience, résultat de la reconstitution des réserves de devises et du retour de la confiance de la communauté internationale en particulier. « L’Egypte a bénéficié d’un programme du FMI de 5,2 milliards de dollars et d’un financement d’urgence de 2,8 milliards de dollars, ce qui a permis de catalyser d’autres bailleurs. Elle a pu faire face au retrait des capitaux en mobilisant de nouvelles sources de financement et dès février 2021, elle a fait appel au marché », analyse Cécile Valadier, directrice adjointe du Département Diagnostics économiques et politiques publiques de l’AFD. Les Egyptiens ont également bénéficié des transferts des migrants (des pays du Golfe en particulier) d’une part, tandis que l’Etat engageait d’importantes dépenses pour soutenir les ménages et les entreprises d’autre part. Cette combinaison de facteurs a permis au pays des pharaons d’afficher une certaine résistance face à la crise.
En revanche, les pays qui dépendent essentiellement du secteur touristique comptent parmi les économies africaines les plus sévèrement touchées par la crise. « En 2021, les pays où le tourisme contribue fortement au PIB n’ont pas vraiment retrouvé la situation d’avant-crise car les confinements se sont partiellement poursuivis, le trafic aérien était toujours perturbé et les cours du pétrole sont repartis à la hausse (…) En 2020, Les Seychelles ont enregistré une récession de près de 13 % et l’Ile Maurice d’environ 15 % », explique Cécile Valadier. Un léger mieux est attendu du côté des pays touristiques avec le retour progressif des voyageurs internationaux. Cependant, selon le FMI, le retour à la normale n’est pas attendu avant 2023.
L’impact de la crise sur les flux de financements
Le retour de la croissance en Afrique reste conditionné par plusieurs défis tels que l’évolution de la situation sanitaire, la mise en place de plans de soutiens aux économies nationales, mais aussi les aléas climatiques, politiques ou sécuritaires. La mobilisation de financements internationaux sera également déterminante dans la reprise de la croissance africaine.
« Les besoins de financement additionnels de l’Afrique entre 2021 et 2025 sont estimés à près de 285 milliards de dollars, selon le FMI. Les entrées de capitaux reprennent mais elles restent moins importantes qu’avant la crise et le resserrement de la politique monétaire des économies avancées pèsera sur les conditions de financement des économies africaines », précise Cécile Valadier.
Depuis quelques années, la baisse des financements bilatéraux avait déjà lourdement pesé sur les économies africaines. D’après le Boston University Global Development Policy Center, les fonds venus de Chine sont passés de 75 milliards de dollars en 2016 à 4 milliards de dollars en 2019. Dans un contexte de relatif sous-financement des économies africaines, la crise a provoqué des sorties de capitaux massives. Selon l’Institute of International Finance, en mars 2020, la sortie des capitaux était estimée à 95 milliards de dollars. Parallèlement, les investissements directs étrangers (IDE) ont chuté de 42 %, passant de 1 500 milliards de dollars en 2019 à 859 milliards de dollars en 2020.
Le rôle de la Zlecaf dans la reprise de la croissance
« A la fin des années 1990, les économies africaines se sont ouvertes de manière concomitante au développement des chaînes de valeur mondiales. Misant sur la segmentation de la production, l’Afrique pensait enfin avoir trouvé son modèle d’intégration en s’engageant à moindre coût sur différents secteurs de biens et services sans avoir à maîtriser la chaîne de production de A à Z. Malheureusement, cette prospective ne s’est pas réalisée car les prix élevés des ressources naturelles à inciter les économies à rester exportatrices de ressources naturelles plutôt qu’à développer le secteur des biens transformés », estime Julien Gourdon, économiste senior au sein de l’AFD. « Maintenant, on observe que le commerce régional est davantage tourné vers ces biens transformés, cependant l’intégration régionale reste très faible sur le continent car il fallait d’abord s’entendre sur des règles de commerce et aller bien au-delà des obstacles tarifaires des accords régionaux actuels. D’où l’espoir suscité par cet accord Zlecaf qui dépasse au-delà les simples concessions tarifaires », ajoute-t-il.
La libéralisation commerciale du continent ne s’est pas accompagnée de l’intégration régionale africaine escomptée. Selon la Cnuced, le commerce intracontinental ne représente que 15,5 % du commerce global en Afrique, contre 60 % en Asie, 68 % en Europe et 54 % en Amérique. « La pandémie a montré qu’il était crucial d’améliorer la simplification du commerce sur le continent et la facilitation des échanges, en rationalisant et en simplifiant les procédures techniques et juridiques applicables aux produits qui entrent ou sortent d’un pays pour être échangés sur les marchés internationaux », explique Julien Gourdon.
L’amélioration du contenu des échanges pour générer davantage de valeur ajoutée à travers la création de chaînes de valeur devra par ailleurs s’accompagner d’un renforcement des capacités pour garantir le succès de la Zlecaf. « Il ne suffit pas d’avoir une main-d’œuvre bon marché pour concurrencer les pays de l’Est », précise Julien Gourdon.
Diversification des économies, développement des chaînes de valeur régionales, renforcement des infrastructures et des capacités, harmonisation et simplification des règles commerciales comptent parmi les principaux défis que devront relever les pays africains pour assurer la réussite du marché intercontinental. Néanmoins, les retombées escomptées sont à la hauteur des défis à surmonter. La Banque mondiale estime que l’accord commercial de la Zlecaf pourrait accroître le revenu régional de 7 %, sortir 30 millions de personnes de la pauvreté d’ici 2035 et entraîner une hausse des salaires de l’ordre de 10 %, ainsi qu’une augmentation des exportations intracontinentales de 81 %.