À la veille du Forum Europe-Afrique organisé par La Tribune les 15 et 16 mai prochains à Marseille, Azali Assoumani, président des Comores et président en exercice de l’Union africaine, revient sur ses attentes en matière de partenariats économiques et sur les dossiers brûlants du continent.
L’Union européenne (UE) est le premier partenaire commercial de l’Afrique. Quels seront les grands axes de la relation euro-africaine que vous souhaitez conduire sous votre présidence de l’Union africaine (UA) ?
Azali Assoumani : Sous ma présidence, le monde est témoin de bouleversements majeurs qui mettent en cause les équilibres anciens. Mes priorités seront la paix, la sécurité et la stabilité du continent. La relation Europe-Afrique doit être renforcée, mais dans une même direction. Pour les Européens, il existe une obsession sur les migrations et les problématiques démographiques. De notre côté, les enjeux reposent avant tout sur la souveraineté alimentaire, la paix, la sécurité, l’économie et sur les enjeux liés au changement climatique, en particulier dans les pays insulaires touchés de plein fouet par la montée des eaux.
Quelles sont les priorités de l’UA dans l’élaboration des nouveaux accords de partenariats économiques (APE) entre l’Europe et l’Afrique ?
Notre priorité est de mener à terme le projet de la ZLECAf, d’accroître notre propre production pour renforcer les échanges interafricains. Il nous faut augmenter nos productions et garantir un rapport économique équilibré avec l’UE. L’Afrique ne doit pas être seulement un pourvoyeur de matières premières. L’Europe doit nous accompagner dans notre industrialisation et dans notre diversification économique.
La crise entre la France et les Comores a été ravivée suite à l’opération Wambushu qui vise à expulser de Mayotte les étrangers en situation irrégulière et à détruire les bidonvilles. Où en sont les négociations ?
Il faut désamorcer la crise en cours, car nous tenons à maintenir de bonnes relations entre la France et les Comores. J’ai proposé au président Macron que les ministres de l’Intérieur, de la Défense ainsi que les porte-paroles de nos gouvernements respectifs se rencontrent pour régler ce différend.
Un soutien financier de Paris pour gérer la crise migratoire est-il à l’ordre du jour ?
A chaque fois qu’un problème relatif à Mayotte se produit, on nous soupçonne de le régler avec de l’argent.
Surtout pas ! Depuis 1978, nous entretenons de très bonnes relations avec Paris, mais à chaque fois qu’un problème relatif à Mayotte se produit, on nous soupçonne de le régler avec de l’argent. En 2019, lorsque le président Macron m’avait reçu, il avait déclaré en conférence de presse que Mayotte était française. Ce à quoi j’avais répondu qu’elle était comorienne. Pourtant, il nous faut passer outre ce différend si nous voulons maintenir de bonnes relations (…)
Le visa Balladur a bloqué la libre circulation des personnes dans l’archipel et provoqué des morts qui cherchent à rejoindre Mayotte sur des kwassa kwassa depuis Anjouan. Je n’ai pas les moyens d’empêcher seul ces migrations inter-îles. Mayotte aurait pu nous aider à le faire en luttant contre les réseaux de trafiquants.
La question des visas en Europe, et notamment en France, reste un point d’achoppement qui crispe les relations entre les deux continents. Comment allez-vous porter le débat au niveau de l’UA ?
Je comprends qu’on ne peut pas distribuer des visas à tout va, mais comment expliquer que mon agent de sécurité et mon chef de communication se soient vus refuser leur demande de visa ? Trop, c’est trop ! Cette forme de chantage ne fonctionne pas avec moi (…) Au niveau du continent, la question migratoire est centrale. Il faut régler la question en Libye en s’attaquant aux réseaux de passeurs et travailler sur les racines des migrations, en accélérant le développement dans nos pays.
L’UA a rejeté les mesures d’externalisation des frontières des pays de l’UE vers l’Afrique, via la mise en place de « hotspot » ou d’accords de retour et de réadmission, qualifiant ces initiatives de « xénophobes et de totalement inacceptables ». Le processus est en cours. Quelles sont les alternatives proposées par l’UA ?
Les rapports des experts des Nations unies sur les flux migratoires montrent que 80 % des Africains se déplacent sur le continent. Une infime partie arrive en Europe. On ne peut donc pas en faire une obsession… Nous pensons qu’il faut traiter les Africains avec respect et dignité et nous serions ravis que l’Europe nous accompagne à fixer les jeunes sur le continent, à travers des programmes ambitieux sur la formation professionnelle, l’employabilité et la création d’emplois dans les secteurs porteurs (…) Je ne comprends pas comment un pays africain peut accepter des migrants venus d’autres continents. Comment un Mexicain ou un Syrien pourrait-il s’intégrer aux Comores ? Je m’interroge.
Les Comores ont condamné l’invasion russe en Ukraine. Cette position est loin d’être majoritaire en Afrique. Quelle a été la teneur de votre récent échange avec le président Zelensky ?
Le président Zelensky m’a appelé et m’a parlé d’un grand sommet mondial pour la paix. En tant que président de l’UA, j’ai accepté le principe. Le monde entier est impacté par cette guerre, y compris l’Afrique qui voit son inflation s’envoler. Il nous faut entrer dans les grands débats du monde et maintenir le dialogue. Parallèlement, j’ai reçu l’ambassadeur de Russie aux Comores. D’ailleurs, je participerai au Sommet Russie-Afrique, en juillet prochain.
Où en sont les discussions sur le retour à l’ordre constitutionnel en Guinée, au Mali et au Burkina Faso ?
L’Afrique doit rester fidèle à ses valeurs et à ses principes relatifs à la déclaration de juillet 1999 à Alger, qui condamne l’accès au pouvoir par des coups d’État. Je compte faire prochainement une tournée en Afrique de l’Ouest pour m’entretenir avec nos frères et pour trouver, ensemble, les voies et moyens pour un retour à l’ordre constitutionnel (…) Il n’existe pas une approche unique pour tous les pays. Je préconise les négociations afin d’éviter les situations de blocage. Tous nos différends ont toujours été réglés par le dialogue.
Selon vous, le retrait de la force Barkhane du Sahel annonce-t-il un recentrage panafricain du règlement de la lutte anti-djihadiste dans lequel l’UA jouerait un rôle plus décisif ?
Je déplore le retrait de la force Barkhane qui a joué un rôle majeur dans la région.
Je déplore le retrait de la force Barkhane qui a joué un rôle majeur dans la région. Maintenant, la France a pris sa décision et nous devons la respecter. Il est évident que le vide laissé par la France doit être occupé d’abord par la CEDAO et bien sûr par l’UA, selon le principe de subsidiarité. Nous savons qu’il faut occuper le terrain et surtout repenser l’approche de la lutte contre le terrorisme. Ce n’est pas la lutte armée qui obtient les meilleurs résultats, sinon l’Amérique ne se serait pas retirée de l’Afghanistan de cette façon… Nous devons structurer une approche résiliente (…) Je vais me rendre prochainement au Sahel et en Guinée. Mais pour l’instant, je suis en discussion avec les généraux qui s’affrontent au Soudan.
L’Arabie Saoudite et les États-Unis sont actuellement engagés dans un processus de résolution de la crise. Quel rôle joue l’UA dans ce dossier ?
Je soutiens personnellement l’initiative de Jeddah des États-Unis et de L’Arabie Saoudite. L’Union africaine est entièrement mobilisée sur ce dossier. Nous devons trouver une issue pour sortir de cette situation et instaurer rapidement des corridors humanitaires.
Le retrait de Barkhane présage-t-il de l’implication renforcée d’autres acteurs comme les Rwandais ou les Russes sur le plan opérationnel et les Américains sur le plan financier (les États-Unis ont annoncé en avril une aide de 100 millions de dollars sur dix ans pour aider la Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin à lutter contre le terrorisme) ?
Je me réjouis que l’armée rwandaise s’implique au Mozambique, en Centrafrique et bientôt en Afrique de l’Ouest. Nous sommes disposés à évaluer chaque proposition de partenariat, conformément à la primauté de nos intérêts et au respect de nos valeurs. Cela ne signifie pas que nous allons accepter n’importe quel partenariat. Nous travaillons aussi à faire monter en puissance les forces régionales comme la CEDAO ou les pays de l’EASF. Ces approches régionales de mutualisation stabiliseront la situation.
Les combats entre l’armée et les rebelles du M23 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) continuent, malgré les médiations et les ultimatums de l’UA et des chefs d’État de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Quelle stratégie comptez-vous adopter pendant votre présidence pour trouver une sortie de crise ?
J’ai déjà envoyé mon ministre de la Défense en Angola pour rencontrer le Médiateur, mon frère le Président angolais. Nous avons convenu de mettre en place une initiative qui regroupe le processus de Nairobi et celui de Luanda pour appliquer les différentes résolutions portant sur cette crise. J’ai rencontré Paul Kagamé à Londres récemment et je compte me rendre au Rwanda, en RDC et en Angola prochainement.
Lors de sa présidence de l’UA, le président Macky Sall avait fait de la représentativité de l’Afrique au sein des organisations internationales une priorité. En décembre, lors du Sommet États-Unis-Afrique, Joe Biden plaidait pour un siège permanent de l’UA au Conseil de sécurité des Nations unies et au G20. Comment évolue la question ?
C’est une question urgente pour les Africains. Avec la montée en puissance des BRICS, une telle représentativité contribuerait à un rééquilibrage des rapports de force, car garder une grande partie des pays du Sud en dehors des centres de pouvoir n’est pas dans l’intérêt du développement, ni de la paix. Cette représentativité est une question de justice et d’équité. Je remercie d’ailleurs le président Biden et tous ceux qui soutiennent les réformes du Conseil de sécurité des Nations unies et la demande d’adhésion de l’UA au G20.
À l’heure où le poids économique des BRICS est devenu supérieur à celui des pays du G7 (soit 31,5 % du PIB mondial contre 30,7 % pour le G7), dans quelle mesure les Etats de l’UA peuvent-ils se satisfaire d’un seul siège au Conseil de sécurité des Nations unies et au G20 ?
Nous plaidons pour une plus grande représentativité de l’Afrique au sein des instances internationales
Nous plaidons pour une plus grande représentativité de l’Afrique au sein des instances internationales. Cette injustice morale et historique doit être réparée. Néanmoins, nous acceptons cette avancée. Un siège, c’est quand même mieux qu’aucun siège. En voulant trop gagner, on risque de tout perdre…
Responsable de 4 % des émissions de gaz à effets de serre, l’Afrique est pourtant très impactée par le changement climatique. Quels sont les ressorts dont dispose l’UA pour que les pays industrialisés respectent leurs engagements financiers en matière d’aide à la transition des pays du Sud ?
Les Occidentaux n’ont pas toujours respecté leurs engagements dans ce débat sur les mesures de lutte contre la pollution.
Les Occidentaux n’ont pas toujours respecté leurs engagements dans ce débat sur les mesures de lutte contre la pollution. J’ai eu un entretien avec le chancelier allemand jeudi dernier (entretien réalisé le 8 mai, ndlr) à Addis Abeba et nous avons convenu de travailler ensemble sur une initiative forte pour la prochaine COP pour le climat aux Émirats arabes unis.
Votre nomination à la présidence de l’UA a été saluée comme un évènement « historique » pour l’archipel des Comores. Que peut-elle apporter aux Comoriens ?
Ma présidence est une chance pour notre pays, mais aussi pour les États insulaires. Cela montre que l’Union africaine donne les mêmes chances aux grands États comme aux plus petits. Je vais organiser de nombreuses conférences aux Comores, dans le cadre de cette présidence. Nous allons également faire en sorte que le quota des Comoriens devant occuper des postes au sein de l’UA puisse être atteint pendant cette présidence.
Pour conclure, à la veille de l’organisation du Forum Europe-Afrique organisé par la Tribune, quel message souhaiteriez-vous faire passer à la cité phocéenne ?
Nous ouvrirons prochainement un Consulat à Marseille.
Marseille est une ville très chère dans le cœur des Comoriens. De nombreux Comoriens y sont établis depuis des années. Nous ouvrirons prochainement un Consulat à Marseille.