Les ONG réclament le rétablissement de l’aide française au développement au Sahel

Au lendemain du coup d’État qui a mis fin au régime de Mohamed Bazoum, la France suspendait ses aides publiques au développement (APD) au Niger et au Burkina Faso. Redoutant l’arrêt pur et simple du versement des aides françaises dans ces deux pays, les organisations de la société civile (OSC) et les acteurs de l’humanitaire tirent la sonnette d’alarme.

« 2022 est marquée par la concrétisation des engagements du président de la République : notre pays consacre désormais 0,56 % de sa richesse à l’aide publique au développement et devient le quatrième plus important donateur au monde », se félicitait la secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Chrysoula Zacharopoulou au printemps dernier, alors que l’Agence française de développement (AFD) – fer de lance de la coopération française – révélait ses résultats annuels.

Les engagements du groupe AFD vers de nouveaux projets ont atteint 12,3 milliards d’euros en 2022 (5,5 milliards en Afrique), dont 2 milliards d’euros pour le soutien au secteur privé via sa filiale Proparco, et 400 millions d’euros pour la coopération technique portée par Expertise France.

Aujourd’hui, cet effort financier ne profite plus ni au Mali, ni au Burkina Faso, ni au Niger qui sont pourtant traversés par des vagues de violence chroniques, frappés par des épisodes climatiques extrêmes et qui comptent parmi les pays les plus pauvres du continent. La vague de coups d’État qui traverse la région n’a pas été sans conséquence sur les projets d’aide publique au développement engagés par la France au Sahel, Paris ayant décidé de stopper son aide au Mali en novembre 2022 et de la suspendre sine die au Burkina Faso, ainsi qu’au Niger, quelques jours après le coup d’État qui a mis fin au régime de Mohamed Bazoum (PNDS), le 26 juillet dernier.

Pour Olivier Bruyeron, le président de la plateforme de coordination française qui réunit plus de 180 organisations de solidarité internationale (OSC), c’est une première.

« La France a stoppé son aide au développement au Mali en 2022, ce qui est totalement inédit ! Nous sommes des acteurs non gouvernementaux. Nos actions sont apolitiques et nous répondons aux besoins des populations vulnérables. Quelle que soit la nature d’un régime politique, l’APD française a toujours été maintenue », explique-t-il.

Les OSC redoutent un « scénario malien »

« Depuis deux mois, l’aide est suspendue de façon provisoire au Niger et au Burkina Faso et cette période transitoire s’éternise. Nous craignons qu’après le Mali, la France décide de stopper purement et simplement son aide au Burkina Faso et au Niger. Depuis fin 2022, plusieurs OSC membres de Coordination Sud ont été obligées de suspendre leurs activités au Mali, faute de financement », expliquait Olivier Bruyeron le 28 septembre, au sortir d’une conférence de presse parisienne, organisée en présence de représentants du CCFD-Terre solidaire et d’Agronomes et vétérinaires sans frontières.

Par voie de communiqué, Anne Héry, directrice du Plaidoyer et des relations institutionnelles à Handicap International, avait également lancé un appel sur la plateforme de solidarité internationale, jugeant « inacceptable de stopper ces soutiens qui permettent à des hommes, des femmes, des jeunes en situation d’exclusion et de vulnérabilité de continuer à se nourrir, accéder aux soins, s’éduquer et in fine vivre dignement ».

Selon Coordination Sud, l’arrêt de l’aide publique au développement au Niger, au Mali et au Burkina Faso pénaliserait environ 17,8 millions de personnes, dont 7,5 millions de Sahéliens en situation d’insécurité alimentaire. Olivier Bruyeron dénonce « une instrumentalisation de l’APD à des fins politiques ». En 2020, le Burkina Faso et le Niger étaient respectivement 5e et 8e pays destinataires de l’aide humanitaire de la France.

Entre janvier 2013 et septembre 2017, les aides françaises au Mali, via l’AFD, représentaient 472 millions d’euros, selon l’Ambassade de France et, en 2020, l’APD française au Mali atteignait 121 millions de dollars, d’après l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Au Burkina Faso, les projets en cours en matière d’APD représentent 482 millions d’euros et l’aide budgétaire atteignait 13 millions l’année dernière, selon le ministère français des Affaires étrangères. Enfin au Niger, l’APD de la France représentait 120 millions d’euros, en 2022.

Des populations sahéliennes pénalisées

« Une centaine de projets conduits par une cinquantaine d’ONG françaises sont directement menacés par la suspension des financements au Niger et au Burkina Faso. Des dizaines de milliers de personnes pourraient être impactées dans leur quotidien, que ce soit au niveau de l’accès à l’eau, à l’éducation et aux services essentiels, suite à cette décision », s’inquiète le président de Coordination Sud.

Au Niger, l’ONG SEVES conduit 4 projets d’accès à l’eau potable et à l’assainissement qui sont d’ores et déjà en danger. Deux projets en cours d’instruction ont été suspendus et plusieurs postes supprimés. Simultanément, 11 coopératives agricoles, soutenues par un programme régional financé par l’AFD et par le Fonds français pour l’environnement en matière d’appui au commerce équitable, et portées par AVSF (Agronomes et vétérinaires sans frontière) sont également menacées.

« À travers ce projet, ce sont 11 000 personnes, dont 5 000 femmes qui travaillent dans les filières du karité, de la noix de cajou et de la mangue qui sont inquiétés par la suspension du versement de l’APD française au Niger », estime le président de Coordination Sud.

Même le Gret, une ONG française active depuis 1976 et implantée dans une trentaine de pays, a dû interrompre une partie de ses activités et a annoncé la « suspension de tout développement de nouveaux projets, alors que plus de 500 000 familles en dépendent et que plus de 15 OSC locales sont engagées dans ces projets », explique Olivier Bruyeron.

Si les OSC françaises reconnaissent les progrès enregistrés ces dernières années en matière d’APD française, elles redoutent aujourd’hui un revirement de situation dans un contexte de crise protéiforme et rappellent l’objectif initial. « Nous avons atteint les 0,56 % du RNB dédié à l’APD et c’est une bonne chose. Cela étant, l’objectif était fixé à 0,7 % en 2025 et nous sommes loin du compte », prévient le président de Coordination Sud.

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