A l’ère du numérique, l’imaginaire collectif veut qu’innovation rime automatiquement avec digital. De ce fait, parler d’innovation financière peut faire tout de suite penser qu’on n’évoquera que les nouvelles technologies, mais non. Explications.
Le digital s’est incontestablement révélé être un puissant vecteur de progrès technique. La preuve, en dépit de la pandémie, même si de nombreuses activités se sont retrouvées suspendues, le train a pu redémarré d’une certaine manière grâce à la technologie. Toutes les activités qui pouvaient se passer du contact physique sont devenues virtuelles ou semi-virtuelles.
En finance, pas mieux que le continent africain pour apprécier le leapfrogging favorisé par le numérique avec notamment le mobile money et le mobile banking, devenus des activités stratégiques pour le secteur financier en général et les banques en particulier. Et pour cause, partis du secteur des télécoms, les services financiers mobiles ont été de puissants vecteurs de financiarisation en Afrique subsaharienne, réussissant là où les campagnes de promotion de la bancarisation avaient souvent essuyé des échecs.
Et parler d’innovation financière évoque tout de suite dans l’imaginaire collectif : fintechs, solutions mobiles, services financiers dématérialisés… C’est certainement ce vers quoi tendra de plus en plus le secteur financier africain. Et on y reviendra plus en détail tout au long de cette série. C’est d’ailleurs cette tendance qui explique que « nous assistons à l’essor d’une coopération-compétition entre banques et télécoms », déclare dans un entretien avec LTA Paul-Harry Aithnard, directeur général Ecobank Côte d’Ivoire & directeur régional UEMOA du groupe bancaire panafricain. Une étude du cabinet français Nouvelles Donnes montre à titre d’exemple que les banques bonifieraient leur produit intérieur brut (PNB) de 5 milliards de dollars sur la période 2019-2025, si elles poussent dans la digitalisation de leurs services.
Eviter « l’erreur »
Cependant, les experts financiers s’accordent pour dire qu’en Afrique, il y a encore beaucoup d’innovations possibles et même nécessaires sans forcément faire recours au digital. D’ailleurs, à la question de savoir si la notion d’innovation financière dans le milieu bancaire africain aujourd’hui est intrinsèquement liée au digital, Paul Derreumaux, Président d’honneur de Bank of Africa répond : « Je crois que c’est une erreur ! ».
« C’est vrai que tout le monde parle maintenant du digital, car c’est une préoccupation majeure des banques », indique l’expert français qui fait notamment allusion à la « menace » qu’ont représenté les télécoms pour les banques à un moment suite à l’avènement des services financiers mobiles. Une rude concurrence à laquelle elles arrivent désormais tant bien que mal à faire face.
Dr Frannie Léautier, Senior Partner et CEO de SouthBridge Investments, abonde dans le même sens. « Il est vrai que lorsqu’on parle d’innovation en finance aujourd’hui, on suppose presque automatiquement qu’elle est numérique. Mais il existe de nombreuses innovations qui ne sont pas numériques », explique-t-elle. Cette financière émérite tanzanienne en veut pour preuve les innovations récentes telles que l’émission d’obligations vertes pour le financement de projets d’approvisionnement en eau et en électricité, les techniques de levées de fonds des gouvernements sur des marchés de capitaux privés pour financer des projets d’infrastructure ou encore les nouveaux mécanismes qui sont apparus dans la gestion du risque.
« D’autres innovations financières sont attendues »
En langue française, l’innovation est définie comme le fait chercher constamment à améliorer l’existant. Sémantiquement différente de l’invention, l’innovation y sera cependant souvent assimilée. D’ailleurs, dans son ouvrage « L’innovation financière en théorie et en pratique », l’expert et auteur David H. Gowland considère l’innovation comme « l’introduction d’un nouveau produit sur le marché ou la production d’un produit existant, mais d’une nouvelle manière ». Dans tous les cas, cela rétablit clairement que tous les domaines sont concernés par l’innovation, et celle-ci est de plus en plus numérique, mais pas uniquement.
Au niveau international, les innovations financières ont certes parfois été source de polémique comme lorsqu’éclate la crise des subprimes en 2007 provoquée par des géants de la banque aux Etats-Unis et qui sera l’un des facteurs majeurs déclencheur de la crise financière mondiale sans précédent de 2008. Mais l’histoire de la finance montre à quel point l’amélioration des techniques et mécanismes financiers ont permis de booster la pratique financière et soutenir le progrès économique à travers les siècles. Et dans le contexte africain actuel de quête importante de financement pour faciliter la relance des économies, P. Derreumaux de conclure :
« La digitalisation est importante, les banques [à titre d’exemple dans le secteur financier, NLDR] ont progressé, mais ce n’est pas non plus la parade à tous les problèmes. On peut considérer qu’il y a d’autres innovations financières qui sont attendues. Elles répondraient notamment à comment mieux financer les petites et moyennes entreprises… ».