Du 24 février au 3 juin, la Russie a exporté près de 100 milliards d’euros – 93 milliards d’euros exactement – d’énergies fossiles sur une période qui correspond au 100 premiers jours du conflit en Ukraine. L’Union européenne reste le principal acheteur de ces exportations, dont la France qui a maintenu son approvisionnement en gaz russe malgré des sanctions prises contre d’autres secteurs de l’économie russe.
Le chiffre permet de saisir l’importance stratégique du secteur énergétique russe dans les échanges mondiaux, et la manne financière qu’elle représente pour le Kremlin (50% du budget fédéral selon le Sénat) alors que de nombreux autres secteurs de l’économie russe s’effondrent sous l’effet des sanctions occidentales et que son PIB recule brutalement. La Russie a engrangé 93 milliards d’euros de revenus tirés de l’exportation d’énergies fossiles durant les 100 premiers jours de sa guerre contre l’Ukraine, dont une majorité vers l’UE, selon le rapport d’un centre de recherche indépendant publié lundi, et qui épingle particulièrement la France.
Le Crea, une ONG qui se revendique indépendante depuis sa création en 2019 à Helsinki (Finlande), se base sur plusieurs sources et une méthodologie expliquée ici : elle prend en compte le volume des exportations de pétrole brut, de produits pétroliers et de GNL sur la base de la capacité de fret totale (tonneau de port en lourd) des navires de différents types quittant les ports russes vers un port de l’Union européenne, extrait de MarineTraffic.com. Ce volume est croisé avec les prix de l’indice de référence d’Eurostat. Pour le gaz, l’estimation se fonde sur la base de données ENTSOG, qui suit en direct les flux transitant par les plus importants pipeline reliant l’Europe à la Russie.
Cette publication survient alors que l’Ukraine presse les Occidentaux de rompre tout commerce avec la Russie pour cesser d’alimenter le financement de guerre du Kremlin. L’Union européenne a récemment décidé d’un embargo progressif – avec des exceptions – sur ses importations de pétrole. Les 27 se sont mis d’accord pour interdire immédiatement plus des deux tiers des importations de pétrole russe et de mettre fin à celles-ci à 90% d’ici la fin de l’année tout en prévoyant des dérogations pour la Hongrie, fermement opposée à cet embargo en raison de son ultra-dépendance aux importations russes, et d’autres pays inquiets de l’impact économique de cette décision. Le gaz russe, dont elle est très dépendante, n’est pour l’instant pas concerné.
Selon le CREA, l’UE a représenté 61% des importations fossiles, soit environ 57 milliards d’euros, sur les 100 premiers jours de la guerre (24 février – 3 juin). Les plus gros importateurs ont été la Chine (12,6 milliards d’euros), l’Allemagne (12,1 milliards) et l’Italie (7,8 milliards). Les revenus de la Russie proviennent d’abord de la vente de pétrole brut (46 milliards), suivi par le gaz acheminé par gazoducs (24 milliards), puis les produits pétroliers, le gaz naturel liquéfié (GNL) et enfin le charbon.
La manne ne s’est pas tarie, même si les exportations ont reculé en mai et que la Russie est obligée de vendre à prix bradés sur les marchés internationaux. Malgré cette ristourne, le pays a quand même profité de la hausse mondiale des cours de l’énergie.
Si certains pays ont fait des efforts importants pour réduire leurs importations (Pologne, Finlande, Pays baltes), d’autres ont au contraire augmenté leurs achats : Chine, Inde, Émirats Arabes Unis ou … la France, selon le CREA.
« Tandis que l’UE envisage des sanctions plus strictes contre la Russie, la France a augmenté ses importations, pour devenir le plus gros acheteur de GNL russe dans le monde », souligne Lauri Myllyvirta, analyste du CREA.
Il s’agit d’ailleurs d’achats au comptant et non dans le cadre de contrats de long terme, ce qui signifie que la France a décidé sciemment de recourir à l’énergie russe malgré l’invasion de l’Ukraine, estime le spécialiste.
« La France doit aligner ses actes sur ses paroles : si elle soutient véritablement l’Ukraine, elle doit mettre en place immédiatement un embargo sur les énergies fossiles russes et rapidement développer les énergies propres et les solutions d’efficacité énergétique », juge-t-il.
Le gouvernement français affirme de son côté chercher « des substituts à l’approvisionnement en gaz ou en diesel venus de Russie » comme l’a affirmé Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique dimanche 5 juin. La France négocie notamment avec les Emirats Arabes Unis qui peuvent être « une solution de remplacement au moins temporaire au pétrole et au diesel russes« .