Mali, Niger et Burkina : « Cela va retarder les projets d’intégration en Afrique » (Abdoulaye Ndiaye, économiste)

La sortie annoncée du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la CEDEAO retiennent l’attention sur le continent et au-delà, alors que cela marque un tournant pour cette organisation tenue historiquement pour un exemple d’intégration économique, ainsi que l’explique Abdoulaye Ndiaye, économiste et professeur assistant à l’Université de New York.

La sortie annoncée du Mali, du Burkina Faso et du Niger des rangs de la CEDEAO a fait l’effet d’une bombe. De loin, comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

ABDOULAYE NDIAYE – J’ai accueilli cette nouvelle avec beaucoup de tristesse. Il y a plusieurs initiatives sur le continent pour améliorer le commerce et je pense que cette fragmentation n’est pas dans l’intérêt des populations. Cependant, je comprends un peu les motivations de ces pays qui ont actuellement une fougue anticoloniale, mais je pense qu’ils ne s’attaquent pas forcément à la bonne cible, parce que la CEDEAO est plutôt un espace à renforcer. Malgré ces accords économiques, le niveau de commerce entre nos pays reste bas par rapport à leur potentiel. Nous avons une libre circulation des personnes, mais la circulation des biens n’est pas toujours aussi fluide qu’elle le devrait.

La séparation du Mali, du Niger et du Burkina Faso d’avec la CEDEAO n’est pas vraiment cohérente avec la volonté des pays de la région de sortir du Franc CFA et cela ne permettra pas de renforcer le projet de monnaie unique de l’Afrique de l’Ouest [l’Eco, ndlr]. Les pays sont souverains dans leur volonté de faire chemin seuls, mais nous savons que cela peut parfois très mal se passer, si les régimes en place ne disposent pas des compétences pour mener à bien les politiques commerciales et monétaires. Pour moi, ce développement des choses est un recul pour la région.

Les conséquences économiques de ce que certains qualifient de « Brexit à l’africaine » sont redoutées. A votre avis, quelles peuvent être les conséquences économiques les plus fortes de cette rupture au sein de la CEDEAO ?

Déjà, j’aimerais souligner que le commerce entre les pays membres de la CEDEAO et les sortants s’était déjà affaibli ces dernières années suite aux tensions diplomatiques. Sur le court terme, l’impact pourrait ne pas être très virulent. Quelques commerçants seront impactés, mais nous assisteront probablement à une substitution vers d’autres destinations de la sous-région. Mais à mon sens, cette rupture va surtout retarder l’implémentation de beaucoup de projets d’intégration. Rien que la CEDEAO elle-même a plusieurs projets : celui visant à réduire les tarifs douaniers entre les pays, le projet de monnaie commune… Sur le plan du continent, la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), dans une certaine mesure, pourrait être retardée.

Nous assistons à un repli vers le nationalisme, ce qui, à mon avis, n’est pas dans l’intérêt de ces petits pays. On peut parler de souveraineté politique, mais parfois, la souveraineté politique peut porter un coup à la souveraineté économique. Tout le monde sait bien qu’il est préférable d’avoir un marché étendu. Le Nigeria en est un exemple. Le succès de la majorité des entreprises nigérianes repose sur le fait qu’elles peuvent fournir des services à une large population. Et ce pays est lui-même ouvert à s’étendre vers les autres marchés voisins.

Quand on sait par ailleurs que l’organisation conjointe des pays implique toute forme de coopération, je pense que la rupture au sein de la CEDEAO va surtout impacter la coopération sécuritaire. Les pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire doivent se déployer afin de pouvoir contrôler les vagues extrémistes qu’on a vu dans certains de ces pays, afin d’avoir toujours les meilleures informations.

Justement, alors que l’Afrique construit son intégration commerciale avec la Zlecaf, la CEDEAO a toujours été citée en réussite. Concrètement, comment la sortie du Mali, du Niger et du Burkina pourrait-elle perturber le processus du continent ?

L’objectif de la Zlecaf est de donner un cadre commun aux pays africains qui permette de faciliter le commerce. Désormais on pourrait s’attendre à ce que les pays sortant de la CEDEAO ne soient pas toujours très ouvert à tout ce que propose la Zlecaf, surtout au niveau sous-régional. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso nouent les liens avec la Russie et coupent les liens avec les pays africains. Cela n’est pas très vertueux. Cette sortie de la CEDEAO les fragilise, parce qu’ils devront tout le temps surveiller leurs arrières. Ils mettent dans la difficulté leurs populations avec des décisions symboliques comme l’obligation pour les binationaux de détenir leur propre passeport… Je pense que le développement ne se fait pas en se fermant au monde, mais plutôt par des programmes bien ficelés et dont l’implémentation permet d’augmenter la productivité, tout en améliorant l’éducation et la formation professionnelle.

Source Tribune Afrique

Challenges Radio

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