Mathias Léopoldie invente Julaya, la banque digitale des entreprises africaines

Récemment nommé Young Leader de la French African Foundation, Mathias Léopoldie, co-fondateur de la fintech Julaya, est l’une des valeurs montantes de l’entrepreneuriat numérique entre l’Afrique et l’Hexagone. Sportif, intellectuel, geek et businessman, le jeune homme au parcours iconoclaste affiche une réussite fulgurante qui inspire déjà les plus jeunes générations.

Rien ne prédisposait Mathias Léopoldie à devenir entrepreneur en Afrique. Né en 1994, le jeune homme de 29 ans a grandi dans le terroir du Limousin, jusqu’à l’âge de 18 ans. Fils d’un père professeur de mathématiques et de sciences physiques et d’une mère professeure d’allemand, il suit une scolarité studieuse et grandit dans une commune située non loin de Limoges, Le Palais-sur-Vienne. Dans ses plus jeunes années, Mathias est un geek qui passe de longues heures sur son ordinateur. À 12 ans, il crée des sites web et de « petits jeux vidéo », mais n’envisage pas de faire carrière dans l’informatique qu’il considère comme un simple hobby.

Sportif accompli, il devient champion de France de pentathlon en salle dans la catégorie minime, avec l’Union française des œuvres laïques d’éducation physique (UFOLEP). Mathias a de qui tenir, car son père était « un as du 800 mètres » et son grand-père, né dans les années 1940 en Martinique, « courait le 100 mètres en 10’80 ! », précise-t-il, non sans fierté. Blessé lors d’une compétition, Mathias abandonne toute velléité de carrière sportive internationale. Il continuera à courir « pour le plaisir ».

Au terme de sa scolarité dans le Lycée Turgot de Limoges, il obtient son baccalauréat en sciences de l’ingénieur, avec 19,25 de moyenne générale, ce qui lui vaudra d’apparaître dans le journal local Le populaire du Centre.

Des rêves d’ambassadeur et d’écrivain voyageur

Mathias est bercé par les histoires d’héroïques maquisards du Limousin. Pendant son adolescence, il remporte le concours national de la Résistance. À l’issue d’un voyage à Ravensbrück, il est inspiré par Maurice Gourdault-Montagne, ancien ambassadeur de France en Allemagne. Pragmatique, il s’imagine une future carrière d’ambassadeur-écrivain, « car peu d’écrivains français vivent de leur plume, de nos jours », s’amuse-t-il.

Son Bac scientifique en poche, il s’oriente finalement vers Sciences Po Paris et s’inscrit en parallèle en Bachelor de Lettres modernes à l’Université de La Sorbonne-Paris IV. Logé chez une amie de la famille, inspectrice de l’Education nationale, il partage son temps entre les cours, les loisirs et le sport. « En arrivant à Paris, j’étais complètement dépaysé (…) Le choc était surtout culturel. J’observais les étudiants venus de classes préparatoires ou des prestigieux lycées parisiens qui me semblaient venir d’un autre monde », reconnaît-il rétrospectivement. Le rythme est effréné, Mathias suit un double cursus, avale au moins deux livres par semaine et ne compte plus ses sorties culturelles.

Grâce à ses bons résultats, il part suivre sa troisième année de Sciences Po à l’Université de Chicago aux États-Unis. Sur son temps libre, il étudie la littérature et le cinéma. « C’était une expérience très riche qui m’a permis de comprendre la démesure de la vision américaine », explique-t-il aujourd’hui. C’est à Chicago où le jeune homme suit également des cours au sein de la célèbre Chicago School of Business (dont l’économiste Milton Friedman reste la figure tutélaire), que son goût pour l’entrepreneuriat se matérialise.

Les premiers pas en terres africaines

À son retour des États-Unis, Mathias cofonde We Start avec d’autres étudiants, une association de loi 1901, pour promouvoir l’entrepreneuriat à Sciences Po Paris, avec l’idée de créer sa propre entreprise le moment venu. Déjà diplômé d’un double Bachelor (Sciences Po-La Sorbonne), il décide de poursuivre sa scolarité par un double cursus de Master en Management public et privé à Sciences Po et HEC. La charge de travail est importante, mais la charge financière l’est tout autant. Mathias, à peine 20 ans, s’est déjà endetté de 150.000 euros pour financer ses études. Pour le jeune homme, la vie change. Du Quartier latin, en perpétuelle effervescence culturelle, il passe au campus HEC de Jouy-en-Josas, isolé dans la lointaine périphérie parisienne.

Fin 2015, c’est à l’occasion d’une « Talent Fair » qu’il rencontre Damien Guermonprez, le président de Lemonway, une fintech française qui cherche à développer ses activités en Afrique. Après trois mois de bénévolat, il est intégré à la petite équipe et s’envole pour un premier voyage sur le continent africain. C’est la révélation !

« Ma famille était inquiète, car je suis parti à Ouagadougou trois jours après les attentats du Capuccino, en janvier 2016 », se souvient-il. « J’ai tout de suite été enthousiasmé par cette sensation de liberté », assure-t-il. « Dès mon arrivée, je me suis retrouvé sur un taxi-moto, sur une route de terre rouge, sans casque, la valise sous le bras. J’étais conquis ! En six mois, j’ai multiplié les déplacements entre le Mali où la société développait ses activités et le Burkina Faso où nous souhaitions nous implanter », ajoute-t-il. Lemonway ambitionne alors de créer un système de mobile money en Afrique. L’aventure tourne court, mais Mathias n’a pas tout perdu, puisqu’il rencontre Charles Talbot, qui deviendra son associé…

Julaya, une initiative qui fait mouche !

Fin 2017, Mathias quitte Lemonway pour créer sa société avec Charles, 31 ans aujourd’hui. Elle s’appellera Julaya qui signifie « commerce » en langue bambara. « Je voulais trouver des solutions pour les populations en zone sahélienne et dans le golfe de Guinée », explique ce passionné d’Afrique téméraire qui n’hésite pas à partir incognito en direction de la falaise de Bandiagara au cœur d’un pays dogon, traversé par une grave crise sécuritaire, pour rencontrer le célèbre écrivain Yambo Oualoguem. La rencontre ne se fera pas et l’écrivain disparaîtra quelques mois après cette infructueuse tentative.

Désormais, à travers Julaya, il entend digitaliser les entreprises en Afrique en créant « la banque digitale du futur ». À l’issue d’une série de tests dans la sous-région, il décide de lancer ses activités en Côte d’Ivoire, « où le marché, plus mature, offrait davantage de perspectives de développement », précise-t-il. La société est fondée à Paris en mars 2018. Le siège sera délocalisé en Seine-Saint-Denis quelques mois plus tard, après l’intégration de Julaya dans le fameux incubateur Bond’innov. Julaya bénéficie en outre, des réseaux de l’incubateur HEC et de l’accélérateur 50 Partners.

La startup imaginée par Mathias Léopoldie permet d’effectuer des paiements vers les entreprises et leurs collaborateurs non bancarisés, mais aussi de faire des dépôts en cash dans n’importe quelle agence bancaire partenaire (plus d’une dizaine de banques réparties entre le Sénégal, le Bénin et la Côte d’Ivoire) et de réaliser des transferts d’argent vers tous les réseaux de mobile money.

Les fonds de capital-risque s’emballent pour Julaya

Lancée avec 30.000 euros de fonds propres, Julaya se fait vite remarquer. Dès le lancement du projet, Mathias est soutenu par plusieurs Business Angels dont le CEO de Lemonway. Durant l’été 2018, il a déjà réuni 200.000 euros. En 2019, le modèle évolue et se précise. Il décide de s’installer à Abidjan.

Fin 2019, Mathias Léopoldie lève 500.000 euros et compte une dizaine de clients. L’entreprise multiplie les partenariats avec les plus gros opérateurs présents en Afrique comme Orange, MTN, Moov et Wave.

La pandémie de Covid-19 arrive et le développement commercial est à la peine, mais Julaya parvient néanmoins à passer un partenariat avec Jumia, leader du e-commerce en Afrique. En juin 2021, l’entreprise lève 2 millions de dollars auprès de fonds comme Orange Ventures, Saviu Ventures et Launch Africa Ventures. Les projets se multiplient, la structure se consolide et la masse salariale augmente.

En janvier 2022, en dépit de la concurrence de la licorne Wave, Julaya parvient même à gagner des parts de marché au Sénégal. Les fonds de venture capital s’emballent pour la fintech qui lève près de 5 millions d’euros, dont 3 millions d’euros investis par le fonds Speedinvest. Le tour de table réunit EQ2 Ventures, Kibo Ventures, Unpopular Ventures, Jedar Capital, Orange Ventures, Saviu, 50 Partners, mais aussi le footballeur Édouard Mendy et le Business Angel ivoirien Mohamed Diabi. En mars 2023, Julaya débarque au Bénin.

Aujourd’hui, la startup gère un flux de transactions de 500 millions d’euros, compte 73 collaborateurs et 1.200 entreprises clientes. Son chiffre d’affaires de 600.000 euros en 2022 devrait atteindre 2 millions d’euros cette année.

Mathias souhaite désormais déployer Julaya dans toute la sous-région. Ce n’est pas uniquement l’argent qui motive l’entrepreneur, mais la recherche de solutions. « Grâce à notre plateforme de paiement, les employés de la société ivoirienne de nettoyage ECOTI ne sont plus obligés de se lever à 4 heures du matin pour faire la queue devant la banque, dans l’attente de leur salaire et perdre une journée de travail. Notre solution améliore la vie des gens, tout en permettant de gagner en productivité ».

Challenges Radio

Read Previous

Les taux en zone euro bientôt sur un « haut plateau » (Villeroy de Galhau)

Read Next

Trente ans de promotion de l’import-export africain : quel bilan ?

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.