Au Gabon, un rapport dresse un bilan mitigé des sept dernières années en termes de réalisations – notamment économiques – à la veille de la prochaine présidentielle. Mais l’avenir n’est pas sans espoir et ce, à certaines conditions, estime son co-auteur, l’analyste économique Mays Mouissi. Explications.
Amélioration du climat des affaires, multiplication des financements octroyés aux petites et moyennes entreprises (PME), émergence de champions nationaux, optimisation des secteurs des mines et du tourisme, lutte contre le chômage… Ce sont autant de domaines dans lesquels le Gabon aurait dû faire un saut qualitatif important ces dernières années, révèle le récent rapport « 105 promesses, 13 réalisations – Le bilan du second septennat d’Ali Bongo Ondimba (2016-2023) », co-réalisé par l’analyste économique Mays Mouissi. Sur l’important nombre de promesses d’ordre économique, seules trois ont été réalisées dont la construction d’un port commercial et un port minéralier en extension des infrastructures existantes du port d’Owendo.
Après les récentes crises internationales qui ont instauré un contexte de relance économique un peu partout dans le monde, le Gabon – qui cherchait déjà la route vers la relance il y a sept ans avec une croissance du PIB à 3,9%, passée à 3,1% en 2022 – arpente de nouveau ces sentiers sur fond d’initiatives diverses dont celles liées au climat.
Dans un entretien avec La Tribune Afrique en octobre 2016, après un mois d’instabilité suite à la proclamation de la victoire du président Ali Bongo, vous déclariez : « la relance économique n’est pas pour demain ». Aujourd’hui, près de sept ans plus tard, cette relance a-t-elle été amorcée ? Comment se porte l’économie gabonaise qui a dû, comme partout dans le monde, pâtir des crises de Covid et russo-ukrainienne ?
MAYS MOUISSI – En octobre 2016, le Gabon traversait une grave crise post-électorale qui a affectée son économie. Je constate que depuis 2016, jamais le taux de croissance du Gabon n’a atteint 5% quand les pays les plus dynamiques du continent africain ont enregistré une croissance moyenne comprise entre 7 et 10% au cours de cette période. Pour relancer durablement l’économie gabonaise, il faut une croissance plus robuste et plus inclusive qui ne reflète pas uniquement la hausse des prix des matières premières. Seuls un tel changement de modèle et une gestion orthodoxe des finances publiques sont susceptibles de permettre au Gabon d’accélérer son développement. On n’y est pas encore.
Evidemment, l’économie gabonaise a été affectée par le covid-19 comme tous les pays de la planète. Cependant, cette pandémie ne peut à elle seule justifier les manquements observés dans la gouvernance étatique et le déclin de l’investissement public. Aujourd’hui, en dehors de l’impact sur les prix des denrées alimentaires, l’impact de la guerre en Ukraine sur l’économie gabonaise est négligeable. Le Gabon doit donc prendre son destin en main et agir pour accélérer son développement.
Dans votre rapport sur le bilan du deuxième septennat du président Bongo, vous pointez de nombreuses promesses économiques non réalisées liées notamment au climat des affaires, à l’émergence des champions nationaux, aux secteurs des mines et du tourisme, à l’emploi, au financement du secteur privé… Comment analysez-vous l’impact de ces irréalisations sur l’évolution du développement du pays ?
La non-réalisation des promesses du Président Ali Bongo au cours de son second mandat a ralenti la dynamique de progrès du pays et accru les inégalités. Le taux de croissance du PIB demeure faible, entre 2 et 3%. Le taux de chômage est passé de 28% à 32% au cours de ce septennat tandis que le taux de pauvreté est passé de 30% à 34%. En dépit des progrès réalisés dans le secteur bois dont la contribution au PIB est passée de 2,9% en 2016 à 3,9% en 2022, l’économie gabonaise qui demeure peu diversifiée est toujours fortement dépendante des revenus pétroliers. L’accès aux services de base comme l’eau et l’électricité s’est dégradé, y compris dans la capitale où il faut parfois attendre plus d’un an pour avoir un simple compteur d’électricité.
Dans ce contexte, il faut repenser la stratégie de développement du pays ainsi que ses mécanismes de financement de façon à obtenir de meilleurs résultats.
Alors que le Gabon tente un positionnement avant-gardiste sur le sujet stratégique du climat (avec les différentes initiatives récentes comme One Forest Summit…), le pays a-t-il les moyens de sa politique à votre avis ? Comment le Gabon peut-il exploiter son potentiel en tant que pays-solution climatique sans léser les autres urgences économiques ?
L’engagement du Gabon sur les questions climatiques est à saluer. Notre pays, en dépit de sa taille et de sa faible population, a déjà fait beaucoup d’efforts pour contribuer à la préservation de la planète et de la biodiversité. Nos populations rurales paient le lourd tribu de ces efforts. Cependant, les efforts du Gabon ne lui procurent qu’un très faible bénéfice financier car les pays développés réputés être à l’origine des dérèglements climatiques ne rétribuent pas suffisamment les pays sous-développés qui conduisent une politique éco-climatique offensive. Cette inaction limite de fait les moyens des pays comme le Gabon en dépit de l’activisme diplomatique qu’il démontre sur ces questions. Il est important que les pays à l’origine des dérèglements climatiques rétribuent ceux dont les actions contribuent à corriger leurs fautes.
Concernant la conciliation entre la mise en œuvre des engagements en matière climatique et la nécessité du développement économique, le Gabon a l’avantage d’avoir plus de 70% de sa population concentrée dans une dizaine de centres urbains. Cette situation peut favoriser l’application des politiques de préservation de la biodiversité sur une grande partie du territoire tout en assurant le développement des principaux centres urbains.
Quel est à ce stade, selon vous, le moral des entreprises gabonaises et à quoi devraient-elles s’attendre dans le contexte socio-politique et économique qui prévaut ?
Les entreprises gabonaises espèrent une reprise économique plus soutenue cette année. Elles ont également des attentes vis-à-vis de l’Etat notamment l’apurement de la dette intérieure. Le Club de Libreville qui devait être mis en place à cette fin depuis le premier trimestre 2023 est toujours attendu. En outre, l’amélioration de l’environnement des affaires, la simplification des procédures et la suppression de la parafiscalité permettraient aux entreprises gabonaises d’être plus compétitives.
Je note par ailleurs que la réforme opérée par le patronat qui a créé la Fédération des Entreprises du Gabon (FEG) sur les cendres de l’ex Confédération du Patronat Gabonais (CPG) semble avoir apporté plus de dynamisme dans la défense des intérêts des entreprises. Celles-ci semblent mieux organisées et la FEG est plus représentative. Mais comme tous les Gabonais, les entreprises attendent l’issue des élections à venir. Leur intérêt est que celles-ci se déroulent de façon apaisée et que le scrutin soit libre et transparent de façon à éviter une nouvelle crise post-électorale susceptible d’affecter l’activité économique.