Un Dubaï africain ? La nouvelle capitale administrative du Caire, en cours de construction depuis 2015 dans le désert égyptien, prend forme peu à peu. Pensé en cité ultra-moderne abritant notamment le plus haut gratte-ciel d’Afrique, le projet pharaonique qui implique aussi bien des compagnies étrangères qu’égyptiennes est développé sous le contrôle des autorités, mais aussi l’œil de ses détracteurs.
Des camions transportant du matériel à longueur de journées, des ouvriers munis d’une casquette ou d’un keffiyeh noué autour de la tête se protégeant du soleil brulant, des maçons à pied d’œuvre pour monter des immeubles… Dans le désert égyptien à environ 45 km à l’est du Caire, une ville sort progressivement du sable : la nouvelle capitale administrative, étendue sur 720 km2. Les chantiers sont encore nombreux, mais les bâtiments achevés et mis en service sont sensés donner un avant-goût de ce que sera cette cité voulue d’un genre nouveau. « Les étrangers sont agréablement surpris quand ils découvrent ce qui se passe ici. Cela nous rend fiers d’une certaine manière. Si tout se passe bien, les populations pourront venir habiter ici dans un ou deux ans », confie Mahmoud, un guide touristique égyptien à la tête d’une entreprise de conciergerie. En ce samedi de juin, il est à la nouvelle capitale pour accompagner ses hôtes qui y séjournent pour des réunions d’affaires. Le jeune quadragénaire augure un avenir prometteur pour ses activités dans cette ville si elle est achevée.
En travaux depuis sept ans
Dans les tiroirs de l’administration depuis plusieurs années, ce mégaprojet urbain de nouvelle capitale au cœur du désert est finalement lancé en 2016, soit deux ans après l’accession au pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi. Alors que le locataire du Palais d’el-Orouba l’annonce à la conférence de Sharm-el-Sheikh un an avant le début des travaux, il prévoit le déménagement du palais présidentiel, du siège du gouvernement, du Parlement et des ministères pour l’été 2019. Cependant, le chantier prendra beaucoup plus de temps que prévu. Si le président égyptien avait voulu une réalisation rapide en cinq ans, le ministre de l’Investissement a annoncé plus tard que les travaux devraient durer 12 ans. Ils sont donc actuellement à la septième année. En cause : les différentes perturbations économiques mondiales de ces dernières années ; les diverses déconvenues liées à ce type de projets, mais aussi la mobilisation des 58 milliards de dollars de financements qui seraient apportés par environ 600 investisseurs dont une centaine du monde arabe.
Pour le désengorgement du Caire
Le premier motif de la création de cette nouvelle capitale, selon les autorités égyptiennes est le désengorgement du Caire. Dans la principale mégapole du pays, plus de 22 millions de personnes circulent en journée. « Vous voyez, la circulation est très dense dans la ville. C’est vrai que sur certaines avenues ça peut aller vite, mais en règle générale ici, il ne faut pas être trop pressé ou alors s’y prendre bien à l’avance », affirme Ahmed, un sexagénaire qui fait le taxi au départ des hôtels de la ville. « A la nouvelle capitale, tout est grand et beau, y compris les appartements », ajoute celui qui ne s’y rend que de manière ponctuelle, notamment lorsqu’il doit conduire des groupes de touristes d’affaires.
La fréquentation de la nouvelle capitale administrative du Caire est quasi-inexistante à l’exception en effet des rencontres business, à l’instar des Assemblées annuelles de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank – dont le siège est en Egypte), qui ont rassemblé -du 15 au 18 juin- plus de 3 000 participants venus des quatre coins du globe. « Quand, nous avons traversé la ville, je me suis demandée si nous étions à Dubaï. Mais non, c’est bien en Afrique… », s’est exclamée une dirigeante onusienne qui soulignaient la nécessité pour les pays africains de développer de tels « projets audacieux », s’adressant au président Al-Sissi lors du panel présidentiel. Lui qui a insisté sur l’importance des infrastructures dans la stratégie « L’Afrique que nous voulons » de l’Union africaine (UA). « Si nous voulons transformer ce continent, nous devons commencer par construire des infrastructures modernes. Le défi est d’avoir une très bonne infrastructure », a déclaré celui qui semble vouloir prêcher par l’exemple.
Le siège du plus haut gratte-ciel d’Afrique
Outre les vastes routes qui caractérisent la nouvelle capitale, la longue ligne de train électrique suspendue en cours de construction, les bâtiments imposant sont autant d’édifices qui attirent l’attention. Difficile en outre de traverser ces vastes chantiers sans remarquer celui du plus haut gratte-ciel d’Afrique : l’Iconic Tower. Haute de 394 mètres et munie de 79 étages -soit bien plus haute que la tour Eifel à Paris- cette tour construite par la China State Construction Engineering Corporation (CSCEC) dispose de bureaux, d’appartements et d’hôtels de luxe entre autres. L’édifice remarquable depuis tous les axes de la ville est situé au cœur du quartier central des affaires de la nouvelle capitale dont le coût évalué précédemment à 3 milliards de dollars aurait grimpé entre temps. « Le budget pour le district de 81 hectares a maintenant atteint 3,85 milliards de dollars », a récemment déclaré Khaled El Husseiny, porte-parole de l’Administrative Capital for Urban Development (ACUD), la société qui développe le projet de la nouvelle ville.
La phase 1 achevée à plus de 70%
Dimanche 26 juin, les autorités égyptiennes ont annoncé que la première phase du projet de la nouvelle capitale administrative est réalisée de 70% à 90%. Cette étape concerne 10 quartiers résidentiels, le quartier gouvernemental, le quartier financier et des affaires, mais aussi l’Iconic Tower.
Outre les firmes internationales, plusieurs compagnies égyptiennes sont impliquées dans le projet de la nouvelle capitale dont Orascom Construction du milliardaire Nassef Sawiris -quatrième fortune d’Afrique en 2022 selon Forbes. La firme y mène sept projets dont le siège du gouvernement, le siège de la Banque centrale d’Egypte, la Cathédrale, l’Opéra ou encore l’imposant complexe hôtelier Al Massah. Selon les autorités, 50 pays auraient déjà sécurisé leur espace dans la nouvelle capitale. Mais pour l’heure, aucune information ne filtre quant au nombre de pays africains.
Une « smart city » dans le désert
Les Egyptiens -qui ont émis la candidature du Caire pour accueillir les JO 2036- promettent par ailleurs une ville « smart ». Selon les autorités, plusieurs infrastructures sont mises en place afin de faciliter le quotidien des 6 millions d’habitants et des 1,7 million d’emplois que la ville devra accueillir et créer à terme. A titre d’exemple, « grâce à une application mobile, un citoyen pourra gérer toutes ses affaires à partir de son téléphone portable », expliquait récemment à Reuters Mohamed Khalil, responsable de la technologie chez l’ACUD.
L’Allemand Siemens et le promoteur immobilier égyptien Al-Attal Holding viennent également d’annoncer qu’ils vont ériger le premier complexe résidentiel et commercial intégrant le métaverse et l’intelligence artificielle (IA), notamment pour le contrôle à distance des installations techniques. Autant d’innovations que devrait accueillir la nouvelle capitale égyptienne.
Le projet pharaonique ne fait pas l’unanimité
Malgré ce tableau qui semble presque parfait, la nouvelle capitale administrative du Caire ne fait pas l’unanimité en Egypte. Les détracteurs de ce projet pharaonique pointent notamment son coût jugé « pharamineux » dans un pays où une personne sur trois serait analphabète, estimant que la mobilisation des finances pour la transformation de l’éducation serait prioritaire. Ils critiquent également le financement dont bénéficie le projet, souvent qualifié d’ « opaque ». Pour eux, la ville pourrait davantage creuser les inégalités en raison des prix élevées des logements dans la nouvelle capitale, ainsi inaccessibles à certaines bourses.
D’aucuns accusent le président Al-Sissy de vouloir au travers de ce mégaprojet imprimer son nom dans l’histoire du pays, disent-ils, au détriment des problèmes qui minent la société égyptienne. Pour ces raisons, la nouvelle capitale est souvent appelée « Sissy City », qualificatif lancé pour la première fois par l’éditorialiste révolutionnaire Waël Qandil, poussant plusieurs médias étrangers à enquêter sur les coulisses du projet pharaonique.
Pour contrer ces critiques, Le Caire s’est à son tour lancé dans la promotion internationale de la nouvelle capitale à coups d’opérations de communication. En mai dernier, le gouvernement a invité des médias à visiter le projet de fond en comble, s’assurant une couverture médiatique large. Et ces derniers mois, contrairement au début des travaux, la société en charge du projet fait régulièrement des sorties médiatiques.
Mais au-delà de cette « guerre » médiatique, les projecteurs resteront braqués sur le désert égyptien, attendant (enfin) l’inauguration de cette nouvelle capitale dont plusieurs ont déjà prédit l’inachèvement s’appuyant sur les précédents projets de villes nouvelles partiellement développés en Egypte et toujours initiés dans le but de désengorger les grandes agglomérations. Aux dirigeants égyptiens désormais de prouver le contraire !