Le maïs, le soja et les produits d’élevage constituent l’essentiel de l’alimentation dans les savanes ghanéennes. Pour booster la production et limiter les importations dans une région vulnérable aux changements climatiques, le gouvernement et la Banque africaine de développement vulgarisent depuis quelques années l’accès aux financements, technologies et techniques agronomiques innovantes. Résultat : l’agriculture de subsistance laisse place à une agriculture de conservation et commerciale dans laquelle de nombreux entrepreneurs trouvent leur compte.
A Tamalé, principale ville du Nord du Ghana située à 620 km d’Accra, ce samedi de mai est un jour de travail comme les autres pour les agriculteurs. Mais pour Chief Youssif Abdellah, président de l’Association locale des agrobusinessmen, l’exercice consiste désormais en un débriefing avec ses chefs d’équipes, son entreprise agro-pastorale s’étant agrandie et impliquée à la fois dans la culture céréalière (le maïs et le soja, aliments de base dans la région) et l’élevage de poules, de pintades, de moutons et de chèvres. Ses espaces se sont multipliés par sept en quatre ans, passant de 70 hectares à 500 hectares. « Aujourd’hui nous faisons plusieurs millions de cedis de chiffre d’affaires, ce n’était absolument pas le cas plusieurs années en arrière », confie d’un air discret ce sexagénaire ancien expert en microfinance qui découvre l’agriculture de conservation en 1991 au profit d’un voyage à l’étranger et décide de s’y lancer après son retour.
Reconvertis ou anciens du secteur, un impact tangible
Tout comme lui, Sayibu Mohammed a troqué son costume de banquier contre une combinaison il y a huit ans, pour se consacrer à l’élevage de la volaille dans sa région natale. Sa ferme située à Bamvim (dans le district métropolitain de Tamalé) affiche une capacité de 10 000 à 15 000 poules et produit 150 à 160 plaquettes d’œufs par jour, fournies notamment aux marchés, aux hôtels et restaurants. « Au Nord, il y a un grand marché pour les œufs. Quand nous regardons le portefeuille de la ménagère, nous ne pouvons pas continuer à ramener les œufs du Sud du pays. Il nous faut en produire davantage ici », confie l’entrepreneur qui va incessamment exécuter son plan de réduction du coût de production avec le lancement d’une plantation de maïs et de soja à Bamvim où il a déjà acquis des hectares à cet effet.
A quelques kilomètres plus loin, à Sakpuli, Alhaji Mohammed Mashud y a établi son quartier général. Sa renommée s’étend au-delà de Tamalé, car ce quadragénaire a décroché le titre de meilleur agriculteur du Ghana en 2021. Alors qu’il travaillait encore sur moins de 10 hectares en 2017, cet agriculteur de seize années d’expérience a produit 5,3 millions de tonnes de céréales sur 453 hectares l’an dernier. Et ce n’est pas tout. « L’agriculture de conservation à grande échelle est la voie à suivre. Nous sommes impliqués dans chaque maillon de la chaîne de valeur. Cela vous intéressera de savoir qu’en plus des produits de base que sont le maïs, le soja et le riz, nous faisons de l’élevage et de la production à grande échelle de volailles, de petits ruminants, de bovins, de dindes, d’oies et de pisciculture », explique ce champion qui a bâti un réseau de sous-traitance de plus de 36 000 petits exploitants agricoles. Sa ferme de volailles à titre d’exemple, affiche une capacité d’environ 12 500 poulets de chair et pintades. Ses différents produits sont commercialisés à travers le pays et son entreprise est passée de quatre à 51 emplois permanents et plus de 1 000 emplois occasionnels. Comme ces entrepreneurs, les savanes ghanéennes voient émerger de plus en plus des millionnaires agricoles, qui préfèrent cependant rester discrets sur leurs chiffres.
Une stratégie précise, portée par l’Etat
Au Ghana, l’agriculture -précieuse pour l’économie- pèse 22,4% du PIB. 30% des exportations nationales sont agricoles et environ 45% de la population est employée dans ce secteur. Ici depuis une trentaine d’années, le travail de la terre est célébré chaque premier vendredi de décembre, avec une adresse aux professionnels par le président de la République, Nana Akufo-Addo, assortie parfois d’une visite de terrain.
Le pays étant le deuxième producteur mondial de cacao derrière la Côte d’Ivoire, l’or brun -majoritairement cultivé au Sud- est incontestablement la « star » de l’agriculture, si bien qu’il a fallu du temps pour susciter chez les Nordistes la conviction pour une production agricole abondante de cultures propres à la qualité des sols régionaux. Il y a encore quelques années à Tamalé, l’agriculture était essentiellement de subsistance. Alors qu’ils n’étaient que quatre agriculteurs commerciaux en 2018, leur effectif est passé à 118 acteurs en 2021. Ici, à l’instar de toutes les savanes africaines, l’agro-pastoral est roi. « Oui ! Nous faisons habituellement les deux, [l’agriculture et l’élevage]. Certains commencent avec l’un et finissent par investir simultanément dans l’autre », explique Chief Youssif Abdellah.
Tout commence en 2018 lorsque le gouvernement ghanéen implémente l’initiative « Technologies pour la transformation de l’agriculture africaine » (TAAT) axée sur le secteur privé. Initiée et financée par la Banque africaine de développement (BAD) dans le cadre de sa stratégie « Nourrir l’Afrique », TAAT dispose de deux programmes focalisés sur les savanes : le projet d’amélioration de la productivité agricole dans la zone des savanes (SAPIP) et le programme d’investissement dans les savanes (SIP), ce dernier étendu sur la période 2020-2024 pour une enveloppe de 25 millions de dollars. Il s’agit de fournir aux agriculteurs des fertilisants, des machines de dernière génération (tracteurs, pulvérisateurs à rampes, jardinières, …) et des techniques agronomiques poussées avec notamment des semences résistantes aux changements climatiques, lesquels sévissent dans les savanes en asséchant les sols. Pour les activités pastorales, le programme fournit des financements aux fermiers, mais aussi des poussins pour l’élevage des poules notamment. Selon les responsables du projet, « la vision est de faire émerger une masse critique d’acteurs sur toutes les chaines de valeur qui s’appuient les uns sur les autres pour développer des agro-industries viables ».
Les acteurs, ce sont aussi les femmes et les jeunes. Le cas de Clara Chaiwale est éloquent. Etudiante à l’Université de Cape Coast – Campus de Tamalé, elle est également éleveuse de volaille et bénéficiaire du SIP. « L’élevage était à la base une idée de mon frère. Mais il n’avait pas de capital. Il m’en a parlé estimant qu’il y avait beaucoup d’opportunités de réussite en termes de business. C’est en démarrant qu’est née ma passion pour cette activité », raconte celle qui ambitionne construire une entreprise de premier plan.
Faire barrière à +300 millions de dollars de poulets importés
L’accompagnement des entrepreneurs agricoles vise à favoriser une augmentation optimale de la production alimentaire, afin de bâtir l’autosuffisance de la région et ainsi limiter les importations. Car, le Ghana importe à titre d’exemple plus de 300 millions de dollars de volailles chaque année. « Nous ambitionnons de concurrencer l’importation de la volaille, de manière à acheminer de grandes quantités de volailles produites à Tamalé vers d’autres régions du pays,», confie Georges Dassa, président de l’Association régionale de la production de volaille. « Jusqu’ici, poursuit-il, de nombreux Ghanéens préfèrent le poulet importé, parce qu’il est moins cher. Nous étudions les différentes pistes de réduction des coûts de production à l’image de ce que notre ami Sayibu Mohammed est train de mettre en place. Et il est important d’accompagner les producteurs sur cet aspect précisément ». D’ailleurs, les opérateurs accueillent positivement le « Broiler Revitalization Project » piloté par le ministère de l’Agriculture et qui prévoit de mettre un terme aux importations de volaille d’ici 2027.
Si le pays a exporté 1,42 million de tonnes de maïs en 2020 vers le Niger, le Royaume-Uni, le Togo, le Burkina Faso et le Canada, selon les données de l’Observatoire de complexité économique (OEC), il en a importé 7,06 millions de tonnes d’Afrique du Sud, d’Argentine, des Etats-Unis, du Malawi et du Brésil. Et une partie sert à fournir les marchés de Tamalé. Avec la croissance des activités des acteurs existants et la montée de nouveaux exploitants, les superficies de production de maïs et soja ont augmenté de 154%, passant de 87 ha en 2018 à 13 364 ha en 2021, avec un objectif de 20 000 ha préparées pour campagne agricole qui démarre en juillet 2022. Une « stratégie payante », selon les managers de ces programmes, qui aura permis de passer « rapidement » d’une agriculture de subsistance dans les savanes ghanéennes à une agriculture commerciale au profit de l’économie et des populations.
« Il est important de faire de l’agriculture un business »
« Il est important de faire de l’agriculture un business. Nous sommes en train de transformer l’agriculture dans les savanes. Nous mettons l’accent sur les meilleures technologies, avec des pratiques intelligentes face aux changements climatiques afin d’améliorer la productivité », se félicite Félix Darimaani, coordinateur du SIP.
« Nous devons renverser les tendances dans nos pays. Il est important que l’Afrique se nourrisse par elle-même. Au Ghana, le projet est une réussite en raison de la volonté politique », précise Philip Boahen, économiste en chef des politiques agricoles à la BAD.
L’initiative TAAT pour les savanes est également en cours d’implémentation Guinée, en République Centrafricaine, en République démocratique du Congo (RDC), en Ouganda, au Kenya, en Zambie et au Mozambique où la Banque espère des résultats similaires à ceux enregistrés au Nord du Ghana.