Côte d’Ivoire : dans le Bélier, l’agro-industrie pour tordre le cou au défi alimentaire

D’ici 2025, 100% du riz –star de l’alimentation nationale- consommé par les Ivoiriens devrait être produit localement, selon l’ambition affichée par le gouvernement. Pour y parvenir, les autorités exploitent notamment le potentiel du Centre du pays dans le cadre du projet de pôle agro-industriel dans la région du Bélier. Premier du genre à l’échelle nationale, il intègre notamment une zone industrielle à Yamoussoukro vers laquelle les entreprises se ruent peu à peu. Objectifs : décupler la capacité de transformation locale et nourrir aisément la population.

Situé à une dizaine de kilomètres de l’aéroport international de Yamoussoukro au Centre de la Côte d’Ivoire, Djamalabo est un village qui a fait la une des médias il y a quelques années, suite à la capture du dernier rhinocéros d’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, la contrée est au cœur d’une autre « mini-révolution », avec le développement de la riziculture. « Nous travaillons aujourd’hui sur un périmètre de 52 hectares irrigué en permanence. La production de riz peut donc se faire à tout moment parce qu’il y a déjà de l’eau au niveau du barrage. Les producteurs n’ont donc plus besoin d’attendre la pluie », explique enthousiasmé Antoine Kouakou, président de la Coopérative  »Edjoumantikpa » de Seman-Djamalabo.

Comme lui, plusieurs autres agriculteurs témoignent du changement de la dynamique économique et sociale, grâce au développement des différents sites rizicoles aménagés dans la région qui couvrent désormais.  « Nos revenus se sont considérablement améliorés. Cela nous donne plus de facilité pour assumer nos responsabilités familiales et nous projeter pour l’avenir », confie Fernand A. Cette dynamique a suscité l’intérêt d’une jeune entreprise de production de riz bio dont la marque figure désormais dans les étalages des supermarchés des grandes villes du pays. « C’est vraiment du bio. Nous n’utilisons pas d’intrants chimiques et avons une formulation propre d’engrais », affirme le promoteur

Un pari de 80 milliards de Fcfa

Tout cela résulte du déploiement du projet de pôle agro-industriel dans la région du Bélier (2PAI-Bélier) et du district autonome de Yamoussoukro, lancé en 2018 par l’Etat ivoirien dans le cadre du programme national d’investissement agricole à l’horizon 2025. En quatre ans, 1116 ha de riz ont déjà été aménagés dans la région du Bélier, sur les 1 835 ha prévus à terme. Cofinancé par la Banque africaine de développement (BAD), ce projet de 80 milliards de Fcfa -soit plus de 122 millions d’euros- vise à mener le pays à l’autosuffisance. Il met l’accent sur le riz avec un objectif de production de 2 millions de tonnes d’ici 2025.

Avec ses 27,5 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire est l’un des plus grands consommateurs de riz d’Afrique de l’Ouest, avec 2,3 millions de tonnes par an. Le million de tonnes produit localement étant donc très en-deçà de ses besoins, le pays reste fortement dépendant de l’offre étrangère. Après le Nigeria -selon les données du département américain de l’agriculture (USDA), la Côte d’Ivoire est le deuxième importateur de riz de la sous-région. Chaque année, environ 1,5 million de tonnes de riz arrivent principalement du Vietnam, de l’Inde, de la Thaïlande, mais aussi de Chine, pour une facture de plus de 406 milliards de Fcfa, soit plus de 612 millions de dollars. C’est donc pour rompre avec cette dépendance que les autorités ivoiriennes développent ce projet agro-industriel dans le Bélier. Outre le riz, les cultures telles que le maïs, le manioc -fortement consommé également avec le très populaire  »attiéké » ivoirien- et les légumes, mais aussi l’aquaculture sont développées.

Le choix de la région du Bélier comme région pilote n’est pas fortuit. Ici, notamment Yamoussoukro et ses environs, d’où sortent une part importante du cacao dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial, l’agriculture a toujours été le poumon de l’économie, en témoignent les cocotiers qui supplantent la capitale politique. Cependant, « depuis trois décennies, la région du Bélier, autrefois prospère, est confrontée à un déclin économique marqué par une décadence de ses potentialités agro-industrielles », explique le ministère de l’Agriculture et du développement rural dans un document présentant le projet. Il est donc question de permettre à la région du Bélier de retrouver sa productivité agro-industrielle d’antan.

Affronter le défi de la transformation grâce à la zone industrielle

La transformation locale ayant déjà été identifiée à plusieurs titres comme l’une des urgences économiques en Afrique, le PAI-Bélier inclut par ailleurs la construction d’une zone industrielle à Yamoussoukro. Prévue à terme sur une superficie de 750 hectares, 39 hectares ont déjà été viabilisés et réservés pour l’installation d’agro-industries. A ce jour, 19 entreprises ont déjà décroché leur permis et sept d’entre elles sont opérationnelles. Leurs domaines d’activité : la noix de cajou (dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial), l’eau potable, l’embouteillage de gaz, la fabrication d’aliments de bétail, le laboratoire minier, … Sur place, le fabricant chinois de carreaux Garmi Ceramic -toute première unité du genre dans le pays- y est pleinement actif depuis l’an dernier. D’ici fin 2024, toutes ces entreprises seront toutes opérationnelles, selon les responsables du projet.

Zone industrielle Yamoussoukro

« Le projet 2PAI Bélier contribue à résoudre le problème de la disponibilité du foncier industriel, booste la création d’emplois et l’investissement privé à Yamoussoukro », commente Valérie Acka, coordinatrice du projet 2PAI-Bélier. « Nous avons travaillé, poursuit-elle, avec le ministère de l’industrie afin de sécuriser le foncier. Les terrains industriels viabilisés vont permettre de créer une plateforme pour les PME qui y accèderont grâce des processus d’appel d’offres ».

Ici, les autorités souhaitent surtout voir les PME et PMI ivoiriennes se bousculer aux portes. « A ce stade, les investisseurs étrangers sont ceux qui se sont le plus manifestés », indique Lucas Konan de la société qui accompagne le déploiement technique de la plateforme industrielle, soulignant les avantages offerts aux opérateurs. Dans la zone industrielle de Yamoussoukro en effet, les entreprises s’offrent le m2 à 1 000 Fcfa, soit moins de 2 euros, quand à Abidjan, elles devraient débourser deux fois plus et au-delà. En outre, les sociétés qui intègrent la zone industrielle bénéficient d’une exonération fiscale sur dix ans.

Plusieurs autres volets sont automatiquement pris en compte dans le déploiement du 2PAI-Bélier comme la mise à niveau et la construction d’infrastructures, l’électrification, l’assainissement en eau potable, mais aussi la formation d’une main d’œuvre qualifiée via la réhabilitation des écoles spécialisées et des centres de formation. Selon les autorités, ce projet agro-industrielle dans la région du Bélier devrait permettre d’améliorer la qualité de vie de plus de 600 000 personnes avec la la création de 19 000 emplois permanents, la valorisation des activités de plus 5 000 productrices et jeunes diplômés.

Alors que 2022 tire à sa fin et que l’échéance du 2PAI-Bélier approche à grand pas, les projecteurs restent braqués sur la Côte d’Ivoire où l’agriculture représente 23% du PIB, pour voir comment le deuxième importateur de riz d’Afrique de l’Ouest en finit avec la dépendance de l’offre extérieure et remporte le défi de l’industrialisation.

 

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