L’investiture du président de la transition, le Général Oligui Nguema, et la nomination du Premier ministre, Raymond Ndong Sima, introduisent un nouveau chapitre de l’histoire du Gabon. Alors que l’économie semble occuper une place de choix dans les mesures annoncées, comment envisager l’avenir à court et moyen-terme de ce pays riche en pétrole, en manganèse ou en bois et devenu l’un des quartiers généraux de la lutte climatique mondiale grâce au Bassin du Congo ?
« Tout le monde au Gabon voulait être libéré des Bongo. C’est un fait. Mais la vérité est qu’avec un coup d’Etat, tu sais dans quoi tu t’engages, mais tu ne sais pas forcément quelle en sera la suite », confie à La Tribune Afrique un acteur économique de premier plan à Libreville, la capitale gabonaise qui est aussi le fief du business dans ce petit pays d’Afrique centrale aux nombreuses richesses naturelles.
Les premières mesures d’Oligui Nguema
En rencontrant les représentants du secteur privé quelques heures après le putsch du 31 août dernier, le Général Oligui Nguema semblait vouloir dire autrement l’importance accordée au dynamisme économique du Gabon, en perte de vitesse depuis plusieurs années. D’emblée, il a annoncé quatre mesures qu’il se dit prêt à mettre en application sur les 13 propositions faites dans la foulée par la Fédération des entreprises du Gabon (FEG) : le règlement de la dette intérieure par la mise en place du « club de Libreville » ; la restauration de la journée comptable du trésor pour lutter contre la corruption ; la mise sous gestion du secteur privé des deux caisses de prévoyance sociale afin de restaurer les droits des retraités ; enfin, l’appel systématique au système bancaire national pour le financement des projets publics. Cette dernière mesure, le président de la transition l’a réitérée lors de sa prestation de serment le 4 septembre : « j’instruis déjà le futur gouvernement à réfléchir sans délai sur les mécanismes à mettre en place afin de […] financer l’économie nationale avec les partenaires locaux et les institutions financières locales ».
« Le Gabon n’est pas dans la configuration sahélienne »
Des résolutions qui sont encore sur le papier, mais qui semblent susciter l’espoir, surtout après la nomination hier, 7 septembre, du Premier ministre de la transition, en la personne de Raymond Ndong Sima, un économiste de carrière qui a déjà occupé le poste en 2011 et 2012. « Sur le moyen-terme, on verra comment les autorités de la transition vont mettre les choses en place, comment l’administration va fonctionner. Si l’administration fonctionne bien, je ne vois pas comment il y aurait des problèmes », estime cet acteur économique librevillois. Pour lui, le cas gabonais n’est « pas vraiment » comparable à ce qu’il se passe depuis un moment au Niger ou ailleurs en Afrique de l’Ouest. « Je pense que le Gabon n’est pas dans la configuration sahélienne. Le putsch qui a eu lieu au Gabon arrive après l’annonce des résultats d’une élection totalement frauduleuse. Les officiers gabonais ont décidé de prendre leurs responsabilités après une élection truquée, un président dont on sait qu’il était diminué qu’il n’avait peut-être plus la même maitrise de l’appareil de l’Etat… Vu le caractère pacifique du putsch et la manière dont cela est accueilli sur le plan national et international, je ne pense que cela pourrait engendre un ralentissement économique », explique ce spécialiste du conseil.
Diversification et croissance, un pays riche à l’épreuve
De manière générale, le grand chantier économique au Gabon est surtout celui de la diversification de l’économie, en projet depuis de nombreuses années. Riche en pétrole, le Gabon dépend largement de l’exploitation de l’or noir qui, avec le gaz, représente 50% du PIB, 60% des recettes fiscales et 80% des exportations. Mais les chocs pétroliers, les tensions géopolitiques et les récentes diverses crises ayant souvent une incidence négative sur les cours de l’or noir ont régulièrement plombé la croissance de l’économie gabonaise. En 2008 suite à la crise mondiale, le pays a enregistré une récession de -3,3%. En 2009, le président déchu Ali Bongo Ondimba est arrivé au pouvoir, après la mort de père Omar héritant d’une économique à reconstruire. Dans la foulée, la remontée du cours du pétrole a permis au Gabon de retrouver de meilleures couleurs à partir de 2010 et 2011 avec une croissance du PIB de 7,1% sur les deux ans, avant de baisser continuellement, sans ne plus jamais connaitre de telles hauteurs.
Egalement riche en manganèse dont il est le troisième exportateur mondial, le Gabon dispose aussi de l’or exploité par le marocain Managem, de fer et plusieurs autres minerais. Le bois, un maillon fort de son économie, lui a permis ces dernières années de redynamiser à grande échelle la Zone économique spéciale de Nkok, devenue le fer de lance de l’industrie « Made in Gabon ». Entre ce dernier projet, le plan agricole ambitieux lancé en 2017 et le plan triennal d’accélération de la diversification économique lancé en 2021, le pays tente depuis de jouer les cartes de l’émergence d’autres secteurs que celui du pétrole. Vraisemblablement cependant, beaucoup reste à faire pour atteindre le plein potentiel de ce pays aux 2,4 millions d’habitants établis sur 267 667 km2 dont 88% de couvert forestier.
Des perspectives positives, mais nuancées bien avant le putsch
Dans ses perspectives économiques publiées en juillet dernier, la Banque africaine de développement (BAD) prévoyait déjà un léger recul de la croissance du PIB à 2,7% en 2023, contre 3% l’an dernier où le pays avait bénéficié des « bonnes performances des secteurs pétrolier, minier et du bois ». Cette année la croissance serait soutenue, selon la même source, par la forte demande pour les produits exportés (pétrole, manganèse, bois, huile de palme) et la poursuite des réformes économiques. Bien avant les récents événements cependant, la situation du Gabon n’inspirait pas forcément un grand pessimisme. Le problème ? « Cette économie reste tributaire de trois facteurs qui dictent sa dynamique : la forte dépendance au secteur pétrolier; le coût élevé des facteurs de production, lié à l’insuffisance des infrastructures (transport et électricité ); et la dépendance aux importations de produits alimentaires et de biens d’équipement », expliquent les experts de la BAD, soulignant une énième fois la nécessité d’appuyer sur l’accélérateur de la diversification.
« Il faut changer le modèle économique »
Après avoir passé au peigne fin les promesses faites par Ali Bongo Ondimba lors de sa réélection très contestée en 2016, l’économiste Mays Mouissi et son co-auteur n’ont trouvé que 13 promesses réalisées dont trois relevant de l’économie. Pour lui, remettre l’économie nationale sur les rails équivaut à en opérer une refonte. « En dépit des progrès réalisés dans le secteur bois dont la contribution au PIB est passée de 2,9% en 2016 à 3,9% en 2022, l’économie gabonaise qui demeure peu diversifiée est toujours fortement dépendante des revenus pétroliers », expliquait-il récemment dans un entretien avec LTA. Et de marteler : « Pour relancer durablement l’économie gabonaise, il faut une croissance plus robuste et plus inclusive qui ne reflète pas uniquement la hausse des prix des matières premières. Seuls un tel changement de modèle et une gestion orthodoxe des finances publiques sont susceptibles de permettre au Gabon d’accélérer son développement. On n’y est pas encore ».
Stratégiquement avant-gardiste sur les sujets liés au climat avec les initiatives telles qu’One Forest Summit, le Gabon se profile comme l’un des quartiers généraux de la lutte climatique, grâce au Bassin du Congo, deuxième poumon forestier pluvial au monde après l’Amazonie. Une politique qui lui a permis d’accroitre sensiblement les financements reçus pour contrer les changements climatiques. Dans un contexte où le développement économique se veut durable, relance et diversification impliquerait-il l’essor de secteurs d’activités axés croissance verte ?
En attendant de voir les actions concrètes de l’Etat suite notamment à la nomination incessante d’un gouvernement de transition, Fitch Ratings a déjà placé le Gabon sous « surveillance négative ». L’agence de notation américaine prévoit un affaiblissement de la solvabilité du pays suite au putsch.
S’inspirer des voisins ?
Pour certains opérateurs économiques, cette transition est l’occasion de remettre la machine économique en marche à coups de fines stratégies, mais aussi en s’inspirant notamment d’autres pays du continent. « Aujourd’hui nous avons au Gabon une configuration semblable à celle du Nigeria au temps d’Olesegun Obasanjo, à la différence que ce dernier était devenu président après une élection remportée haut la main. Il a été un chef militaire qui, à son arrivée au pouvoir, a eu la volonté de créer des milliardaires nigérians et a pris dans ce sens un certain nombre de mesures », tente de comparer un entrepreneur gabonais dans le domaine de la tech. « Certes, ajoute-t-il, nous ne savons pas encore combien de temps durera la transition, mais le Général Oligui Nguema bénéficie d’une sorte d’état de grâce dont il devrait profiter pour poser des actes qui auront de l’impact sur l’économie du pays au-delà de son passage à la tête du pays, fusse-t-il même d’une durée de deux ans ».