Après une envolée importante des prix du carburant dans les stations-service françaises suite aux sanctions américaines sur le pétrole russe, le projet d’embargo européen sur l’or noir russe pourrait une nouvelle fois entraîner une flambée des cours sur les marchés internationaux. Si la France ne risque pas de rupture d’approvisionnement, estime Olivier Gantois, président de l’Ufip Énergies et Mobilités, il faut s’attendre à ce que le pétrole « coûte plus cher », notamment à cause d’une hausse des coûts logistique.
Pas de rupture d’approvisionnement de pétrole mais sans doute une hausse des prix. C’est la nouvelle équation qui se dessine pour le marché français, conséquence de la mise en place d’un embargo européen progressif sur le pétrole russe. En effet, selon Olivier Gantois, président de l’Ufip Énergies et Mobilités, ex-Union française des industries pétrolières, la France n’aurait pas à affronter de « difficulté majeure » pour ses livraisons d’or noir, mais il va « coûter plus cher ».
L’Union européenne a présenté hier un projet d’embargo progressif sur le pétrole russe afin d’accentuer la pression sur la Russie et limiter ses marges de financement dans sa guerre contre l’Ukraine. Et pour cause, depuis le début du conflit le 24 février dernier, l’Europe a importé environ 21 milliards d’euros de pétrole russe. La Hongrie a toutefois rejeté la proposition « dans sa forme actuelle ».
Le prix du baril repart à la hausse sur les marchés internationaux
Cette nouvelle salve de sanctions concernant cette fois-ci l’or noir serait donc absorbable par le marché français, estime les professionnels, alors que la Russie représente ainsi 10 à 12% des importations françaises de pétrole brut et 20 à 25% des importations de gazole en France, selon l’Ufip.
« Le schéma d’approvisionnement actuel est un schéma optimisé, dans lequel on fait venir en France les barils qui sont les plus intéressants économiquement. Dès lors qu’on s’écarte de ce schéma, on peut partir sur le principe que ça va coûter plus cher », a mis en garde Olivier Gantois. Sur le marché, les acheteurs doivent en outre payer une « prime » pour le pétrole non russe. La décision d’un embargo risque en outre de rendre les marchés « nerveux » et donc augmenter les cours, prévient-il. D’autant plus que plusieurs pays producteurs et exportateurs de pétrole ne veulent pas ouvrir massivement les vannes et que l’Opep+, le cartel des producteurs et exportateurs de pétrole, devrait rester sur une ligne prudente, avec une augmentation de quelque 400.000 barils produits par jour.
Ainsi, après quelques semaines d’accalmie suite à ce que de nombreux experts avaient qualifié de « choc pétrolier digne de 1973 », les cours du pétrole se sont de nouveau envolés mercredi, sous l’effet de la présentation du projet d’embargo de l’Union européenne sur les importations russes, qui laisse présager des tensions accrues sur l’offre.
Le contrat de référence pour le prix du baril de Brent de la mer du Nord, avec échéance en juillet, a gagné 4,92% pour finir à 110,14 dollars, son plus haut niveau depuis deux semaines et demi. Le baril de West Texas Intermediate (WTI) américain pour livraison en juin, a lui pris 5,27%, à 107,81 dollars. Pour Andy Lipow, du cabinet Lipow Oil Associates, « le marché s’est relancé avec la baisse des stocks américains » de produits pétroliers, mais surtout « la décision de l’UE d’aller vers un embargo sur le pétrole russe ».
Une hausse qui pourrait se ressentir de nouveau à la pompe pour les Français
Cette décision européenne et les tensions du marché pourraient ainsi entraîner une nouvelle hausse des prix à la pompe, alors que les Français ont dû composer avec des prix frôlant les deux euros le litre de Sans-plomb ou de gazole. Des prix encore affichés dans certaines stations-service, en dépit du coup de pouce du gouvernement qui avait décrété, à partir du 1er avril, une aide de 15 à 18 centimes sur le litre.
L’envolée de la facture du plein d’essence – qui contribue à doper l’inflation tricolore – est scrutée de près par le gouvernement. L’exécutif a en mémoire le mouvement des Gilets Jaunes, et c’est bien autour de la question de la flambée des prix de l’énergie que pourrait surgir un nouvel embrassement social.
Si le président de l’Ufip Énergies et Mobilités met en garde contre une nouvelle hausse des prix, il exclut pour le moment tout risque de rupture d’approvisionnement. « Il n’y a pas de difficulté majeure d’approvisionnement identifiée, pour peu qu’on nous laisse quelques mois pour réorganiser les flux logistiques », aussi bien pour le pétrole brut que le gazole, a poursuivi Olivier Gantois. L’Hexagone peut très bien se fournir ailleurs. « Il existe déjà en temps normal des alternatives qui sont essentiellement pour le pétrole brut le Moyen-Orient et l’Amérique du nord », a expliqué Olivier Gantois. Pour le gazole, s’ajoute à ces deux régions « l’Inde, qui est un gros producteur ».
« Pas de risque de rupture d’approvisionnement »
Le président de l’Ufip prédit « un jeu de vases communicants dans lequel le pétrole russe exporté va être détourné vers des pays qui n’ont pas décidé d’embargo, notamment la Chine, l’Inde, la plupart des pays africains, les pays d’Amérique du sud… ce qui libérera des barils non russes achetés normalement par ces pays ».
L’Inde, en effet, a acheté près de deux fois plus de pétrole russe depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février que sur l’ensemble de l’année 2021 en profitant de son prix attractif et de la réticence de certaines puissances à commercer avec Moscou. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les raffineries indiennes ont commandé pour au moins 40 millions de barils russes, un chiffre plus de deux fois supérieur aux 16 millions de barils importés en 2021, montrent les calculs de Reuters.
Mais ce jeu de vase communicant pourrait toutefois être impacté par un autre volet de l’embargo : l’interdiction pour les navires européens de transporter du pétrole ou des produits raffinés russes. « Ces sanctions sur les navires devraient peser sur les exportations russes beaucoup plus tôt que le délai de six mois évoqué par l’Union européenne », avertit Andy Lipow. Leur spectre pourrait, en outre, aller au-delà des seules cargaisons vers l’UE et toucher une bonne partie du transport de pétrole en provenance de Russie, toutes destinations confondues, y compris l’Asie, en bonne partie assuré par des tankers européens.
La Russie, plus gros exportateur au monde de pétrole, produit quelque 11 millions de barils par jour de brut, dont un peu plus de 5 millions sont exportés.
Source Tribune Eco