Une nouvelle étape à franchir dans la lutte pour l’égalité des genres serait pour nos sociétés de comprendre que placer le droit des femmes au cœur des stratégies de développement peut avoir un véritable impact sur l’économie.
Le 23 février dernier, la Banque mondiale publiait son rapport Women, Business and the Law [1], qui analyse depuis sept ans les lois et règlementations affectant les opportunités économiques des femmes dans près de 190 pays en prenant en compte des indicateurs tels que le travail, la rémunération, la parentalité, l’entreprenariat et la retraite.
Depuis 2017, des progrès avaient été réalisés dans plusieurs pays, cependant, la pandémie de la COVID-19 s’est avérée plus néfaste pour les femmes dans plusieurs domaines, notamment du fait de leur plus grande participation dans les secteurs d’activités tels que les services, la distribution, le tourisme et l’hôtellerie [2] ; leur plus grande présence dans le secteur informel qui bénéficie de moins de surveillance et de protection.
Par ailleurs, sur le plan du développement humain, la fermeture des écoles et autres espaces éducatifs a eu un impact plus négatif pour l’éducation des filles et des jeunes femmes. Des effets similaires avaient été remarqués pendant la crise de l’Ebola en 2014. Enfin, les chiffres de violences basées sur le genre ont connu une très forte augmentation dans la quasi-totalité des pays du monde. Ce portrait pessimiste cache cependant plusieurs avancées.
Le droit, comme outil de l’égalité des genres
En Afrique, plusieurs gouvernements ont pris des mesures importantes qui permettront à terme d’accroître la participation des femmes dans le secteur formel, d’augmenter le pouvoir d’achat féminin et plus généralement d’insuffler plus de justice dans les rapports sociaux. Ainsi, le Niger a éliminé des restrictions jusqu’alors applicables à l’emploi des femmes dans les secteurs de l’industrie manufacturière, l’exploitation minière et la construction; le Mali a promulgué une loi rendant obligatoire une rémunération égale pour un travail de valeur égale ; et la République Démocratique du Congo a quant à elle établi l’âge de la retraite à 60 ans pour les hommes et les femmes tout en octroyant des points de retraite pour les périodes de garde d’enfants, reconnaissant ainsi comme d’autres pays l’ont fait auparavant, une valeur économique aux tâches le plus souvent effectuées par les femmes dans leurs foyers. Enfin, la Côte d’Ivoire a réformé sa loi sur le mariage en 2019, l’article 82 du nouveau texte dispose que « Les biens communs, autres que les gains et revenus des époux, sont administrés par l’un ou l’autre des époux » ; seul le mari bénéficiait de cette prérogative sous l’ancienne loi.
Quand miser sur les femmes devient rentable
Une nouvelle étape à franchir dans la lutte pour l’égalité des genres serait pour nos sociétés de comprendre que placer le droit des femmes au cœur des stratégies de développement peut avoir un véritable impact sur l’économie. Le McKinsey Global Institute estimait dans un rapport[3] paru en novembre 2019 que l’Afrique pourrait voir une augmentation de 316 milliards de dollars ou 10 points de son Produit intérieur brut (PIB) d’ici à 2025 si chaque pays parvenait à réduire les inégalités de genre. A l’échelle mondiale, le gain estimé serait de douze mille milliards[4].
Faire investir la sphère économique par les femmes peut s’avérer lucratif pour les entreprises et les pays qui en font le pari. David Solomon, président directeur général de la firme Goldman Sachs annonçait lors du Forum Economique Mondial tenu à Davos qu’à compter du 1er juillet 2020, la banque ne travaillerait plus à l’introduction en bourse de sociétés dont le conseil d’administration ne disposerait pas d’au moins une femme ou une personne issue de la diversité. Pour le PDG, cette décision vise à aller au-delà des symboles, il ne s’agit pas d’avoir des femmes dans les conseils d’administration pour remplir des quotas, car intégrer les femmes est avant tout une question de performance. En effet, il a constaté que durant les quatre années précédentes, les introductions en bourse d’entreprises américaines ayant au moins une femme au sein de leur conseil d’administration étaient « nettement meilleures[5] » que celles d’entreprises dont la direction ne comptait pas de femmes dans leurs rangs.
En Afrique où l’entreprenariat est l’une des forces vives de l’économie, les banques de développement, les Etats ou encore des acteurs privés ont tous lancé des initiatives visant à apporter des financements à des structures féminines ou détenues majoritairement par des femmes. Ainsi, en octobre 2017 était créé le We-Fi (Women Entrepreneurs Finance Initiative), une initiative de financement en faveur des femmes entrepreneures issue d’un partenariat entre 14 gouvernements, 8 banques multilatérales de développement et d’autres acteurs publics et privés, et hébergée par le groupe de la Banque mondiale, avec un engagement initial de 340 millions de dollars et une ambition de lever plus d’un milliard de dollars. Près de 43% des fonds du We-Fi alloués à des projets nationaux et régionaux seront investis en Afrique Sub-Saharienne[6]. La Banque Africaine de Développement avait quant à elle lancé en 2016 l’Initiative pour favoriser l’accès des femmes au financement en Afrique, baptisée AFAWA (Affirmative Finance Action for Women in Africa), dont l’un des piliers est un instrument de partage des risques doté de 300 millions de dollars, avec le but de donner accès potentiellement à 3 milliards de dollars de crédit en faveur d’entreprises détenues et/ou dirigées par des femmes en Afrique en s’appuyant sur le réseau existant de banques commerciales et d’organismes de microfinance. Au Sénégal, a été créé en 2019, le premier fonds d’investissement en Afrique de l’Ouest francophone exclusivement dédié aux entreprises dirigées par des femmes. Parti de l’épargne d’un groupe de plus de quatre-vingts de femmes professionnelles, le Women Investment Club (WIC) a par la suite structuré le fonds WIC Capital. En plus du financement, WIC Capital apporte une assistance technique sur mesure à des entreprises féminines à fort potentiel à travers son outil lancé officiellement le 4 mars dernier, la WIC Académie. Le fonds a dans son portefeuille des entreprises prometteuses dans des secteurs d’activité tels que l’agro-industrie, le génie civil, la mode et l’e-commerce. WIC Capital a ainsi accompagné la start-up E-Cover qui revalorise des pneus usés en granulats pour l’installation de gazons synthétiques et en broyat utilisé comme combustible pour des cimenteries, grâce à un investissement en fonds propres et en dette actionnaire de 350.000 dollars. La marque de vêtements prêt-à-porter haut de gamme mixant tissus africains et modernes Sarayaa, a également bénéficié d’un investissement de plus de 200 000 dollars. Ces deux investissements ont permis de créer près de 60 emplois. WIC Capital a l’ambition de lever 20 millions de dollars d’ici la fin de l’année 2021 et a déjà reçu des subventions de partenaires tels que FMO et USAID.
Passons à l’action !
Parier sur les femmes est non seulement juste, mais également rentable. Aujourd’hui, il est urgent d’aller plus loin en s’engageant à former les femmes, à investir dans leurs entreprises et à adopter les réformes juridiques qui leur permettront de devenir de véritables vecteurs de développement économique et social. Enfin, il faut lancer un appel à l’action, afin d’inciter tous les acteurs de la vie publique et économique à faire du « women empowerment » un véritable pilier de leurs plans de croissance et de développement.
(*) Aïssatou Seck est avocate au Barreau de Paris, actuellement conseillère juridique d’une banque multilatérale de développement. Passionnée de questions de genre et de diplomatie économique, elle est membre de plusieurs associations et initiatives œuvrant pour l’accès aux droits, au capital et au renforcement des capacités des femmes
[1] Banque mondiale. 2021. Les Femmes, l’Entreprise et le Droit 2021. Les Femmes, l’Entreprise et le Droit. Washington, DC : Banque mondiale.
[2] FMI, KristalinaGeorgieva, Stefania Fabrizio, Cheng Hoon Lim et Marina M.Tavares. Les conséquences différenciées de la COVID-19 sur les femmes et les hommes,
[3] McKinsey Global Institute, The Power of Parity: How advancing women’s equality in Africa, novembre 2019.
[4] McKinsey Global Institute, The Power of Parity: How advancing women’s equality can add $12 trillion to global growth, octobre 2015.
[5] Interview de David Solomon, CNBC, 23 janvier 2020 : https://www.cnbc.com/2020/01/23/goldman-wont-take-companies-public-that-dont-have-at-least-one-diverse-board-candidate-ceo-says.html
[6] A fin février 2020, le We-Fi a investi dans les pays suivants : Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana, Nigéria, Cameroun, Zambie, Mozambique, Kenya, Ethiopie. Source : https://we-fi.org/where-we-work/