Après la très attendue méga-raffinerie d’Aliko Dangoté au Nigeria, l’Egypte a quelque peu bousculé l’actualité pétrolière la semaine dernière en annonçant la construction prochaine d’un complexe pétrochimique de 7,5 milliards de dollars. Une autre initiative qui devrait donner des idées dans le cadre notamment de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). La Tribune Afrique en parle avec Mahaman Laouan Gaya, ancien ministre et ancien secrétaire général de l’Organisation des producteurs de pétrole africains (APPO).
A Ain Sokhna, dans la zone économique du Canal de Suez, l’Egypte va construire prochainement un vaste complexe pétrochimique de 7,5 milliards de dollars. Le contrat y afférent a été signé la semaine dernière entre la Société principale de développement de la zone économique du canal de Suez et la Société de raffinage et de pétrochimie de la mer Rouge, sous la présidence du Premier ministre Mostafa Madbouli. Ces installations serviront à produire une panoplie de produits pétroliers et chimiques dont le polyéthylène (matière plastique) ; le polypropylène (utilisé dans la fabrication de certaines pièces automobiles, d’emballages alimentaires, de tissus d’ameublement ou de vêtements professionnels jetables) ; le polyester (fortement plébiscité dans l’industrie textile) ; le carburant de soute (utilisé dans les grands navires commerciaux).
Premier consommateur de pétrole en Afrique, sixième en termes de réserves et pays ayant procédé au plus grand nombre de découvertes pétrolières (62 gisements) en 2020 sur le continent, l’Egypte s’apprête ainsi à franchir un pas décisif vers l’indépendance vis-à-vis des fournisseurs mondiaux de ces produits dérivés du pétrole et d’en devenir un important fournisseur. Après la mega-raffinerie du milliardaire Aliko Dangote au Nigeria qui serait actuellement achevée à 80%, selon une récente sortie médiatique des autorités, de tels projets ont le pouvoir d’inspirer les autres pays pétroliers du continent pour qui la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) devient le cadre idéal. Pour répondre aux éventuelles questions que suscite le tableau ci-dessus brossé, Mahaman Laouan Gaya donne de la voix.
Ingénieur pétrochimiste et ancien expert international en énergie et pétrole pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Mahaman Laouan Gaya a été notamment été ministre au Niger. Jusqu’à récemment, il était secrétaire général de l’Organisation des producteurs de Pétrole Africains (APPO).
La Tribune Afrique – Que représente ce projet de complexe pétrochimique en termes d’avancée pour un pays du continent comme l’Egypte ?
Mahaman Laouan Gaya – C’est un signal extrêmement positif. Depuis la période qui a précédé les indépendances jusqu’à date, les pays africains ont beaucoup plus tendance à exporter les matières premières à l’état brut, qu’il s’agisse des ressources extractives (minerais, uranium, bauxite …), agricoles ou animales. Celles-ci sont transformées dans les pays développés en produits finis qui reviennent sur les marchés africains. L’essentiel de la valeur ajoutée reste donc l’apanage de ces pays-là.
Le fait que l’Egypte décide aujourd’hui de mettre en valeur une industrie sur toute la chaine de valeur, de l’exploration jusqu’à la distribution et l’exportation, est une initiative à saluer, parce que la valeur ajoutée restera en Afrique.
Il faut savoir que dans le domaine des hydrocarbures, un complexe pétrochimique veut dire beaucoup de choses. Ce sont des milliers et des milliers de produits issus de la synthèse pétrochimique produits et qui peuvent à leur tour permettre de fabriquer de nombreux produits dont on aura besoin ici en Afrique : (plastiques, engrais, pneus, adhésifs, détergents, cosmétiques, médicaments, emballages, etc). Si tout cela est massivement fabriqué sur place, nous n’aurons plus besoin d’importer. C’est dire la valeur ajoutée qui peut se dégager de la transformation en Afrique de la matière première pétrolière.
Mais avec son projet industriel, l’Egypte vise plus les marchés de l’Est de la Méditerranée…
On peut comprendre cela en ce sens que chaque pays mise sur un avantage comparatif. Au regard de sa position géographique, l’Egypte a beaucoup plus tendance à commercer avec les pays de la méditerranée orientale, de l’Europe, de l’Asie, du Moyen-Orient. C’est le facteur géographique qui l’impose.
Il faut en plus considérer la qualité du trafic en Afrique. Aujourd’hui, pour aller de Niamey à Johannesburg, on est parfois obligé d’aller à Paris, à Doha ou à Dubaï. Donc le trafic des échanges intra-africains est très insuffisants, ce qui fait qu’il est très couteux.
Mais s’il existe des fréquences régulières entre l’Egypte et le reste du continent, s’il y a de la régularité dans les échanges à travers le transport ferroviaire, maritime et aérien, les coûts de transport vont considérablement baisser. Cela permettra d’écouler plus aisément en Afrique subsaharienne des produits fabriqués en Egypte.
Je pense qu’avec la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) qui est en train de naitre, les pays africains pourront mettre de côté leur égoïsme individuel pour favoriser l’intégration de leurs économies, afin que nous puissions tirer de grands profits du voisinage que la nature a créé entre nous.
Tous les pays s’intéressent justement à la Zlecaf, y compris l’Egypte qui a déjà signifié sa volonté d’y prendre des positions particulières. Mais le projet égyptien et celui de méga-raffinerie porté par Aliko Dangoté au Nigeria peuvent-ils encourager les autres grands pays pétroliers du continent à accélérer enfin l’industrialisation de leurs ressources ?
Quand on regarde la géopolitique pétrolière mondiale, l’Amérique a commencé l’exploitation de ses hydrocarbures depuis le 18ème siècle, le Moyen-Orient un peu plus tard. L’Afrique quant à elle ne comptait que quatre pays avec une petite production dans les années 1960. Aujourd’hui, une quarantaine de pays africains sont soit dans la phase de production, soit dans la phase d’exploration. Et le sous-sol africain n’est pas surexploité comme l’ont été les sous-sols européen, asiatique et américain.
En termes de réserves aujourd’hui -je vous le dis en tant que spécialiste, l’Afrique peut défier l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis et la Russie qui sont les premier, deuxième et troisième producteurs mondiaux de pétrole, si le potentiel du continent est exploité stratégiquement. Ce qui nous manque, c’est l’unité. Car si l’Afrique se considère comme un seul producteur, on peut défier ces grands pays.
Le marché international est régi aujourd’hui par deux types de baril : le Brent qui est coté sur le marché de Londres et le WTI qui est coté sur le marché de New York. Mais en termes de quantité et de qualité, le pétrole africain aujourd’hui est plus important que ces deux. Si nous sommes unis, nous pouvons créer un marché important et le pétrole du monde peut être référencé sur le pétrole africain. C’est ce que nous recherchons à travers la Zlecaf, à travers l’intégration africaine. Si nous arrivons à arracher cela, les pays africains peuvent s’imposer. C’est ce que je crois.
Lorsque j’étais secrétaire général de l’OPPA, nous avons initié ce que nous avons appelé « le marché africain du pétrole » qui consiste à créer des zones économiques africaines à partir des infrastructures. L’idée est de créer des marchés régionaux avant de créer un marché continental. On peut donc installer partout en Afrique des complexes pétrochimiques et des complexes de raffinerie de pétrole. Cela pourra nous mettre à l’abri des aléas, parce que quand il y a souvent pénurie de pétrole dans les grands pays producteurs à l’instar du Nigeria, c’est infernal. On a des queues à ne pas en finir. C’est paradoxal et inadmissible. Les pays africains doivent donc créer des marchés dans le cadre de la Zlecaf, afin que nos produits pétroliers puissent être transformés et vendus sur place. Nous avons plus de 1 milliard d’habitants, le marché est donc assez conséquent pour consommer l’essentiel de notre production.
Au regard de l’évolution de la Zlecaf, le chemin vers l’impulsion d’une telle dynamique est-il en train d’être frayé à votre avis ?
Quand j’ai lu les textes de la Zlecaf, j’ai eu l’impression qu’ils ont été rédigés par des politiciens, parce qu’aujourd’hui, l’Afrique intervient pour à peine 2% du commerce mondial. Il y a donc nécessité de développer le commerce intra-africain.
Et en matière de pétrole, même si les statistiques occidentales tendent à sous-estimer le potentiel du pétrole africain, la réalité est qu’aujourd’hui notre continent pèse pour 14 à 15% de la production et des réserves mondiales d’or noir, donc au même titre que l’Arabie Saoudite, au même titre que les Etats-Unis, au même titre que la Russie comme je le disais. Et alors que les hydrocarbures constituent 25% à 30% du commerce mondial, on ne peut pas imaginer un projet d’une zone de libre-échange commercial et ignorer royalement le pétrole. Quand on regarde les textes de la Zlecaf, on se rend compte que le pétrole en est le grand oublié. C’est ridicule. Pour que nous puissions atteindre les objectifs que s’est fixés l’Afrique dans ce cadre, il y a des choses à revoir.
Propos recueillis par Ristel Tchounand.