Finance verte : l’union fera-t-elle la force des banques de développement africaines et sud-américaines ?

Simultanément au 1er Sommet africain sur le climat de Nairobi (Kenya), le 4e Sommet Finance en Commun (FiCS) a réuni les représentants de 530 banques de développement, à Carthagène des Indes (Colombie). Les délégations africaines se sont rapprochées de leurs homologues latino-américaines pour faire émerger la voix du Sud, dans le concert climatique des nations.

« Traditionnellement, pour financer le développement, il nous fallait recourir aux prêts ou aux dons, mais depuis quelques années, les dons se sont réduits comme peau de chagrin. De plus, avec des taux d’intérêt compris entre 7 % et 12 % pour les économies émergentes, la capacité à lever des fonds s’est complexifiée », explique Alain Tchibozo, économiste en chef de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).

Pourtant, les besoins en financement nécessaires à la transition et à l’adaptation climatique explosent. Selon un rapport d’experts publié le 8 novembre dernier, lors de la COP27 de Charm-el-Sheikh, les pays en développement devraient mobiliser 2 000 milliards de dollars chaque année, pendant dix ans pour faire face au changement climatique. Le rapport précise que 50 % de ce montant devra faire l’objet de financements extérieurs.

Avec une empreinte carbone d’environ 3 % des émissions globales de gaz à effet de serre (GES), des ressources fossiles stratégiques, mais incompatibles avec la trajectoire « 0 carbone » adoptée par les institutions multilatérales, et face à des taux d’intérêt qui s’envolent, les relations se crispent entre le Nord et le Sud. Échaudées par des engagements qui se font attendre (100 milliards de dollars par an promis par les pays du Nord aux pays du Sud pour soutenir leur transition et leur adaptation climatique), nombre d’économies émergentes rechignent à suivre les directives des institutions de Bretton Woods, d’autant que de nouvelles options pour financer leur développement respectif sont désormais disponibles…

« La Chine qui ne demande aucune contrepartie climatique finance à elle seule, 25 % du développement en Afrique. Aujourd’hui, le continent africain qui a le choix de ses partenaires ouvre ses portes à de nouveaux acteurs, qu’ils viennent des pays du Golfe persique, d’Asie ou d’Amérique latine », rappelle Alain Tchibozo.

Les efforts financiers des BDP en nette progression

Les banques publiques de développement (BDP) représentent 23 000 milliards de dollars d’actifs et 2 500 milliards de dollars d’investissements annuels, selon l’AFD. « En 2022, les membres de l’International Development Finance Club (IDFC, NDLR), une initiative qui réunit les 27 plus importantes banques de développement mondiales, ont enregistré 288 milliards de dollars d’engagements totaux en matière de finance verte, soit une augmentation de 29 % par rapport à 2021 », se félicite Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD), qui est aussi le président de l’IDFC.

Cependant, en dépit d’une mobilisation de tous les acteurs (BDP, État, secteur privé, organisations de la société civile, banques ou philanthropes), il ne reste plus que sept ans avant l’échéance fixée par les Nations unies pour atteindre les 17 objectifs de développement durable (ODD) identifiés en 2015. Or, seulement « 15 % des objectifs de développement durable ont été atteints », alertait Claudia Ibarguen de l’Organisation internationale du travail (ILO), depuis Carthagène des Indes.

Selon un récent rapport des Nations unies, pour près de la moitié des ODD, « les résultats sont faibles ou insuffisants pour être à l’heure (en 2030, NDLR) et 30 % stagnent ou reculent » (L’état des lieux de l’achèvement des objectifs de développement durable, juillet 2023).

Les experts du GIEC, tout comme le secrétaire général des Nations unies, multiplient les appels de détresse. « Notre climat implose plus vite que nous ne pouvons y faire face », avertissait Antonio Guterres, le 6 septembre, dans la foulée de la publication d’un rapport de l’observatoire européen Copernicus révélant que l’été 2023 avait enregistré les températures les plus chaudes jamais observées (+ 0,66°C au-dessus de la moyenne). Pour le Secrétaire général des Nations Unies, « l’effondrement (climatique) a commencé ».

Kenya-Colombie : la rentrée climatique s’écrit au Sud

Après Paris, Rome et Abidjan, le FiCS prenait ses quartiers à Carthagène des Indes en Colombie (4-6 septembre). Cette année, le grand rendez-vous des BPD était organisé par l’Agence française de développement, la Banque européenne d’investissement (BEI) et les banques de développement sud-américaines et caribéennes (BID, Bancoldex, CAF,…).

Au même moment au Kenya, le président Ruto recevait une vingtaine de chefs d’État et de gouvernements africains qui, dans leur déclaration finale, appelaient la communauté internationale à soutenir leurs efforts pour « augmenter la capacité de production d’EnR de l’Afrique de 56 gigawatts en 2022, à au moins 300 gigawatts d’ici 2030 », via une nouvelle architecture financière adaptée au continent, intégrant la restructuration et l’allégement de la dette. Ce premier sommet africain pour le climat s’est achevé sur 23 milliards de dollars de promesse d’investissements.

À Carthagène des Indes, les représentants des BDP se penchaient simultanément sur les différents mécanismes permettant de financer les grands projets de transition. Entre Global Green Bond Initiative et Sustainable Green Bonds, le lancement d’une plateforme commune aux BDP (pour optimiser la data) et la création d’un laboratoire d’innovation financière,ont été annoncés. Toutes les pistes de finance innovante ont été passées au crible par les experts des 530 banques de développement qui avaient fait le déplacement en Colombie.

L’appel à contribution du secteur privé n’a pas manqué de faire réagir le président colombien. Gustavo Petro. « Pendant ce type de sommets, le secteur privé est présenté comme une solution. Or, le profit ne peut pas être le moteur de la solution à la crise climatique, car c’est le marché qui a créé la crise climatique », a-t-il asséné, en clôture de l’évènement.

Afrique-Amérique latine : 50 nuances de vert

« En dépit de réalités différentes, l’Afrique et l’Amérique latine partagent plusieurs défis climatiques en commun. En Colombie comme en Afrique du Sud, le budget de l’État reste très dépendant des énergies fossiles, par exemple. La Colombie dispose de ressource en pétrole et l’Afrique du Sud de charbon », explique Thomas Melonio, directeur exécutif de l’Innovation, de la stratégie et de la recherche de l’Agence française de développement.

« Ces pays savent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de s’engager sur la voie de la transition climatique, car ils sont déjà – et seront de plus en plus – exposés à une baisse tendancielle de la demande en hydrocarbures, liée aux engagements climatiques de leurs clients traditionnels », poursuit-il.

Entre urgence du développement et menace climatique, les pays émergents recherchent un « juste milieu ». « Il nous faut avancer sur le chemin du mix énergétique, en prenant en compte les réalités de chaque pays, sans étrangler financièrement les économies les plus fragiles », prévient l’économiste Alain Tchibozo.

Face à la pression climatique, les dirigeants africains réunis à Nairobi se sont mis d’accord pour parler d’une seule voix lors de la prochaine COP pour le climat. À Carthagène des Indes, les experts restent dubitatifs. « En matière climatique, chacun a ses priorités. Les regards sont forcément différents entre les pays qui possèdent du gaz et du pétrole et ceux qui n’en ont pas. Le consensus est difficile à atteindre. Parler d’une seule voix africaine me semble illusoire alors parler au nom du  » Sud  » ne me semble pas réaliste », confie un expert en finance climat, sous couvert d’anonymat.

Pour Thomas Melonio, il existe néanmoins des points de convergence climatique assez clairs entre acteurs africains et latino-américains, comme « la demande d’une réforme du système financier international » ou « l’accès à des taux réduits pour financer leur transition et leur adaptation climatiques ».

Tandis que de nouveaux ponts se créent entre les pays du Sud, la fragilité du multilatéralisme depuis la pandémie de 2020 menace l’agenda climatique. « Lors de l’adoption de l’Accord de Paris en 2015, l’esprit de coopération entre les acteurs était bien plus fort qu’aujourd’hui où les pressions souverainistes compliquent les négociations », observe Thomas Melonio de l’Agence française de développement.

La Barbade : poisson-pilote de l’offensive caribéenne en Afrique ?

Crise du multilatéralisme ou glissement des alliances géostratégiques ? Force est de constater que les relations entre les pays de la zone Caraïbes et l’Afrique sont en train de prendre un tour nouveau. En août dernier, le Kenya faisait savoir qu’il étudiait la faisabilité de conduire une force multinationale en Haïti pour démanteler les gangs.

En 2022, la Barbade accueillait le 1er Forum Afrique-Caraïbes sur le commerce et l’investissement (#Actif2022). Cet évènement avait réuni près de 1 550 délégués venus de 93 pays pour renforcer les liens entre les espaces africains et caribéens. Les 30 et 31 octobre, la Guyane accueillera la 2e édition du forum des affaires.

En 2020, les exportations de la zone Caraïbes (CARICOM) vers l’Afrique plafonnaient à 800 millions de dollars (soit 4,4 % des 18,8 milliards de dollars d’exportations caribéennes), alors que les importations africaines ne représentaient que 603 millions sur un total de 33 milliards de dollars. La marge de progression des pays caribéens est donc considérable sur un marché commun africain qui représente 1.4 milliard de consommateurs (ZLECAf). Pour renforcer leurs échanges avec l’Afrique, les pays caribéens pourront désormais s’appuyer sur la Banque africaine de l’import-export (Afreximbank) qui a ouvert son premier bureau régional à Bridgetown (Barbade), le 4 août dernier.

« Nous partageons des racines communes avec l’Afrique et nous devons faire face à des défis communs comme le climat », explique Ryan R. Straughn, ministre de l’Économie et des finances de la Barbade. « Nous développons des programmes pour renforcer nos échanges avec le Kenya et le Ghana (…) Nous travaillons sur notre politique de visas pour réduire les contraintes de circulation et pour favoriser les échanges touristiques avec l’Afrique », poursuit-il.

« En 2022, lors du Forum Afrique-Caraïbes sur le commerce et l’investissement, la plupart des participants étaient obligés de transiter par Londres ou par New York pour arriver jusqu’à la Barbade, car nous n’avons pas de connexions directes avec l’Afrique. Cela n’a pas de sens ! Pour renforcer nos liens, il faut avant tout renforcer nos connectivités », ajoute-t-il, non sans préciser que les « discussions avec des compagnies comme Rwand’Air et Ethiopian Airlines, ont déjà commencé ».

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