Les 24 et 25 octobre, le Sénégal accueillait le Forum de Dakar pour la paix et la sécurité en Afrique sur le thème : « L’Afrique à l’épreuve des chocs exogènes : défis de stabilité et de souveraineté ».Lors de cette édition marquée par la présence de l’Afrique lusophone et du chef de la diplomatie malienne, Macky Sall a exhorté ses partenaires internationaux à plus de solidarité face aux crises qui impactent le continent.
Cette année, la voix d’or du chanteur sénégalais Ismaël Lo, a ravi les participants du Forum International de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique, au Centre International de Conférences de Diamniadio (CICAD). Cette édition a fait la part belle à l’Afrique lusophone, en présence du président cap-verdien José Maria Neves, de João Lourenço, le président angolais et de Mario Soares Sambu, vice-Premier ministre bissau-guinéen. La France avait dépêchée Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État chargée du développement de la francophonie et des partenariats internationaux (les ministres français des Affaires étrangères et de l’Armée avaient participé aux éditions précédentes). Les présidents du Sahel manquaient toutefois à l’appel de Dakar.
Les représentants du Golfe étaient particulièrement bien représentés et c’est aux côtés du prince Faisal ben Farhan Al-Saoud, le ministre saoudien des Affaires étrangères que s’est ouverte cette 8e édition. Quelques heures après l’ouverture du Forum, le président Macky Sall s’envolait d’ailleurs pour Riyad, attendu pour le forum Future Investment Initiative 2022.
Dans les couloirs du CICAD, des personnalités, civiles et militaires de tous horizons, se sont croisées pendant 48. Ici, Albert Pahimi Padacké, ancien Premier ministre tchadien et les représentants de l’US AFRICOM (le commandement américain qui coordonne les activités militaires des États-Unis en Afrique) ; là, des élèves officiers sénégalais et des analystes politiques ; un peu plus loin, les ministres des Affaires étrangères turc et malien ; et même Robert Hue, l’ancien secrétaire national du PCF sous l’étiquette de président fondateur de Drep-Afrique (ONG de lutte contre la drépanocytose).
Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger était venu en personne pour clôturer cette édition 2022. Au total, le forum a réuni plus de 2.000 personnes, une dizaine de ministres, 300 experts et près de 200 médias, selon les organisateurs.
En marge du forum, le Sénégal et la Turquie ont signé un mémorandum qui vient renforcer la relation bilatérale sénégalo-turque, sur la base d’événements qui seront organisés dans les 2 pays, le Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité d’une part, et le Forum d’Antalya sur la diplomatie, d’autre part.
L’Ukraine s’invite au programme du Forum de Dakar
« Le thème de cette 8e édition, « L’Afrique à l’épreuve des chocs exogènes : défis de stabilité et de souveraineté », suggère de regarder la réalité du continent en face. L’expansion du terrorisme, les conflits internes et intra-étatiques, la recrudescence de coups d’Etat, l’ingérence politico-militaire étrangère, et les effets combinés des changements climatiques, de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine : force est de constater que le tableau n’est pas reluisant », introduisait le président sénégalais dès l’ouverture du forum.
Une courte vidéo consacrée au Sénégal, projetée pendant la plénière d’ouverture, juste avant l’allocution du président Sall, faisait état de la « position de non-alignement (du Sénégal) vis-à-vis du conflit (russo-ukrainien) -un- choix stratégique -qui- a rendu possible le rendez-vous avec le président Poutine à Sotchi le 3 juin 2022 -facilitant- la libération des stocks de céréales et de fertilisants qui manquaient cruellement à l’Afrique. » Pour rappel, le 2 mars 2022, le Sénégal s’était abstenu lors du vote de l’Assemblée générale de l’ONU qui exhortait la Russie à cesser « immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ».
« Nous exprimons, aujourd’hui, une attente de solidarité à l’égard de l’Afrique (…) La Russie est la seule responsable de ces crises économique, énergétique et alimentaire qui nous affectent tous. Pour autant, ni la France ni l’Europe ne souhaitent réactiver une nouvelle guerre froide, ou guerre d’influence, sur le continent africain », a déclaré Chrysoula Zacharopoulou, à Dakar. « Nous misons, nous Européens, sur la lucidité et la souveraineté de nos partenaires africains », a-t-elle ajouté.
Malgré ce premier vote à l’ONU qui s’était soldé par une abstention du Sénégal, le 24 mars, le pays votait une seconde résolution exigeant un arrêt immédiat de la guerre puis la condamnation de l’annexion de l’Ukraine, le 12 octobre (alors que près de la moitié des pays africains s’étaient abstenus ou n’avaient pas pris part au vote).
« L’Afrique n’est pas contre l’Ukraine, il ne faut pas qu’on ait l’impression que les Africains sont insensibles à la situation de l’Ukraine. Ce n’est pas cela du tout, mais les Africains disent qu’au même moment où l’Ukraine est en guerre, est envahie, est agressée, l’Afrique est permanemment agressée par le terrorisme », a souligné le président sénégalais.
« Nous sommes en 2022, nous ne sommes plus pendant l’ère coloniale. Nous sommes en 2022, donc les pays, même s’ils sont pauvres, sont d’égale dignité. Il faut qu’on traite leurs problèmes avec le même respect », a-t-il ajouté, se référant au « deux poids deux mesures » observé entre les moyens déployés par la communauté internationale pour résoudre la guerre en Ukraine et ceux attribués à la lutte contre le terrorisme au Sahel, un sujet qui n’a pas manqué de nourrir les conversations dans les couloirs du CICAD.
Le président du Sénégal plaide pour une réforme du multilatéralisme
Une fois de plus, Macky Sall plaida pour que l’Afrique obtienne 2 sièges permanents avec droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU, soulignant par ailleurs « l’inertie du Conseil de sécurité dans la lutte contre le terrorisme en Afrique, -qui- porte en elle-même, la défaillance du système multilatéral », sous les applaudissements nourris du public.
« Le multilatéralisme doit servir les intérêts de tous, autrement il continuera de susciter la méfiance des uns, la défiance des autres et il finira par perdre la crédibilité et la légitimité attachées à son autorité » a-t-il averti, à l’heure où les critiques contre la CEDEAO et l’UA au Sahel et contre les opérations onusiennes aux confins de l’Afrique centrale, se multiplient. « Il est temps de changer la doctrine. Les Casques bleus, attaqués jusque dans leurs propres bases, sans capacité significative de riposte, ne peuvent assurément pas protéger les populations menacées par le joug terroriste » a-t-il ajouté.
Afin d’extraire l’Afrique de sa dépendance vis-à-vis de l’étranger, le président en exercice de l’Union africaine entend rendre opérationnelle au plus vite, la Force africaine en attente (FAA), tout en finançant « de façon plus adéquate », le Fonds pour paix de l’UA, partant du principe que l’Afrique ne peut « pas toujours compter sur le financement extérieur pour assurer -sa- propre sécurité et bâtir une architecture de paix viable ».
Saluant l’initiative des présidents angolais et cap-verdien qui « à eux deux, ont contribué chacun pour 1 million d’euros, à permettre le déploiement immédiat des forces africaines (d’interposition) au niveau de la République Démocratique du Congo et du Rwanda », il invita ses partenaires africains à suivre cet exemple de mobilisation intercontinentale.
Sur le registre de la solidarité internationale, le président du Sénégal a indiqué que le mécanisme de suspension des intérêts de la dette (une initiative du G20) était « grippé ». Cette initiative temporaire « ne mobilise pas encore suffisamment de pays créanciers, pour produire les effets escomptés. Pire, alors qu’il s’agit d’un mécanisme officiel du G20, agrée de façon consensuelle et transparente, par l’instance habilitée, cette initiative suscite la défiance, parce que tout pays en développement qui en sollicite le bénéfice, voit immédiatement sa note dégradée (…) Donc c’est un problème », a-t-il conclu.
Enfin, le chef de l’Etat sénégalais a regretté que, depuis 1 an et demi, « l’Afrique n’arrive pas à être entendue sur la mobilisation -des- réallocations des droits de tirage spéciaux ».
Nouvelle passe d’armes entre Paris et Bamako
« En 2013, la France s’est engagée aux côtés du Mali à sa demande, pour lutter contre une menace qui était alors existentielle pour le Mali. Ce combat a coûté la vie à 48 soldats français au Mali. 59 sont morts dans la région du Sahel. Il a aussi coûté la vie à 174 Casques bleus. Nous devons rendre hommage aux héros dont le sang a coulé sur le champ de bataille », a rappelé Chrysoula Zacharopoulou lors de la session d’ouverture du forum, face au ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, resté silencieux.
« Face à des autorités maliennes qui ont décidé de privilégier leur propre survie politique, au détriment de la lutte contre le terrorisme, les conditions politiques n’étaient plus réunies pour que la France continue de travailler aux côtés des forces armées maliennes », a-t-elle poursuivi, revenant sur le départ des Français du Mali, en juin dernier.
Au sortir de cette déclaration, le chef de la diplomatie malienne refuse de répondre à la presse pour mieux préparer sa riposte du lendemain. Ainsi, à la demande de « solidarité » appelée de ses vœux par la Secrétaire d’Etat française, il rappela que Bamako ne tenait pas à ce qu’on vienne lui « dicter des solutions »; précisant que « le Mali n’est pas un enfant », lors d’un échange avec la presse qui s’est tenu dans la matinée du 25 octobre.
Revenant sur la lettre datée d’août 2022 et adressée au Conseil de sécurité des Nations unies, accusant les forces armées françaises de « violations répétitives et fréquentes » de l’espace aérien du Mali, le ministre a indiqué que le Mali était dans l’attente d’une session spéciale pour produire les preuves de ces accusations. « Ceux qui sont en face, de quoi ont-ils peur ? Si on n’a pas de preuves, qu’on convoque la session », a-t-il lancé.
« Nous avons failli par rapport à l’intégration du continent, nous avons failli par rapport au renforcement de la coopération entre nous, nous avons failli par rapport à notre responsabilité pour assurer notre propre sécurité et je crois que nous ne pouvons pas faire assumer cela par d’autres », a-t-il ajouté, tout en soulignant que le Mali souhaitait que sa « souveraineté soit respectée, que -ses- choix stratégiques et -ses- choix de partenaires soient respectés, et que les intérêts vitaux des Maliens soient pris en compte », concluant que « si ces éléments sont observés, le Mali n’a de problème à traiter avec aucun partenaire, y compris la France ».
Sitôt son intervention terminée, une foule de participants entoura Abdoulaye Diop : gradés africains de tous horizons et élèves officiers sénégalais ont pris la pose aux côtés du chef de la diplomatie malienne, dont l’intervention était certainement l’une des plus attendues de cette 8e édition du Forum de Dakar pour la paix et la sécurité en Afrique.