La technologie au service de la souveraineté alimentaire, le pari du Maroc

Face à une sécheresse inédite, le Maroc mise sur l’innovation pour relever le défi d’une agriculture capable d’assurer sa souveraineté alimentaire. Multipliant les partenariats avec les plus prestigieuses universités, le royaume entend s’imposer comme le fer de lance d’une agriculture durable en Afrique, à grand renfort de technologie.

En cette mi-octobre, dans la province d’El Kelâa des Sraghna, située à une cinquantaine de kilomètres de Benguérir, les femmes sont à la manœuvre pour récolter les olives d’une petite exploitation, qui a vu sa productivité augmenter et ses coûts sensiblement diminués depuis que le propriétaire des terres applique les principes d’irrigation préconisés par l’Université Mohammed VI polytechnique (UM6P). L’appui de l’université financée par le géant marocain des phosphates OCP Group, s’articule autour d’une méthode d’irrigation intelligente, grâce à la technique de goutte-à-goutte qui permet de rationaliser les ressources hydriques.

« Depuis 2019, j’applique cette méthode et ma productivité est passée de 3 tonnes à 8 tonnes. J’ai aussi baissé mes charges. En termes de rentabilité, mes revenus ont augmenté de 10.000 dirhams à 30.000 dirhams par hectare. Ce gain de productivité m’a permis d’investir dans une nouvelle parcelle de 8 hectares », explique Mohammed Chetoui, depuis El Kelâa des Sraghna.

S’il fut le pionnier de sa commune, sa réussite n’a pas tardé à faire des émules. « Après avoir vu les résultats sur ma première récolte, d’autres agriculteurs ont à leur tour, adopté le système de goutte-à-goutte. Comme leur pouvoir d’achat a augmenté, ils se sont équipés et ils utilisent maintenant, des équipements plus sophistiqués », se félicite-t-il. « Avec l’utilisation d’un système d’irrigation gravitaire, la déperdition d’eau pouvait atteindre jusqu’à 40 %, alors qu’avec ce système, elle est réduite à 15 % environ », précise-t-il.

Dans un contexte géopolitique troublé et face à un stress hydrique qui menace les cultures du royaume, le gouvernement marocain a élaboré un plan de développement agricole qui intègre la formation des petits exploitants, dans une optique de souveraineté alimentaire, appuyée par des méthodes d’agriculture durable.

Il faut dire que le secteur représente l’un des piliers de l’économie nationale. Le Maroc compte 1,5 million d’exploitations agricoles et 8,7 millions d’hectares de superficie agricole utile (SAU). L’agriculture occupe 73 % de la population rurale active (plus de 4 millions de personnes), génère 13 milliards d’euros environ et contribue à plus de 14 % au produit intérieur brut (PIB). Selon les années, il représente entre 12 % et 25 % des exportations marocaines.

Néanmoins, le secteur rencontre un certain nombre de défis tels que le manque d’irrigation (19 % de la SAU irriguée), la fragmentation des terres (70 % des exploitations représentent moins de 5 hectares), la faible utilisation d’engrais (66 kg/ha), ainsi qu’une faible connexion au marché. « L’Afrique produit actuellement entre 30 % et 40 % de ce qu’elle pourrait produire avec des méthodes appropriées », estime Bruno Gérard, doyen du College of Sustainable Agriculture et Environmental Sciences (CSAES) de l’UM6P.

Consolider les acquis du « Plan Maroc Vert »

L’agriculture du royaume chérifien est marquée par une forte différenciation entre les zones irriguées et bien desservies et les espaces moins favorisés où prédominent une petite agriculture céréalière et une activité d’élevage.

Pour développer le secteur agricole, le Maroc adoptait en 2008, le « Plan Maroc Vert 2008-2018 », un programme de relance qui s’articulait autour du développement accéléré d’une agriculture compétitive et à haute valeur ajoutée des zones les plus favorables, via l’incitation à l’investissement privé, et la mise à niveau des petites et moyennes exploitations des zones défavorisées par le financement des investissements productifs des agriculteurs et de leurs coopératives.

Entre déconcentration des services, créations d’agences spécialisées, réformes du conseil et de l’assurance agricoles, la stratégie d’un « Maroc Vert » s’est appuyée sur des structures multiples. Au terme de ce programme, le pays a enregistré une hausse des revenus générés par l’agriculture. Les exportations agricoles sont passées de 15 milliards de dirhams à 33 milliards de dirhams, selon l’Agence pour le développement agricole du Maroc. Le « Plan Maroc Vert » a également permis la création de 342.000 emplois. Les partenariats publics-privés ont donné naissance à 1.575 projets agricoles sur une superficie de près de 112.000 hectares, pour un investissement de 22,3 milliards de dirhams.

En matière d’économie d’eau, la superficie équipée en goutte-à-goutte a connu une extension spectaculaire pour atteindre aujourd’hui 542 000 hectares, contre 128 000 en 2008. Désormais, le plan « Generation Green 2020-2030 » qui succède au « Plan Maroc Vert » accorde une attention particulière au renforcement des capacités des petits exploitants agricoles, à grand renfort d’innovation. Il s’intéresse notamment à la gestion des ressources en eau, dans un contexte de stress hydrique inédit depuis trois ans. En 2021, le pays enregistrait la sécheresse la plus sévère de ces trente dernières années, selon l’Observatoire national d’études et recherches sur les risques (ONERR). Depuis, la situation ne s’est guère améliorée…

Al Moutmir renforce les compétences des petits producteurs

« Lancée en 2018 par le groupe OCP, l’initiative Al Moutmir qui accompagne les petits producteurs agricoles, est aujourd’hui portée par l’Université Mohammed VI Polytechnique et le College of Sustainable Agriculture et Environmental Sciences. Le programme compte environ 80 ingénieurs agronomes dispersés dans chaque province », explique Omar Eljanyani, le coordonnateur régional du programme dans la zone Gantour. Chaque ingénieur agronome suit les exploitations agricoles des petits exploitants et leur dispense des conseils sur mesure (smart blender) pour améliorer leur rendement.

Afin d’augmenter la productivité agricole, le ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts, l’Université Mohammed VI Polytechnique et le groupe OCP ont lancé le programme Al Moutmir, en septembre 2018. À ce jour, 25.500 agriculteurs bénéficient directement et gratuitement du programme Al Moutmir et plus de 400 000 agriculteurs en bénéficient indirectement, à travers les réseaux sociaux ou les applications agricoles comme @tmar. « Quatre à cinq formations sont proposées aux agriculteurs chaque année, pour développer un système de culture intégré qui s’appuie sur une irrigation raisonnée », ajoute Omar Eljanyani.

Un modèle exportable en Afrique subsaharienne ?

Au sein du CSAES, ouvert depuis neuf mois, les chercheurs s’appliquent à définir les méthodes agricoles du futur. « Il nous faut sortir d’un mode de production de subsistance, si nous voulons atteindre une souveraineté alimentaire, car le développement de l’Afrique dépendra de son agriculture », rappelle Bruno Gérard.

Pour le doyen du CSAES, l’innovation et la technologie appliquée à l’agriculture est un bon moyen d’attirer les jeunes vers un secteur qui ne compte encore qu’un trop faible pourcentage de chercheurs. « Pour 100.000 agriculteurs, l’Afrique ne comptait que 7 ou 8 chercheurs, contre 30 au Brésil, en 2019 », précise-t-il.

Le Maroc cherche à se positionner comme tête de proue de l’innovation agricole sur le continent. Pour ce faire, il a multiplié les partenariats avec des experts venus du monde entier (de l’Institut National Agronomique en France au Massachusetts Institute of Technology aux États-Unis), tout en déployant ses programmes en Afrique subsaharienne. Une ferme agricole basée à Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) sera dès la rentrée prochaine, adossée à un établissement de recherche agricole, pour optimiser les productions locales.

Enfin, le 18 octobre dernier, l’UM6P lançait avec le Laboratoire d’action contre la pauvreté Abdul Latif Jameel (J-PAL) du MIT, un laboratoire agricole pour l’Afrique (UJALA), qui s’inscrit dans la stratégie nationale de sécurité alimentaire. Ce nouvel espace, dédié à l’évaluation des impacts générés par les programmes agricoles nationaux, portera une attention particulière aux petits agriculteurs du royaume. Pour Hicham El Habti, président de l’UM6P, ce laboratoire permettra avant tout de « renforcer le secteur agricole et (d’) améliorer la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne ».

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