Le Yuan digital pourrait-il être un nouvel outil de gestion de la dette des pays de l’Afrique subsaharienne ?

Par Yannick KITUTILA.

Actuellement en thèse en économie, Yannick Kitutila travaille sur l’amélioration de la gestion de la dette publique en Afrique Subsaharienne. Le chercheur est rattaché au laboratoire du CRIEF, pôle universitaire Léonard de Vinci, À Poitiers (France).

La récession causée par la Covid-19[1] en 2020 a révélé des difficultés profondes liées à la soutenabilité de la dette dans les pays d’Afrique subsaharienne (ASS). L’incapacité des finances publiques à réagir face à la récession de l’économie mondiale a suscité un débat portant sur l’annulation ou le report de la dette. Pourtant, les rapports du FMI[2] (2018) et de la Banque[3] Mondiale (2019) attiraient l’attention des dirigeants sur la trajectoire que prenait leurs dettes publiques. Bien au-delà des objectifs d’amélioration des finances publiques, les pays ASS devraient prendre en compte un nouveau facteur relatif à la gestion de leur dette: «le Yuan digital».

Avec plus de 21% d’encours de la dette détenue, la Chine[4] est aujourd’hui le premier créancier[5] bilatéral des pays ASS. De ce fait, le Yuan digital pourrait modifier les conditions dans lesquelles la Chine entend garder sa première place de créancière dans la région. Les émissions des Eurobonds (titres émis par les pays ASS en dollar US et en Euro) pourraient être réduites au profit des titres en Yuan digital. En effet, depuis 2021, la Banque[6] populaire de Chine (BPoC) expérimente l’utilisation d’un Yuan digital, et prévoit son lancement[7] officiel dès février 2022 (durant les jeux olympiques d’hiver). En 2015, le FMI[8] avait révisé la liste de devises qui composent le panier de droit de tirage spécial (DTS), en ajoutant le Yuan dans ce panier devise. Le poids du Yuan reste toutefois inférieur au Dollar US (10% vs 40%) puisque ce dernier reste la devise la plus utilisée dans les transactions mondiales. Cependant, cela pourrait changer avec le Yuan digital puisqu’il pourrait constituer un véritable facteur d’accélération de la yuanisation[9] des échanges financiers. Dans quelle mesure cela pourrait améliorer la gestion de la dette des pays ASS ?

Depuis 2018, plusieurs pays ASS ont réduit[10] leurs réserves de change en dollar US au profit du Yuan compte tenu des liens commerciaux qu’ils entretiennent avec la Chine. Il y a une réelle volonté des autorités chinoises d’accroître l’utilisation du Yuan dans la région subsaharienne. A cette fin, le Yuan digital pourrait bien accélérer les choses puisque son utilisation pourrait améliorer la gestion de la dette des pays ASS pour au moins deux raisons ; la transparence dans la gestion publique, et une meilleure gestion du risque de change.

Plus de transparence dans la gestion des finances publiques

La faiblesse des institutions publiques en matière de transparence a un effet négatif sur l’efficacité de la politique fiscale (condition essentielle de soutenabilité de la dette). Ce point a déjà été soulevé par Minea et Vilieu (2010[11]), qui ont montré que lorsque la qualité institutionnelle dépasse un certain seuil, cela a un effet positif sur la croissance. Alors qu’en dessous du seuil, l’effet est négatif. Concrètement, cela signifie que le développement financier abaisse les coûts de transaction sur l’investissement privé, mais réduit également les recettes de seigneuriage utilisables pour les investissements publics. Par conséquent, il est favorable à la croissance seulement si d’autres recettes publiques peuvent être utilisées pour financer les investissements publics, donc si la qualité institutionnelle est suffisante pour permettre de collecter des impôts autrement que par la taxe inflationniste. Au contraire, si la qualité institutionnelle est trop faible, la perte de recettes de seigneuriage ne peut être compensée par la collecte de nouveaux impôts, et les infrastructures nécessaires au développement ne peuvent être programmées. La monnaie digitale pourrait ainsi renforcer la qualité institutionnelle en matière de transparence car il serait plus facile pour les autorités de contrôler la traçabilité des fonds. Les recettes fiscales seraient alors améliorées, et la lutte contre la corruption et le détournement de fonds public pourrait être plus efficace.

Une diversification des titres émis

Les émissions et les remboursements de créances pourraient se faire en Yuan. Tel que nous l’avons dit un peu plus haut, la Chine est aujourd’hui le premier créancier de plusieurs pays ASS. Dans ce cas, on pourrait tout à fait imaginer une situation où les conditions de remboursement de prêts seraient faites en Yuan et non plus en Euro ou Dollar. En effet, la hausse de la dette dans les pays développés suscite des incertitudes sur sa soutenabilité. C’est notamment le cas de la dette américaine, qui en mars 2021, n’a pas réussi à trouver de preneur[12] pour ses émissions de titres à 7 ans. Ce désintérêt s’explique en partie par des raisons techniques, le rendement à 7 ans n’ayant pas vraiment suivi le mouvement de hausse des taux qui a débuté en janvier. Mais il traduit aussi une certaine prudence des investisseurs vis-à-vis de la dette américaine qui ne cesse de croître. Dans ces conditions, il apparaît plus avantageux pour les pays ASS d’émettre au moins une partie de leurs dettes en Yuan, et ce pour au moins deux raisons. Premièrement, la Chine est le premier partenaire commercial de la zone. Deuxièmement, cela réduirait les coûts du risque de change liés aux émissions de titres en dollar US et en Euro puisque la Chine est le premier créancier de la zone.

Cependant, au-delà des avantages qu’il pourrait apporter à la gestion de la dette, le Yuan digital présente au moins deux risques qu’il convient de préciser. Le premier risque se trouve dans l’absence d’un cadre juridique au niveau international, qui imposerait les règles d’échanges en monnaie digitale. Le réseau SWIFT en charge des contrôles et des transactions interbancaires, ne pourrait pas intervenir[13] dans les échanges en Yuan digital car le dollar US, utilisé comme devise intermédiaire dans ce réseau n’est simplement pas une monnaie digitale. Ainsi, le manque d’un acteur indépendant qui garantirait l’intégrité des transactions, pourrait alors engendrer une distorsion de devise sur ce marché. Le second risque concerne la perte du contrôle de la politique monétaire des pays ASS au profit de la PBoC. En effet, si les banques nationales des pays ASS adoptent l’utilisation du Yuan digital dans les échanges locaux et nationaux, elles réaliseraient des économies puisque cela réduirait les coûts liés à la fabrication de la monnaie fiduciaire. En contrepartie, elles risqueraient alors de perdre le contrôle de la masse monétaire et des taux directeurs. Concrètement, la PBoC aurait le contrôle sur la politique économique de ces pays puisqu’elle deviendrait l’unique institution qui contrôlerait la masse monétaire et la base monétaire. Toutefois, concernant les échanges locaux et nationaux en Yuan digital, ils sont avant tout conditionnés[14] par une couverture complète du réseau internet de la population, ce qui à ce jour constitue encore un grand chantier dans les pays ASS.


 

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