Mémoire et business transatlantique, la Colombie en quête d’Afrique

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Gustavo Petro en 2022 et de Francia Márquez, la première vice-présidente afro-descendante du pays, les relations entre le continent africain et la Colombie se diversifient et les exportations colombiennes sont en pleine croissance. Quelle stratégie africaine pour Bogota ?.

En ce mois de septembre, la chaleur matinale écrase la petite communauté de San Palenque de Basilio, située à une cinquantaine de kilomètres de Carthagène des Indes. La ville abrite près de 4 500 Afro-colombiens. « Benkos Bioho qui était originaire de Guinée Bissau a fondé la cité au milieu de la forêt amazonienne en 1603. C’est la première ville d’esclaves affranchis d’Amérique latine. Venus de Guinée-Bissau, du Sénégal, du Nigéria et du Congo, les habitants ont vécu en autarcie pendant 4 siècles et ont conservé leurs traditions africaines », explique le jeune guide Andrès, sous la statue de Benkos Bioho brisant ses chaînes, sur la place du village.

Quatre siècles plus tard, ces irréductibles Africains de Colombie s’expriment encore en palenquera, un syncrétisme de langues vernaculaires bantoues, d’espagnol et de portugais. Le premier palenque du continent (village fortifié où s’établissaient des esclaves en fuite) est devenu une escale incontournable du tourisme mémoriel. Ce jour-là, des Afro-Américains s’adonnent à des danses traditionnelles au rythme des djembé, accompagnés par des villageois vêtus de tissus aux motifs léopard. « Le tourisme est la deuxième source de revenus de la population, après l’agriculture », explique Andrès.

L’agenda des guides ne désemplit pas. Avec 100 euros les 5 heures de circuit en moyenne par personne, la visite fait vivre une partie de la communauté (médecins traditionnels, danseurs, guides ou restaurateurs).

Classé chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’Humanité par l’Unesco en 2005, Palenque de San Basilio est devenu l’étendard des Afro-colombiens. « La cité possède ses propres milices et la police n’intervient qu’en cas d’urgence, à la demande de la communauté », précise le jeune homme. Depuis, 1993, les Afro-descendants bénéficient de droits spécifiques, mais la route vers l’égalité des chances en Colombie, reste longue.

A Buenaventura, l’un des principaux fiefs des Afro-colombiens, la pauvreté touche 40 % des habitants. « Nous espérons que l’arrivée de Francia Marquez à la vice-présidence, favorisera davantage les Afro-descendants et qu’en retour, ils s’impliqueront plus dans les affaires politiques », explique Sinforian Reyes Cassiani, candidat libéral de la petite ville de San Palenque de Basilio, à quelques semaines des élections régionales.
Si leur implication dans la politique nationale reste limitée, les 4,7 millions d’Afro-colombiens qui représentent près de 10 % de la population nationale apparaissent désormais comme les nouveaux ambassadeurs d’une relation entre l’Afrique et la Colombie en pleine reconstruction, sur fond d’héritage mémoriel.

Libérer le potentiel commercial avec l’Afrique

En 2021, l’Agence présidentielle pour la coopération internationale signait un accord de contribution financière avec l’Agence de développement de l’Union africaine (Auda-Nepad), afin d’encourager les best practices entre l’Afrique et la Colombie, dans les secteurs-clés de l’énergie, l’environnement, l’entrepreneuriat, l’agriculture et la sécurité alimentaire.

En 2022, sitôt élu, le président Petro décida d’inscrire une « Stratégie Afrique » au cœur du plan national de développement 2023-2026. La Colombie qui ne compte qu’une demi-douzaine d’Ambassades sur le continent, entend renforcer ses relations diplomatiques et commerciales avec les pays africains, et y cherche de nouveaux relais de croissance, en particulier au Maroc, en Égypte, au Kenya, au Ghana, en Afrique du Sud et en Algérie.

Selon le ministère des Affaires étrangères, l’Afrique abrite actuellement 298 entreprises colombiennes. En 2022, les exportations colombiennes en Afrique s’élevaient à 1035 millions de dollars, enregistrant une croissance record de +158 % par rapport à 2021. Le pétrole, le bétail et le charbon représentaient 89 % des exportations totales de la Colombie en Afrique, selon les données de l’association nationale du commerce extérieur (Analdex). La Côte d’Ivoire devenait son premier importateur africain (439,2 millions de dollars) devant l’Égypte (289,8 millions de dollars), le Maroc (109,7 millions de dollars), l’Afrique du Sud (101,94 millions de dollars) et le Gabon (35,76 millions de dollars), d’après la Direction nationale des impôts et des douanes (DIAN).

Simultanément, les importations africaines ont augmenté de 75,4 %, passant de 147,98 millions de dollars à 259,56 millions de dollars. Le Maroc arrive en tête des principaux fournisseurs de la Colombie (58,34 millions de dollars) devant l’Algérie (56,35 millions de dollars), l’Afrique du Sud (51,33 millions de dollars), l’Égypte (25,59 millions de dollars), le Nigéria (14,92 millions de dollars) et le Togo (14,46 millions de dollars), selon la Direction des douanes.

Du Kenya au Ghana : les tournées africaines de Francia Márquez

En mai 2023, dans le cadre de la « Stratégie Afrique 2022-2026 », la vice-présidente colombienne Francia Márquez effectuait sa première tournée sur le continent (Afrique du Sud, Kenya et Éthiopie), accompagnée par une délégation d’une cinquantaine de personnes (chefs d’entreprises et représentants des chambres de commerce colombiennes de Bogota, Tumaco, Buenaventura, Carthagène, San Andrés, Cauca et Chocó). Pour la vice-présidente, le renforcement des relations entre Bogota et le continent africain représente une priorité, à l’heure de l’opérationnalisation de « la plus grande zone de libre-échange au monde » (Zone de libre-échange continentale africaine, ZLECAf).

En Afrique du Sud, plusieurs accords concernant la coopération africano-colombienne en matière de paix, de promotion des droits des femmes, de culture et de politique des visas étudiants ont été conclus. Au Kenya où Francia Márquez fut reçue par le président Ruto en mai dernier, le marqueur fut porté sur le développement des échanges culturels et éducatifs, le tourisme, la santé et la production de café. Surfant sur le soft power mémoriel afro-colombien, la vice-présidente signa un protocole d’entente pour l’enseignement du swahili en Colombie dans le cadre de « la reconstruction des racines et de la mémoire historique ».

Simultanément, le Kenya manifestait sa volonté de renforcer l’enseignement de l’espagnol dans son système éducatif. En Éthiopie, la vice-présidente plaida aussi pour l’apprentissage de la langue de Gabriel García Márquez, et exprima sa volonté d’y ouvrir une Ambassade, et de développer au plus tôt, des connexions aériennes entre Addis-Abeba et Bogota.

Début septembre, Francia Márquez effectuait son second déplacement en Afrique, pour participer au Sommet africain sur le Climat de Nairobi, avant de s’envoler pour le Ghana (6-7 septembre). Lors de sa rencontre avec son homologue ghanéen, Mahamudu Bawumia, la vice-présidente réaffirma sa volonté de renforcer les relations politiques, économiques et culturelles entre les deux pays. Plusieurs protocoles d’entente dans les secteurs de l’éducation, du bilinguisme, de l’innovation, de la science et de la technologie ont été signés.

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