Morad Attik met l’intelligence artificielle au service des collectivités territoriales

Avec Evolukid puis le programme KESKI’A, le Franco-algérien Morad Attik, nommé Young leader 2023 de la French African Foundation, démocratise les métiers du numérique. En challengeant les jeunes pousses des quartiers populaires, l’ancien professeur de mathématiques mise sur le leapfrog technologique appuyé sur l’intelligence artificielle pour apporter des solutions aux territoires.

Né dans le quartier populaire Beauval de Meaux en 1984, Morad Attik a grandi dans une double culture franco-algérienne. « Je sais finalement peu de choses du parcours de mon père sinon qu’il est arrivé à l’âge de 17 ou 18 ans. Orphelin, il fut élevé par son grand-frère avant de venir s’installer en France et d’y travailler comme maçon. Pendant l’enfance, par pudeur, nos parents nous parlaient peu de leur parcours », raconte le jeune homme.

Arrivée dans les années 1970, la mère de Morad s’occupe de ses six enfants. Il est le quatrième de la fratrie. « Je vivais une enfance radieuse, sans trop de moyens, dans une tour de 16 étages où toutes les nationalités se mélangeaient. On se sentait tous étrangers ! Nos parents nous apprenaient à faire profil bas et à respecter les Français « blancs » qui nous avaient accueillis », se souvient-il. « Il a fallu attendre que l’équipe de France gagne la Coupe du monde en 1998 pour que je me sente français », s’amuse-t-il rétrospectivement.

À la maison, la mère de famille parle en arabe et fait de l’éducation, une priorité absolue. Morad est un très bon élève et subit la pression de ses aînés qui ont tous réussi leurs études : « À l’époque, je n’avais pas conscience de vivre dans un quartier difficile. Je l’ai compris en 2003, le jour où Nicolas Sarkozy qui était alors ministre de l’Intérieur a classé Beauval parmi les quartiers les plus difficiles de France (…) Je me suis aperçu que j’avais quand même assisté à pas mal de bagarres et même à des fusillades (…) La prise de conscience a été encore plus nette lorsque j’ai intégré un Lycée général pour passer mon Baccalauréat scientifique. La plupart de mes amis d’enfance étaient orientés vers des formations courtes en comptabilité et gestion (…) Nous étions peu d’élèves d’origines étrangères dans la classe. Il m’a bien fallu trois mois avant d’être accepté, car les autres se méfiaient des élèves venus des quartiers populaires ».

Après le Lycée, Morad intègre une classe préparatoire scientifique avant de s’inscrire un an plus tard, en Faculté à Paris, pour devenir enseignant.

L’enseignement comme arme de transmission massive

« À mes heures, j’enseignais depuis l’âge de 15 ans. Je donnais des cours de soutien dans mon quartier. Ma licence en poche, j’ai passé le concours pour devenir professeur de mathématiques. J’ai commencé ma carrière en zone d’éducation prioritaire au Val de Fontenay. J’ai également enseigné au sein du Lycée Jean Vilar de Meaux où j’avais étudié autrefois » explique-t-il.

Morad a le goût de l’aventure aussi, lorsqu’une opportunité lui est proposée à Alep en Syrie, il saute sur l’occasion pour découvrir une autre culture. « En 2009-2010, à l’âge de 25 ans, je me suis retrouvé en Syrie, car j’avais le profil atypique recherché. Je me suis vite intégré, car je parlais arabe. Pour moi, la Syrie, c’était la caverne d’Alibaba ! Chaque jour, j’étais émerveillé par les richesses culturelles que je découvrais. Le niveau d’enseignement dans l’école internationale qui m’employait était très élevé. Beaucoup d’enfants étaient des fils et filles de diplomates », précise-t-il.

Quatre ans plus tard, une nouvelle opportunité se présente. Morad part en Égypte, enseigner dans une école internationale, pendant un an. « Le Caire est une ville monde qui m’a permis d’ouvrir mon esprit sur des cultures dont j’ignorais tout. J’enseignais à des enfants venus des quatre coins du monde », conclut-il.

En 2014, il rentre en France où il retrouve son frère aîné, Rabah, un ingénieur en robotique, qui nourrit elle aussi, un intérêt particulier pour l’enseignement et qui cherchait un moyen de démocratiser l’apprentissage du numérique. En 2015, les deux frères lancent sur fond propre, une première entreprise nommée Scolarius, pour rendre accessible le soutien scolaire au plus grand nombre.

Evolukid, la solution qui démocratise les algorithmes

En 2016, le jeune homme réalise qu’il ne pourra pas mener de front ses obligations dans l’éducation nationale avec ses projets entrepreneuriaux. Il quitte l’administration pour se concentrer sur le développement de formations numériques et crée Evolukid avec Rabah (CTO de l’entreprise). Ils proposent leurs formations à de grands groupes comme TF1 ou SAP et aux collectivités territoriales. « Dès 2017, nous avons signé notre premier gros contrat à plus de 500 000 euros sur trois ans, avec le groupe MAIF pour sensibiliser les territoires au codage numérique, via le MAIF Numérique Tour », explique Morad Attik.

Pendant trois ans, il sillonne la France dans une caravane dotée d’une salle de classe de 60 m2. Cette initiative grand public propose des expériences immersives et ludiques pour sensibiliser et informer les territoires sur les bons usages du numérique. « En rois ans, nous avons traversé 150 villes et nous avons touché 200 000 personnes, de Marseille à Strasbourg. Nous avons parcouru les villes et les campagnes françaises pour évangéliser la France au numérique », explique-t-il.

Incubé à plusieurs reprises (Grand Paris Seine Ouest, My Creo Academy et HEC), Evolukid a accompagné plus de 500 projets depuis 2016 auprès de collectivités territoriales et de groupes internationaux comme L’Oréal ou Société Générale, par exemple.

En 2018, Evolukid est contacté par le gouvernement guinéen. Morad s’envole pour Conakry où il apporte son expertise dans le cadre de la Semaine du Numérique. « Nous avons accompagné plus de 500 élèves en 3-4 mois. Plusieurs projets ont été présentés pendant l’événement. Certains d’entre eux ont trouvé des applications rapides dans l’économie réelle, comme la production de prothèses de main grâce à des imprimantes 3D, destinées aux hôpitaux », illustre-t-il. En 2022, il s’envole pour la Nouvelle-Calédonie où il passera un mois à acculturer cinq communautés kanak, à l’usage du numérique, tout en formant simultanément une centaine de fonctionnaires locaux.

KESKI’A propose des solutions en IA aux collectivités territoriales

Au plus fort de la pandémie de Covid-19, les activités sont interrompues, mais Morad parvient à signer un partenariat avec la mairie du 15e arrondissement de Paris pour produire des visières de protection, grâce à des imprimantes 3D. Plus de 800 visières sont produites chaque jour, avant d’être expédiées vers les hôpitaux.

En 2022, il lance avec son frère Rabah (auteur de L’intelligence artificielle, tu connais ?, publié en 2021 aux éditions Eyrolles, préfacé par Luc Julia, co-fondateur de Siri, l’assistant vocal d’Apple), une nouvelle offre, KESKI’A, centrée sur l’Intelligence artificielle (IA).

« KESKI’A élargit notre offre qui ne se limite plus seulement au codage pour les enfants, mais qui s’intéresse à la formation du plus grand nombre, à l’IA, car d’ici 2030, près de 80 % des emplois seront liés d’une façon ou d’une autre à l’IA. (…) En 2022, nous avons signé une convention de partenariat avec la Banque des territoires (groupe Caisse des dépôts et consignations) », explique Morad.

Pendant six mois, il déniche les talents des quartiers populaires et produit de l’impact au niveau sociétal en introduisant des solutions basées sur l’IA dans les collectivités territoriales (Trappes, Marseille, Grigny, Meaux, Nantes, Lens et Rouen), tout en créant des ponts entre les porteurs de projet et les entreprises.

« Nous avons accompagné de jeunes talents des quartiers populaires qui ont travaillé sur des sujets comme le tri des déchets, la réhabilitation des routes ou la lutte contre le gaspillage alimentaire, en proposant une solution basée sur l’IA », explique-t-il.

KESKI’A intéresse rapidement de grands groupes comme SAP, UPS, Orange, Nestlé, TATA ou Publicis et c’est dans le cadre du grand salon parisien VIVATECH que les demi-finalistes ont présenté leurs projets, devant une assistance enthousiaste. « In fine, notre jury de professionnels de la Tech a choisi de récompenser le « proof of concept » (POC) de « C Du Propre », qui utilise l’IA pour améliorer la collecte des déchets dans les communes », précise-t-il. « Actuellement, 20 jeunes ont signé des contrats de formations ou ont trouvé un emploi, suite à cette initiative », se félicite Morad.

En mars 2024, les finalistes présenteront leurs projets dans la Silicon Valley californienne, devant les représentants des GAFAM. La saison 2 de ce challenge sur l’IA concernera une quinzaine de territoires.

Marié et père de deux enfants, Morad ambitionne aujourd’hui de faire rayonner l’IA made in France à l’international, considérant que « la France peut devenir un exemple d’IA applicative, éthique et servant le bien commun ». Ravi de compter parmi la sélection 2023 des Young Leaders de la French African Foundation, Morad, pragmatique, entend s’appuyer sur cette nomination pour faire connaître et développer son projet « d’évangélisation numérique » sur le continent africain.

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