Un des secteurs prioritaires de l’industrialisation africaine dans le cadre de la Zlecaf, le secteur automobile, retient de plus en plus l’attention. Dans ce développement, l’Association des constructeurs automobile d’Afrique (AAAM) jour un rôle clé. Pour le Sud-africain Dave Coffey, secrétaire général, le rayonnement de l’automobile africain se fera au travers de « quelques hubs », au Nord, au Sud, à l’Est et à l’Ouest du continent.
Constituée de fabricants d’équipements d’origine (FEO), d’assembleurs, de fabricants de composants de véhicules, mais aussi de banques et de prestataires de services éparpillés sur le continent, l’Association des constructeurs automobile d’Afrique (l’AAAM) célèbrera ses 30 ans en 2025. Aujourd’hui plus que jamais, l’organisation -présidée depuis octobre 2023 par Martina Biene, la patronne de Volkswagen Afrique – poursuit à fond son déploiement continental pour l’émergence d’une véritable industrie automobile régionale, alors que sur les 54 pays d’Afrique, on compte encore sur le bout des doigts les économies dont le secteur automobile carbure véritablement.
Identifié comme un des quatre secteurs prioritaires de l’industrialisation de l’Afrique dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), le secteur automobile est de plus en plus au cœur des débats, des études et des négociations. Le staff de l’AAAM parcourt le continent et le Globe et n’hésite pas à prendre les devants comme lors du salon IAA Mobility à Munich ou à l’occasion de la Foire commerciale intra-africaine au Caire en septembre et en novembre dernier. Pour Dave Coffey, secrétaire général de l’AAAM, l’industrie automobile a de l’avenir, même si, de son avis, « la réussite dans ce domaine n’est pas forcément pour tous les pays ».
LA TRIBUNE AFRIQUE – Comment l’AAAM contribuent-elle à améliorer le secteur automobile en Afrique?
DAVE COFFEY – Nous sommes donc une association du secteur privé et notre mission est d’industrialiser et développer le secteur automobile en Afrique. Pour cela, nous avons le soutien du Secrétariat de la Zlecaf et nous sommes partenaires avec Afreximbank, deux institutions avec lesquelles nous avons des protocoles d’accord. Ainsi, le Secrétariat de la Zlecaf a identifié quatre secteurs qui constituent des opportunités clés pour l’industrialisation : l’agroalimentaire, la pharmacie, l’automobile et enfin le transport et la logistique. Nous travaillons donc avec les gouvernements africains pour développer une politique industrielle que nous aidons à mettre en œuvre. L’Égypte, à titre d’exemple, a annoncé sa politique et nous les aidons à concevoir et implémenter leurs programmes. Quatre protocoles d’accord ont été signés en novembre dernier à ce sujet. Je crois que l’Egypte va beaucoup intéresser tous ceux qui investissent dans l’industrie automobile sur le continent.
La question de savoir si tous les pays africains peuvent développer une industrie automobile forte fait souvent débat. Quel est votre avis ?
En Afrique, il y a deux marchés très bien intégrés, l’Afrique du Sud et le Maroc. Clairement donc, tous les pays ne peuvent pas réussir dans la fabrication de véhicules parce qu’il faut une économie d’échelle. En 2022, nous avons élaboré une stratégie continentale avec Afreximbank, le Secrétariat de la Zlecaf, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, l’Association africaine de standardisation et l’Union africaine, qui a déjà été approuvée l’année dernière par certains Etats. C’est un document évolutif. Nous avons formé un groupe de travail sur l’automobile pour la mise en œuvre de cette stratégie. Et il en ressort clairement que tous les pays ne peuvent pas réellement développer des secteurs automobiles forts. Nous aurons donc plutôt des hubs de fabrication de véhicules qui vont intégrer la région dans la chaine de valeur.
Et la chaîne de valeur peut aller de l’extraction des minéraux à la transformation, car c’est une grande opportunité pour fabriquer des composants nécessaires à la construction de véhicules. Donc les hubs qui se développent actuellement sur le continent sont l’Afrique du Sud et le Maroc, mais l’Égypte aussi va émerger comme une plaque tournante. L’Algérie est en train d’ouvrir à nouveau son marché, le pays a mis en œuvre une politique en novembre 2022. L’Afrique de l’Est n’est pas en reste avec le Kenya, tandis qu’en Afrique de l’Ouest, le Ghana a lancé sa politique en mars 2020 et poursuit sa mise en œuvre. A présent, la Côte d’Ivoire aussi est sur le point d’approuver une politique. Il est intéressant de voir que les politiques du Ghana et de la Côte d’Ivoire sont complémentaires, parce qu’ils n’ont pas le même produit. Le Ghana s’est axé autour des véhicules légers, tandis que la Côte d’Ivoire – que nos experts ont aidée – se focalise sur les bus, les camions et les remorques. Il existe désormais une opportunité de faire du libre-échange entre ces deux pays et leurs voisins, à condition qu’ils conviennent des règles commerciales. Cela permettra d’accélérer cette transition pour donner de l’ampleur au marché, car les ventes de véhicules neufs en Côte d’Ivoire dépassent à peine les vingt mille par an, tandis qu’au Ghana, elles sont un peu plus de 10 000 ventes. Ces pays ont donc besoin de pouvoir écouler sur les marchés voisins. L’autre pays qui pourrait avoir un très grand impact est le Nigeria, parce que son marché intérieur est énorme. L’AAAM travaillait avec le gouvernement nigérian en 2013, mais ils n’ont tout simplement pas mis en œuvre la politique et c’est ce que nous essayons de travailler aujourd’hui avec le nouveau président. Des changements conséquents pourraient en découler. En outre, la Tunisie est un très bon fabricant de composants. Nous visitons tous ces pays et y rencontrons des constructeurs que nous essayons de connecter, afin qu’ils commencent à commercer entre eux.
Les associations automobiles du secteur privé sont au centre de nos préoccupations dans chacun de ces pays. Au salon IAA Mobility à Munich en septembre dernier, nous avons présenté l’AAAM et organisé un panel lors de la journée de l’Afrique. Nous créons des liens à travers l’Afrique et aidons à mettre en œuvre la stratégie pour l’Afrique, tout en accompagnant les pays dans l’élaboration de politiques indépendantes. Mais, je tiens à préciser qu’au final, ces politiques sont toutes compatibles. Il existe un mécanisme spécial qui permet la production et le commerce et qui motive la production à grande échelle. Ce mécanisme encourage le fabricant à produire un ou deux modèles de voiture, vendus localement et exportés, puis importer tous les autres modèles en franchise de droits à faible volume. Nous sommes vraiment là pour développer l’Afrique.
Qu’en est-il de l’Afrique centrale ?
L’Afrique centrale est également riche en ressources et ceci fait partie de la chaine de valeur. Je vois donc cette sous-région jouer un rôle majeur dans l’approvisionnement en minéraux et plus encore dans le soutien au développement des batteries pour véhicules électriques. Nous sommes arrivés au Cameroun qui dispose de plusieurs ressources, nous avons visité le Gabon qui a du manganèse. L’Afrique centrale dispose donc d’énormes opportunités en matière de minerais.
La RDC s’est associé à la Zambie pour le développement d’un projet d’usines de batteries pour véhicules électriques. Travaillez-vous avec eux ?
Nous travaillons avec le gouvernement. J’étais en RDC récemment. Je n’y suis pas allé pour discuter au sujet des minerais, mais je sais que ça avance. Afreximbank va leur fournir des fonds pour construire des usines de matériaux de batteries électriques pour véhicules. Bloomberg a réalisé une étude très intéressante sur la viabilité de la fabrication de batteries électriques en RDC. C’est donc une grande opportunité.
L’importation de véhicules d’occasion en Afrique constitue un frein au développement du secteur sur le continent. Vous évoquiez tantôt la Côte d’Ivoire qui commercialise environ 20.000 véhicules neufs par an, mais importe près de 100.000 véhicules d’occasion chaque année. Comment abordez-vous cette problématique au sein de l’AAAM ?
Le sujet est d’un enjeu crucial. Trois à cinq millions de voitures d’occasion sont importées en Afrique par an. En 2022, seuls 1,1 million de véhicules neufs ont été vendus sur l’ensemble du continent. En vrai, nous sommes une sorte de décharge pour le monde. C’est un véritable problème. Cependant, ce fléau ne peut être éliminé du jour au lendemain, parce qu’en Afrique, tout le monde ne peut pas acheter une voiture neuve, pour des raisons de moyens financiers. En revanche, ce que nous disons c’est que les voitures d’occasion doivent provenir d’Afrique, c’est-à-dire à partir de véhicules fabriqués sur le continent. Cela va permettre de dynamiser l’industrie et le commerce régional.
La situation aujourd’hui est telle que les pays développés abandonnent leurs véhicules parce qu’ils veulent atteindre la neutralité carbone d’ici 2035. Ils veulent nous interdire les véhicules, mais envoient leurs déchets en Afrique. Cela doit cesser. Il existe une directive de l’Union européenne qui veut que tout véhicule exporté d’Europe soit en état de rouler. Et au niveau de l’AAAM, nous travaillons pour que tous les marchés-sources de véhicules d’occasion, y compris les Etats-Unis, la Corée, le Japon et le Royaume-Uni, arrêtent de déverser leurs déchets en Afrique. Cela régulera le marché. Et à mesure que nous développons notre capacité industrielle, ces véhicules arriveront sur nos marchés vraiment occasionnellement.
Le deuxième grand problème en Afrique est l’accès à un financement abordable pour l’acquisition des véhicules neufs par les particuliers. Il y a actuellement un projet pilote en cours au Ghana pour explorer comment changer la donne sur le continent. Les banques ont besoin de connaitre la véhicule, le client, le revendeur… En Afrique, ce n’est pas toujours évident. Pourtant, toutes ces informations sont disponibles sur les marchés sophistiqués du financement automobile. Nous devons emmener cela en Afrique.
Face à toutes ces réalités et alors qu’on assiste à une promotion ardue des véhicules électriques dans le monde, comment aborder cela sur notre continent ?
Nous ne pouvons pas nous contenter de passer directement aux véhicules électriques pour diverses raisons: il n’y a pas assez d’énergie disponible, il n’y a pas assez de minéraux disponibles… En Europe et en Amérique, les ventes de véhicules électriques à batterie ne progressent pas aussi vite qu’ils l’envisageaient. Le consommateur ne peut pas toujours se le permettre. En Afrique, trois facteurs sont d’un enjeu majeur : l’abordabilité, l’électricité et les minéraux. De plus, l’accessibilité financière des véhicules électriques est un gros problème. Quel pays africain va subventionner le consommateur ? Cela coûte beaucoup d’argent. Par ailleurs, l’infrastructure routière dans plusieurs pays n’est pas toujours au rendez-vous.
Il n’est pas obligatoire de passer directement à l’électrique. Il existe d’autres formes de véhicules hybrides par lesquels la transition peut se faire en douce. Et il y a aussi l’hydrogène que nous pouvons exploiter. De nombreuses technologies sont encore à l’étude pour ce que nous appelons les véhicules à énergie nouvelle. L’Inde est un très bon exemple et les Indiens utilisent tous ces véhicules hybrides, des hybrides rechargeables aux hybrides légers. Ils explorent également les biocarburants et l’hydrogène vert. Et l’Afrique dispose de nombreuses ressources qui peuvent produire de l’hydrogène vert. Aujourd’hui, ce n’est peut-être pas viable pour les véhicules particuliers. Mais grosso modo, je crois simplement que l’industrie doit se développer de manière à respecter les obligations en matière de changement climatique. Nous menons une étude pilote en Egypte autour du groupe motopropulseur. L’Afrique de l’Est a de très bonnes et astucieuses solutions de mobilité sur les motos électriques qui peuvent inspirer ailleurs sur le continent.
Nous essayons d’encourager les gouvernements à être simplement pragmatiques. Ils ne doivent pas se contenter de dire qu’ils vont développer les véhicules électriques, parce qu’ils doivent comprendre l’impact économique que cela aura sur le pays. Il est clair que nous devons réduire nos émissions de carbone et cela peut commencer déjà par limiter l’âge des véhicules d’occasion importés. Quand un véhicule sortant d’Europe arrive sur les marchés africains à 18 ans d’âge, quel niveau d’émission représente-t-il ? Nous avons donc du chemin à parcourir et nous devons savoir comment tracer notre voie.